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fant. Du reste, ne l'y obligez jamais par force ou en le querellant. Servez-vous, si vous pouvez, de quelque artifice pour l'y engager, mais ayez soin de ne lui en pas faire une occupation. Il vaut mieux qu'il emploie un an de plus à apprendre à lire, que si, par ce moyen, il prenait la lecture en aversion. Si vous avez quelque démélé avec lui, que ce soit sur des choses importantes qui regardent la vérité et les bonnes mœurs, mais ne vous amusez pas à le chagriner sur l'a, b, c. Employez toute votre adresse à faire en sorte que sa volonté se soumette à la raison. Apprenez-lui à aimer l'honneur et la véritable louange, à craindre fortement d'être regardé avec mépris ou avec indifférence, surtout par vous et par sa mère, après quoi tout le reste viendra aisément de lui-même. Mais en ce cas-là vous ne devez pas, à mon avis, le gêner par des règles sur des choses indifférentes, ou le censuser pour chaque petite faute qu'il fera, ou peut-être même pour des fautes qui pourraient paraître fort considérables à d'autres personnes. Mais je me suis déja assez étendu sur cet article.

§ CLIX.

Lorsque, par ces moyens doux et faciles, un enfant commence à savoir lire, il faut lui mettre

entre les mains quelque joli livre proportionné à sa capacité, dans lequel il trouve des choses qui puissent l'attacher, et le récompenser de la peine qu'il prend de le lire, mais qui ne soient pourtant pas de telle nature qu'elles lui remplissent la tête d'idées tout-à-fait creuses, de principes corrompus ou de pures bagatelles. Dans cette vue, je crois qu'on ne peut lui donner un meilleur livre que les fables d'Ésope, qui, étant propres à divertir et à occuper l'esprit d'un enfant, peuvent pourtant fournir de bonnes réflexions à un homme fait; et s'il les conserve. dans sa mémoire tout le reste de sa vie, il ne sera pas fàché qu'elles lui reviennent dans l'esprit, lorsqu'il sera occupé de pensées graves et de ses plus sérieuses affaires. Si, d'ailleurs, chaque fable est représentée par une figure dans le livre qu'on lui donnera, cela lui plaira beaucoup plus, et l'encouragera à lire, parce qu'il servira à étendre, ses connaissances: car c'est en vain qu'on parle aux enfants de ces sortes d'objets invisibles; ils ne sont point touchés de ces discours, ils n'y prennent aucun plaisir pendant qu'ils n'ont aucune idée des objets mêmes; et ces idées ne peuvent être excitées dans leur esprit par le son des paroles, mais par les choses elles-mêmes ou par leurs images. Je serais donc d'avis que, dès qu'un enfant commence à épe

́ler, on lui fit voir autant de figures d'animaux qu'on en pourrait trouver avec leurs noms imprimés tout auprès, ce qui l'engagera à lire, et lui donnera en même temps occasion de vous faire des questions, et d'apprendre quelque chose. Il y a un livre anglais, intitulé (1) Reynard the Fox, qui pourrait servir, si je ne me trompe, pour le même dessein. Au reste, si ceux qui sont auprès d'un enfant lui parlent souvent des

(1) C'est une histoire allégorique où sont représentés la plupart des défauts des hommes sous l'image des bêtes, et sur-tout du renard, l'un des principaux personnages. La morale de ce livre est bonne. Dans les plus anciennes éditions, tout y était d'une naïveté charmante, les pensées et le style; mais on ne trouve plus chez les libraires que de nouvelles éditions où tout a été défiguré par quelque misérable écrivain qui, prétendant réformer cet ouvrage, l'a rempli de pensées extravagantes, d'expressions vagues et ampou lées, qui ne peignent rien à l'esprit. Au reste je ne crois pas que ce livre ait été traduit en français. Si l'on prend la peine d'expliquer aux enfants les fables de La Fontaine, qu'on pourra leur faire entendre bientôt après qu'ils sauront lire, s'ils sont français; voilà le livre qu'on doit leur mettre entre les mains. L'agréable y est si bien mêlé avec l'utile, que qui l'entend, ne peut que le goûter; et si un enfant prend une fois du plaisir à le lire, il y trouvera toujours de nouveaux charmes, à mesure qu'il avancera en âge, jusqu'à sa dernière vieillesse; car il contient, cet excellent ouvrage,

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histoires qu'il a lues, et qu'ils les lui entendent raconter, outre d'autres avantages qu'il en reti

il deviendra par-là plus passionné pour la lecture, voyant qu'elle lui procure de l'utilité et du plaisir; ce qui dans la méthode communément établie n'arrive que fort tard, à mon avis. De là vient que les enfants ne regardent les livres que comme des amusements autorisés par la mode, ou comme des embarras frivoles qui ne sont absolument d'aucun usage.

$ CLX.

Un enfant ne doit pas apprendre par cœur, et apprendre à lire tout-à-la-fois.

Il est nécessaire qu'un enfant apprenne bien par cœur l'oraison dominicale, le symbole des Apôtres, et les dix commandements de Dieu : mais je ne serais pas d'avis qu'il les apprît en les lisant lui-même dans un livre, mais en les entendant réciter par quelqu'un qui les lui répétât avant même qu'il sût lire. Il ne faudrait pas, ce me semble, qu'il apprît par cœur, et qu'il apprît à lire en même temps. Ces deux choses ne devraient point être mêlées ensemble, de peur que l'une n'arrêtât les progrès de l'autre; et il faudrait faire en sorte qu'un enfant apprît à lire avec le moins de peine qu'il est pos

sible.

Je ne sais quels autres livres anglais il y a, de l'espèce de ceux dont nous venons de parler, qui soient propres à la lecture. Mais je suis tenté de croire que les enfants, ayant été généralement assujettis à la méthode établie dans les écoles, où ils n'apprennent rien que par la crainte de la vergé, sans qu'aucun plaisir les y invite, ces sortes de bons livres, confondus avec tant de mauvais de toute espèce, ont eu le malheur d'être négligés, et ainsi l'on n'a fait usage d'aucun livre de ce genre que je sache, excepté l'a, b, c, quelques livres de prières, les Psaumes, le nouveau Testament et la Bible.

S CLXI.

Il ne faut pas faire lire aux enfants tous les livres de la Bible indifféremment.

Pour ce qui est de la Bible, dont on se sert ordinairement pour exercer les enfants à la lecture, et pour les y rendre plus habiles, je crois qu'il est si peu utile de les faire lire indifférem. ment ce livre tout de suite chapitre après chapitre, soit pour les perfectionner dans la lecture, soit pour leur enseigner les principes de leur religion, qu'il n'y a peut-être rien qui y soit moins propre : car quel plaisir peut prendre un enfant de lire dans un livre, je ne sais com

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