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timidité et corriger la faiblesse de sa complexion. A mesure qu'il devient plus grand, poussez-le à des entreprises plus hardies que celles où son tempérament le porte naturellement; et si vous remarquez qu'il évite de tenter une chose dont

il

y a lieu de croire qu'il pourrait fort bien venir à bout, s'il avait le courage de l'entreprendre, donnez-lui d'abord quelque assistance, et tâchez par degrés de l'y engager par un motif d'honneur, jusqu'à ce qu'enfin ayant acquis plus de fermeté par la pratique, il puisse faire la chose sans aucune peine auquel cas ne manquez pas de le combler de louanges, et de lui faire sentir qu'il s'attire par-là l'estime de tous ceux qui le connaissent. Après qu'il aura acquis par ce moyen assez de résolution pour n'être pas détourné de ce qu'il doit faire par la crainte du danger, et que dans des rencontres imprévues ou hasardeuses, la peur, ne mettant plus son esprit et son corps en désordre, ne lui ôtera ni la capacité ni la volonté d'agir, dès-lors on peut assurer qu'il a tout le courage qui convient à une créature raisonnable; et c'est cette fermeté de corps et d'esprit qu'on devrait tâcher de produire dans les enfants par l'usage, à mesure que l'occasion s'en présente naturellement. ·

SECTION XV.

COMMENT IL FAUT CORRIGER LES ENFANTS DE
L'INCLINATION QU'ILS ONT A LA CRUAUTÉ.

S CXIX.

Je parlerai maintenant d'un vice que j'ai souvent remarqué dans les enfants, c'est que, lorsqu'ils ont en leur puissance quelque pauvre animal, ils sont portés à le maltraiter. S'il leur tombe entre les mains de petits oiseaux, des papillons et autres petites bêtes, il arrive souvent qu'ils les tourmentent, et les traitent avec la dernière cruauté, et cela avec une espèce de plaisir. Je serais d'avis qu'on observât les enfants sur cet article; et que, si l'on découvrait qu'ils soient sujets à cette espèce de cruauté, on leur apprît à tenir une conduite tout opposée car la coutume de tourmenter et de tuer des bêtes, les rendra insensiblement durs et cruels à l'égard des hommes. Ceux qui se plaisent à faire souffrir des créatures qui leur sont inférieures, ou à les tuer, ne sont pas fort por

tés à avoir pitié de celles qui sont de leur espèce. C'est sur cela qu'est fondé l'usage établi en Angleterre d'exclure les bouchers du nombre des jurés choisis pour les affaires criminelles où la condamnation emporte sentence de mort. Il faut donc prendre soin d'élever d'abord les enfants de telle sorte, qu'ils aient horreur de tuer ou de tourmenter des animaux; et leur apprendre à ne pas gâter ou détruire la moindre chose, si ce n'est pour la conservation ou pour le bien d'une autre chose qui soit d'une nature plus excellente. Et certainement, si chaque homme en particulier se croyait obligé de contribuer, autant qu'il est en son pouvoir, à la conservation du genre humain, comme en effet c'est là le devoir de tous les hommes, et le vrai principe sur lequel nous devrions tous régler notre religion, notre politique et notre morale, le monde serait bien plus tranquille et plus civilisé qu'il n'est.

Mais pour venir à mon sujet, je ne puis m'empêcher de louer ici la prudence et la douceur d'une femme de ma connaissance. Elle avait accoutumé de satisfaire toutes les petites envies de ses filles, de leur donner des chiens, des écureuils, des oiseaux, et autres petites betes qui servent d'amusement aux jeunes filles. Mais lorsqu'elles avaient une fois ces animaux en leur puissance, elle les obligeait à les bien entrete

ceau,

nir, et à prendre garde que rien ne leur manquât, ou qu'ils ne fussent point maltraités : et si elles négligeaient d'en prendre soin, cela leur était compté pour une grosse faute. Bien souvent on leur ôtait ces petites bêtes, ou du moins on les censurait pour leur négligence. Par ce moyen ces jeunes filles apprenaient de bonne heure à être exactes, et à avoir l'humeur douce et bienfaisante. Et pour moi, je crois qu'on devrait accoutumer les hommes à avoir, dès le berde la tendresse pour toutes les créatures douées de sentiment, et à ne gâter ou détruire quoi que ce soit. Je ne saurais me mettre dans l'esprit que le plaisir que les enfants prennent à faire du mal (par où j'entends le plaisir qu'ils prennent à gâter les choses sans nécessité, mais plus particulièrement la joie qu'ils goûtent à faire souffrir de la douleur à des créatures vivantes), je ne saurais, dis-je, me figurer qu'une telle inclination leur soit naturelle, et que ce soit autre chose qu'une habitude produite par l'exemple et par la conversation des hommes. On apprend ordinairement aux enfants à se battre, et à rire lorsqu'ils font du mal aux autres, ou qu'ils voient qu'il leur en arrive; et la conduite de la plupart des personnes qui sont auprès d'eux, les confirme dans cette malheureuse disposition d'esprit. Tout ce qu'on leur apprend de l'histoire

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ne consiste presque en autre chose qu'en récits de combats et de massacres, et enfin les glorieux éloges dont on comble les conquérants (vrais bourreaux du genre humain, pour la plupart) achèvent de corrompre l'esprit des jeunes gens, qui dès-là se figurent que l'art de tuer les hommes est la chose du monde la plus louable et la plus héroïque. Par ce moyen, la cruauté, toute contraire qu'elle est à notre nature, s'empare insensiblement de nos cœurs; et ce que l'humanité abhorre, la coutume nous le rend agréable, en nous le faisant regarder comme un chemin qui conduit à la gloire. Voilà comment la mode et l'opinion générale font passer pour un plaisir ce qui ne l'est point en soi, ni ne saurait l'être. C'est donc là un inconvénient auquel il faudrait remédier de bonne heure par toute sorte de moyens, en substituant à la place de cette fatale passion, l'inclination contraire, qui est bien plus naturelle à l'homme, je veux dire la compassion et l'humanité; dispositions qu'il faut tâcher d'entretenir dans les enfants, mais toujours par des voies de douceur. Il ne sera peut-être pas hors de propos d'ajouter ici qu'à l'égard des malheurs ou des accidents qui arrivent en badinant et par inadvertance, ou par ignorance, et qui ne peuvent passer pour des effets de malice et d'une man

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