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sur ceux qui l'ignorent. Il faudrait, outre cela, qu'il accompagnât toutes ses instructions de beaucoup de douceur, et que, par une certaine tendresse qui éclatât dans toute sa conduite, il lui fit sentir qu'il l'aime sincèrement, qu'il n'a autre chose en vue que son bien; car c'est par là seulement que l'enfant de son côté concevrà de l'amour pour son maître, et sera porté à écouter ses leçons et à goûter ce qu'il lui enseigne.

Le seul vice qui mérite un traitement sévère, c'est l'opiniâtreté. Pour les autres fautes il faudrait en corriger les enfants par la douceur : et sans doute rien n'est plus propre à faire impression sur un esprit bien intentionné que des paroles affables et encourageantes, qui même préviendront en grande partie cette obstination qu'un traitement rude et impérieux produit souvent sur des ames bien faites et généreuses. Il est vrai que l'obstination et la négligence volontaires doivent être réprimées à quelque prix que ce soit, même à force de coups, si l'on n'en peut venir à bout autrement. Mais je suis fort porté à croire que l'opiniâtreté de l'écolier est souvent un effet de la mauvaise humeur du maître, et que la plupart des enfants auraient rarement mérité d'être battus, si une sévérité mal entendue ne les eût rendus méchants, et

ne leur eût inspiré de l'aversion pour leur maître et pour tout ce qui vient de sa part.

Les enfants sont naturellement imprudents, oublieux, inconstants et volages; c'est pourquoi, lorsqu'on ne remarque pas qu'ils tombent volontairement dans ces sortes de défauts, il faut leur en parler avec douceur, et les engager peuà-peu, et avec le temps, à s'en corriger. Si chaque méprise de cette espèce, qu'ils viendront à commettre, leur attire des censures aigres et des reproches pleins d'emportements, ils seront si souvent exposés à cette bourrasque, que le maître deviendra un sujet continuel de terreur et d'inquiétude à ses disciples; ce qui seul suffit pour empêcher qu'ils ne profitent de ses leçons, et pour rompre toutes ses mesures.

Il est donc à propos que l'empire qu'il a pris sur eux soit si fort tempéré par des témoignages constants de tendresse et de bonne volonté, que l'affection qu'ils concevront pour lui les anime à faire leur devoir, et leur fasse trouver de la satisfaction à exécuter ses ordres. Par ce moyen ils approcheront de leur précepteur avec plaisir, ils l'écouteront comme un ami qui les chérit, et qui se donne de la peine pour leur bien; et pendant tout le temps qu'ils seront avec lui, ils auront par cela même l'esprit libre et aisé, qui est l'unique disposition où leur ame

soit capable de recevoir de nouvelles instructions, de goûter et de retenir ce qu'on lui propose, sans quoi tout ce qu'ils font avec leur maître n'est que de la peine perdue, qu'un travail frivole, qui produit bien de l'inquiétude et trèspeu de profit.

S CLXXII.

Mais pour revenir à notre méthode d'enseigner le latin, après que votre enfant aura acquis une connaissance médiocre de cette langue en lisant du latin entrelacé avec de l'anglais, comme nous venons de l'expliquer, on peut commencer à lui mettre entre les mains quelque autre livre latin d'un style aisé comme Justin (1) ou Eutrope; et pour faire qu'il le lise avec moins de dégoût, et qu'il l'entende plus aisément, vous pouvez l'aider, s'il le souhaite, par le moyen d'une traduction anglaise et ici personne ne doit s'épouvanter de l'objection qu'on pourrait faire, que, suivant cette méthode, un enfant n'apprendra le latin que par routine; puisqu'à bien examiner cette objection, il paraît bien loin d'être contraire à cette méthode,

que,

(1). Il faut sans doute commencer par Eutrope', qui est beaucoup plus aisé que Justin et pour le style, et pour la matière.

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elle sert à en faire voir la solidité : car ce n'est que par routine qu'on doit apprendre les langues; et si un homme ne parle pas parfaitement latin, ou français, ou anglais, etc., par routine, en sorte qu'après avoir pensé à ce qu'il veut dire, il attrape aussi-tôt, sans le secours d'aucune règle de grammaire, les expressions propres et les tours particuliers de cette langue, on ne saurait dire d'un tel homme qu'il la parle bien, et qu'il y soit tout-à-fait habile; et je voudrais bien que quelqu'un me nommât une langue qu'on pût apprendre ou parler comme il faut par de simples règles de grammaire. Les langues n'ont pas été faites par règle ou par art, mais par accident et par le commun usage du peuple. Ainsi qui les veut bien parler n'a point d'autre règle à suivre que l'usage; et rien ne peut lui servir dans cette rencontre que sa mémoire et une habitude de parler comme ceux qui sont en réputation de parler purement, ce qui, exprimé en d'autres termes, ne signifie autre chose que parler par routine.

§ CLXXIII.

De quel usage est la grammaire; et quand on devrait l'étudier.

Quoi! me dira-t-on peut-être ici, la grammaire n'est-elle donc de nul usage! Ceux qui ont

:

fait tant d'observations sur les langues, qui ont pris tant de peine pour les réduire à certaines règles, qui ont tant écrit sur les déclinaisons et les conjugaisons, sur les concordances et la syntaxe, 'ont-ils perdu leur peine? et a-t-on lu et appris leurs ouvrages inutilement? Je ne dis pas cela la grammaire a aussi ses usages. Mais je crois être en droit de dire qu'on en fait une plus grande affaire qu'il n'est besoin et un sujet d'embarras pour ceux à qui l'étude de la grammaire n'appartient point du tout j'entends les enfants de l'âge de ceux qu'on embarrasse communément de cette étude dans les écoles publiques.

Il est de la dernière évidence qu'il suffit, pour les entretiens ordinaires et pour les affaires communes de la vie, de n'apprendre les langues que par l'usage. On voit même que par ce seul moyen les dames, et tous ceux qui ont passé leur temps avec des gens polis et bien élevés, parviennent sans étude et sans aucune connaissance de la grammaire à parler la langue de leur pays avec beaucoup d'élégance et de politesse. Combien n'y a-t-il pas de dames qui, sans savoir ce que c'est que temps, participe, adverbe et préposition, s'expriment en termes aussi propres et d'une manière aussi correcte, je ne dirai pas qu'aucun maître d'école, car ce serait leur

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