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S CLXXXVI.

La géométrie.

Après qu'un enfant aura une fois acquis une connaissance des globes terrestre et céleste, telle que nous venons de dire, il sera en état de prendre quelque teinture de géométrie; mais je crois qu'il suffit de lui enseigner les six premiers livres d'Euclide, car je doute qu'il soit nécessaire ou utile à un homme du monde d'en savoir davantage; du moins si un enfant a du génie et de l'inclination pour cette science, il pourra s'y enfoncer plus avant de lui-même, sans le secours d'aucun maître, après qu'il aura été conduit jusque-là par son gouverneur.

Il faut donc appliquer promptement les enfants à l'étude du globe, et l'on peut, je pense, commencer de bonne heure, pourvu qu'un gouverneur ait soin de distinguer ce qu'un enfant peut ou ne peut pas comprendre; sur quoi voici une règle qui sera peut-être d'un fort grand usage, c'est qu'on peut enseigner aux enfants les choses qui tombent sous les sens, et principalement sous celui de la vue, aussi long-temps qu'ils n'ont besoin que de la mémoire pour les apprendre. Ainsi un enfant encore fort jeune peut apprendre sur le globe ce que c'est qu'équateur,

méridien, etc., ce que c'est que l'Europe, l'Angleterre, etc., presque aussitôt qu'il connaît les chambres de la maison où il demeure, si l'on a soin de ne pas lui montrer trop de choses àla-fois, ni de lui appliquer l'esprit à un nouvel objet, jusqu'à ce que celui auquel il est attaché lui soit entièrement connu, et ait été bien imprimé dans sa mémoire.

§ CLXXXVII.

La Chronologie.

A la géographie il faut joindre la chronologie, c'est-à-dire la partie générale de cette science, par le moyen de laquelle on peut donner à un enfant une idée de toute la suite des temps et des plus considérables époques qu'on remarque dans l'histoire. Sans ces deux sciences, l'histoire, qui est la véritable école de la prudence et de la politique, et qui doit être l'étude particulière des personnes de qualité et des gens du monde; sans la géographie, dis-je, et la chronologie, l'histoire ne peut guère bien rester dans la mémoire, ni être d'une fort grande utilité; ce n'est plus alors qu'un mélange de matières de fait, confusément entassées ensemble sans ordre ou sans instruction. C'est par le moyen de ces deux sciences que les actions des hommes sont pla

cées dans leur véritable rang, eu égard aux temps et aux lieux; car non-seulement elles se conservent plus aisément dans la mémoire, étant accompagnées de ces circonstances, mais ce n'est même qu'à la faveur de cet ordre naturel qu'elles sont capables d'exciter dans l'esprit ces réflexions qui rendent un homme qui les lit, et meilleur, et plus habile.

§ CLXXXVIII.

Quand je dis qu'un enfant devrait savoir exactement la chronologie, je n'ai pas dessein de parler des disputes qu'on a sur cette science: elles sont infinies, et la plupart d'une si petite importance à un gentilhomme,. qu'elles ne méritent pas qu'on s'y amuse, quand bien même elles seraient faciles à décider. Il faut donc éviter entièrement toutes ces savantes minuties dont

les chronologistes de profession font tant de bruit. Je ne connais point de meilleur livre de chronologie qu'un petit traité de Strauchius, in-12, intitulé: Breviarium chronologicum (1), d'où l'on peut tirer tout ce qu'il faut qu'un jeune gentilhomme sache de chronologie, car il n'est pas nécessaire qu'un écolier s'embarrasse l'esprit de tout ce qui est dans ce traité. On y trouve toutes

(1) C'est-à-dire, Abrégé de chronologie.

les époques les plus remarquables, ou les plus communes, réduites à la période Julienne; ce qui est la méthode la plus aisée, la plus simple et la plus sûre dont on puisse se servir dans la chronologie. A ce traité de Strauchius on peut ajouter les Tables d'Helvicus, excellent ouvrage auquel on est obligé de recourir à tout moment.

S CLXXXIX.
L'Histoire.

Comme rien n'est plus instructif que l'histoire, rien n'est aussi plus agréable. La première de ces qualités la rend digne de l'application des personnes faites, et la dernière me fait croire qu'elle est fort propre pour un jeune enfant; c'est pourquoi, dès qu'il sera instruit dans la chronologie, et que, connaissant les différentes époques qui sont en usage parmi nous, il pourra les réduire à la période Julienne, il faudrait lui mettre entre les mains quelque histoire latine. Le choix des livres devrait être réglé par la facilité du style; car quelque endroit de l'histoire qu'un enfant commence à lire, la chronologie le tirera d'embarras; et la beauté du sujet l'invitant à lire, il apprendra le latin insensiblement, sans être exposé à ce chagrin et à ce dégoût horrible que les enfants endurent lorsqu'on leur fait lire, seulement

pour apprendre le latin, des livres qui sont audessus de leur portée, comme sont les ouvrages des orateurs et des poëtes latins. Après que votre enfant aura lu et compris les historiens les plus faciles à entendre, comme vous diriez Eutrope, Justin, Quinte - Curce, etc., ceux qui viennent immédiatement après ceux-là ne lui feront pas beaucoup de peine; et ainsi, en avançant par degrés, après avoir commencé par les historiens les plus simples et les plus aisés, il pourra enfin passer à la lecture des auteurs les plus difficiles et les plus sublimes, comme sont Cicéron, Virgile et Horace.

S CXC.

La Morale.

Après qu'on aura pris, dès le commencement, un soin continuel d'instruire un enfant dans tous les devoirs de vertu dont il est capable, et cela plus par la pratique que par des préceptes, et qu'on lui aura fait prendre l'habitude de préférer l'amour de la gloire à l'assouvissement de ses passions, je ne sais s'il faudrait lui faire lire sur la morale autre chose que ce qu'on en trouve dans la Bible, ou lui mettre entre les mains aucun systême de morale avant qu'il puisse lire les offices de Cicéron, non en qualité d'écolier

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