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tume changée en habitude par la négligence de ceux qui ont été chargés du soin de leur édu

cation.

§ CXLIX.

Réflexion faite, en passant, sur l'influence de la compagnie qu'on fréquente.

Ce qui a été dit ci-dessus de l'effet que produit la compagnie qu'on fréquente, nous ouvrirait un champ bien plus vaste, et nous ferait voir que l'influence de la compagnie s'étend beaucoup plus loin, si nous prenions la peine de suivre exactement cette pensée: car la conversation ne nous communique pas seulement ces manières extérieures dans lesquelles consiste la civilité; son influence passe plus avant, et pénètre jusque dans l'intérieur de l'ame; et peutêtre que si l'on réduisait à leur juste prix la morale et les différentes religions du monde, on trouverait que la plus grande partie des hommes ont adopté les opinions et les cérémonies pour lesquelles ils sont prêts à mourir, plutôt parce qu'elles sont reçues dans les pays où ils vivent et approuvées par les personnes de leur connaissance, que par aucune raison qui les persuade de la vérité de ces choses. Je ne dis ceci que pour vous montrer de quelle importance je

crois qu'est pour votre enfant, durant tout le cours de sa vie, la compagnie qu'il fréquentera; et par conséquent avec combien de circonspection il faudrait ménager ce seul article, qui est plus capable d'influer sur sa conduite que tout ce que vous pourrez faire d'ailleurs.

SECTION XXIII.

DU SAVOIR.

S CL.

Ce qu'il faut apprendre aux enfants.

Vous vous étonnerez peut-être que je mette le savoir au dernier rang des choses nécessaires à un enfant bien élevé, sur-tout si je vous dis que, selon moi, c'est effectivement la chose (1)

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«

(1) Montaigne est précisément du même avis. Il le dit et le redit, et toujours avec une nouvelle grace. « Il me semble, dit-il, que les premiers discours de quoi on lui « doit abreuver l'entendement, ce doivent être ceux qui règlent ses mœurs et son sens, qui lui apprendront à se << connoître et à savoir bien mourir et bien vivre. Entre les « arts libéraux, commençons par l'art qui nous fait libres. « Ils servent tous voirement en quelque manière à l'instruc<tion de nostre vie et à son usage, comme toutes autres <«< choses y servent en quelque manière aussi. Mais choisis« sons celui qui y sert directement et professoirement. Après qu'on lui aura appris ce qui sert à le faire plus «sage et meilleur, on l'entretiendra que c'est que logique,

la moins importante. Ceci paraîtra étrange dans la bouche d'un homme de lettres. Comme le savoir est d'ordinaire le point capital, pour ne pas dire le seul dont on fait une affaire aux enfants (car on ne pense presque à autre chose lorsqu'on parle de leur éducation), ce que je viens de dire ne peut qu'être fort contraire aux idées communes. Quand je considère combien on prend de peine pour enseigner un peu de latin et de grec aux enfants, combien on emploie d'années à cela, et combien ce soin entraîne après soi de bruit et d'embarras sans produire aucun fruit, je suis tenté de croire que leurs parents regardent encore avec une espèce de frayeur respectueuse la verge des maîtres d'école, qu'ils considèrent comme l'unique moyen qu'on puisse employer pour bien élever des enfants, comme si toute leur éducation ne consistait qu'à apprendre une ou deux langues; et le moyen que sans cela l'on pût permettre qu'un enfant fût assujetti à un esclavage de galérien "pendant les huit ou dix plus belles années de sa vie, pour attraper une ou deux langues qu'on peut apprendre, si je ne me trompe, avec beau

"

« physique, géométrie, rhétorique; et la science qu'il choi« sira, ayant desja le jugement formé, il en viendra bien« tost à bout. » Essais, liv. I, ch. XXV.

coup moins de peine et de temps, et presque en badinant.

Cela étant, pardonnez-moi si je dis que je ne saurais penser sans émotion que, pour former et polir l'esprit d'un jeune homme de bonne maison, il faille le mettre dans un collége avec une troupe d'autres enfants, et le faire travailler à coups de fouet, comme s'il devait faire ses classes en passant, pour ainsi dire, par les baguettes. Quoi donc! me direz-vous, ne voulezvous pas que mon enfant apprenne à lire et à écrire? Faut-il qu'il soit plus ignorant que le clerc de notre paroisse, qui prend Chapelain et Corras (1) pour les meilleurs poëtes du monde, et dont il rend les ouvrages encore plus mauvais qu'ils ne sont, par la manière désagréable dont il les lit? N'allez pas si vite, je vous prie savoir lire et écrire, avoir de l'érudition, tout cela est nécessaire, j'en conviens, mais ce n'est pourtant pas là ce qui nous importe le plus : et en effet, ne conviendrez-vous pas avec moi qu'il faudrait être tout-à-fait déraisonnable pour ne pas estimer infiniment plus un homme vertueux ou habile dans les affaires de la vie qu'un homme simplement savant? Ce nest pas qu'à

(1) Il y a dans l'anglais Hopkeins et Sternhold, deux méchants poëtes anglais,

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