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naître l'envie de s'appliquer à quelque chose. S'il aime la louange, le jeu, les beaux habits, etc., ou que d'autre part il redoute la douleur, qu'il craigne de vous déplaire et de perdre vos bonnes graces, etc., quoique ce soit qu'il affectionne le plus, hormis la paresse, qui ne peut jamais le mettre en action, servez-vous-en comme d'un moyen pour lui réveiller l'esprit, et pour l'engager à se donner du mouvement; car ayant affaire à un enfant d'une humeur si nonchalante, vous ne devez pas appréhender d'allumer parlà dans son cœur un trop violent désir, comme il arriverait en toute autre rencontre : c'est là au contraire ce qui vous manque pour pouvoir le réveiller de son assoupissement, et c'est par conséquent ce que vous devez tâcher d'exciter et d'augmenter en lui; car qui n'a point de désir, ne saurait avoir de l'application à quoi que ce soit.

§. CXXX.

Il faut occuper les enfants à quelque travail corporel.

Si cela ne suffit pas pour rendre votre enfant diligent et actif, engagez-le à quelque travail corporel, par où il puisse s'habituer à faire quelque chose. A la vérité, le meilleur moyen de l'accoutumer à exercer et appliquer son esprit,

serait de l'occuper fortement à quelque étude particulière; mais parce que l'attention qu'il pourrait y donner est une chose invisible que personne ne saurait dire quand il y attache véritablement son esprit, ou qu'il néglige d'y penser, vous devez imaginer quelque travail corporel, auquel il faut le tenir régulièrement et constamment occupé. Si ce travail est un peu trop rude et honteux, la chose n'en ira pas plus mal: car comme ce travail le dégoûtera plus tôt, il lui fera naître le désir de reprendre ses livres. Mais lorsque vous en venez là, ne manquez pas de lui imposer une tâche à remplir nécessairement dans un certain espace de temps, de telle sorte qu'il n'ait pas la liberté d'être oisif. Du reste, après l'avoir engagé par cet artifice à s'appliquer à l'étude, vous pouvez, lorsqu'il aura appris sa leçon dans le temps prescrit, le décharger par forme de récompense d'une partie de l'autre travail que vous lui aviez imposé, et continuer d'en diminuer le poids à mesure que vous voyez qu'il s'applique à l'étude avec plus d'ardeur, et enfin l'en dispenser absolument, lorsque cette molle indifférence qu'il avait pour ses livres aura entièrement disparu.

SECTION XVIII.

IL NE FAUT PAS CONTRAINDRE LES ENFANTS A S'OCCUPER AUX CHOSES QU'ON VEUT LEUR FAIRE APPRENDRE.

§. CXXXI.

Nous avons déja remarqué que la diversité des

occupations et la liberté, est ce qui plaît le plus aux enfants, et que c'est là ce qui leur fait trouver du plaisir à leurs jeux ordinaires. Ainsi l'on ne devrait point leur faire une occupation de leur leçon ou de quelque autre chose que ce soit qu'on veuille leur faire apprendre. Mais c'est ce que leurs parents, leurs gouverneurs et leurs maîtres oublient aisément. L'impatience qu'ils ont de les voir appliqués à ce qu'ils doivent faire, ne leur permet pas de les tromper par cet innocent artifice, et les enfants de leur côté distinguent d'abord par les ordres réitérés qu'on leur donne, ce qu'on exige et ce qu'on n'exige pas d'eux. Lors donc qu'il arrive que faute d'avoir mis cet artifice en usage, un enfant vient à

contracter de l'aversion pour ses livres, il faut prendre un autre tour pour remédier à cet inconvénient. Puisqu'il n'est plus temps alors de lui faire regarder l'étude comme un jeu, vous devez l'y engager par une méthode toute contraire. Observez pour cet effet quel est le jeu qui lui plaît le plus; ordonnez-lui de s'y appliquer, et faites-le jouer tant d'heures par jour, non pas comme pour le punir par-là de l'inclination qu'il a pour ce jeu, mais comme si vous vouliez lui imposer cette tâche sous l'idée d'un devoir dont vous prétendez qu'il s'acquitte exactement cela fera, si je ne me trompe, que dans peu de jours il contractera un si grand dégoût pour le jeu qu'il aimait le plus, qu'il ne s'y plaira plus tant qu'à l'étude ou à quelque autre chose; sur-tout si, en s'appliquant à l'étude, il peut se dispenser d'une partie de cette tâche, et qu'on lui permette d'employer à la lecture de ses livres ou à quelque autre semblable occupation, véritablement utile, une partie du temps qu'il est obligé de donner au jeu. Du moins cet expédient est, ce me semble, beaucoup plus propre à porter les enfants à ce qu'on veut, que tous les châtiments qu'on pourrait leur infliger, ou que toutes les défenses qu'on pourrait leur faire; ce qui pour l'ordinaire ne sert qu'à exciter en eux de plus violents désirs pour la chose dé

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fendue: car lorsqu'une fois vous avez assouvi leurs désirs (ce qu'on peut faire sans danger à l'égard de toutes choses, excepté le boire et le manger) jusqu'à les dégoûter par-là de ce que vous devriez leur faire éviter, vous leur en avez inspiré assez d'aversion pour ne devoir plus tant appréhender que dans la suite ils le recherchent avec le même empressement.

§. CXXXII.

C'est, je crois, une chose assez connue qu'en général les enfants n'aiment pas à demeurer sans rien faire. Cela étant, tout votre soin doit être de les occuper toujours à des choses qui puissent leur être de quelque utilité; et pour cet effet vous ne devez pas leur faire une occupation, mais un sujet de divertissement de toutes les choses auxquelles vous souhaitez qu'ils s'appliquent. Le moyen d'en venir là, sans qu'ils puissent s'apercevoir que vous vous en mêliez en aucune manière, c'est de leur inspirer du dégoût pour ce que vous ne voudriez pas qu'ils fissent, en les chargeant expressément de le faire sous tel ou tel prétexte. Si, par exemple, votre enfant se plaît à fouetter son sabot, et qu'il y emploie trop de temps, ordonnez - lui de le fouetter tant d'heures par jour, ayez soin qu'il n'y manque pas; et vous verrez qu'ennuyé en

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