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goureuse, si des mères trop passionnées, et de sottes servantes ne leur remplissaient point tant l'estomac qu'elles ont accoutumé de faire, et qu'on ne leur donnât absolument point de chair durant les trois ou quatre premières années de leur vie.

Mais si l'on veut, à quelque prix que ce soit, donner de la chair aux enfants, qu'on prenne garde au moins de ne leur en donner qu'une fois par jour, et d'une seule sorte par repas, bœuf, veau, mouton, etc., sans autre sauce que l'appétit. Il faut d'ailleurs avoir grand soin qu'ils mangent beaucoup de pain, ou tout seul, ou avec quelque autre chose et il faut les obliger à bien mâcher tout ce qu'ils mangent de solide. Nous autres Anglais péchons ordinairement par cet endroit et de là viennent tant d'indigestions et autres grands inconvénients.

§ XV.

Comment on doit assaisonner les viandes qu'on donne aux enfants.

Pour le déjeuner et le souper, du lait simple ou en soupe; de la bouillie faite de farine d'orge; du potage avec du gruau d'avoine et des raisins secs, et autres semblables mets communs en Angleterre: tout cela est fort bon pour les enfants.

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Il faut seulement prendre garde que ces mets soient fort simples et sans grand mélange. On doit sur-tout se ressouvenir de n'y mettre pas beaucoup de sucre, ou plutôt point du tout. Pour les épiceries, et autres choses propres à échauffer sang, il faut s'en passer absolument. On doit aussi avoir soin de ne mettre pas beaucoup de sel dans les viandes destinées aux enfants, et de ne les point accoutumer à des mets d'un goût piquant et relevé. Notre palais aime dans les viandes le goût auquel il s'accoutume d'abord : et outre que l'usage immodéré du sel irrite la soif et fait boire excessivement, il produit plusieurs autres mauvais effets dans le corps. Pour moi, je crois qu'une bonne pièce de pain bis, bien pétri et bien cuit, avec du beurre ou du fromage, et quelquefois tout seul, serait souvent le meilleur déjeuner qu'on pût donner aux enfants. Je suis sûr qu'une telle diète est aussi saine, et les rendra aussi vigoureux que des mets plus délicats et que s'ils y sont accoutumés, ils y trouveront du plaisir. Un enfant demandet-il à manger entre les repas; ne lui donnez que du pain sec. Si c'est la faim plutôt que friandise qui le sollicite à manger, il mangera bien le pain seul : et s'il n'a point faim, il n'est pas nécessaire qu'il mange. On tirera de là ces deux avantages : le premier, qu'on accoutumera les enfants à aimer le pain; car, comme je viens de

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le dire, notre palais et notre estomac se plaisent aux viandes auxquelles nous sommes accoutumés. Le second avantage qu'on retirera de cette méthode, c'est qu'on engagera par là les enfants à ne pas manger trop, ni plus souvent que la nature ne demande. Je ne crois pas que tout le monde puisse manger également les uns ont l'estomac plus fort, et les autres plus faible; mais je suis persuadé qu'il y a des gens friands et gloutons par coutume, qui ne l'auraient pas été naturellement. Et je vois en certains pays des hommes qui, ne faisant que deux repas par jour, sont aussi robustes et vigoureux que d'autres dont l'estomac, semblable à un réveille - matin, est accoutumé par un constant usage à recevoir de la nourriture quatre ou cinq fois par jour. Les Romains jeûnaient pour l'ordinaire jusqu'au soupé, le seul repas réglé de ceux-là mêmes qui mangeaient plus d'une fois par jour. Pour ceux qui avaient accoutumé de déjeuner (ce qu'ils faisaient les uns à huit heures, les autres à dix, les autres à midi, et quelques-uns encore plus tard), ils ne mangeaient jamais de la chair, et ne se faisaient apprêter quoi que ce soit. Auguste, dans le temps qu'il était le plus grand monarque du monde (1), dit

(1) Apparemment M. Locke s'appuie ici sur le témoignage de Suétone qui, dans la vie d'Auguste, ch. 76, cite les

qu'il mangeait un morceau de pain sec dans sa calêche. Et Sénèque, racontant dans une de ses lettres sa manière de vivre, lors même qu'il était déja vieux, et que l'âge lui permettait quelque indulgence, nous apprend (1) qu'il avait accoutumé de manger à son diner une pièce de pain sec sans se mettre à table. Cependant, si sa santé l'eût exigé, il aurait pu soutenir la dépense d'un plus somptueux repas, tout aussi aisément qu'aucun de nos plus grands seigneurs, supposé que leurs revenus fussent le double plus grands qu'ils ne sont. C'est ainsi qu'étaient élevés les maîtres du monde : et les jeunes seigneurs romains ne s'apercevaient pas qu'ils manquassent de force de corps ou de vivacité d'esprit, pour ne manger qu'une fois par jour. Que si par hasard quelqu'un d'eux ne pouvait attendre le souper, qui était, comme j'ai déja dit, le seul repas réglé des Romains, il se contentait, pour apaiser sa faim, d'un morceau de pain qu'il mangeait seul, ou avec quelques raisins secs, ou telle autre chose. Les Romains jugeaient cette espèce de tempérance si nécessaire pour la santé

paroles suivantes, tirées de deux lettres de cet empereur: Nos in essendo panem et palmulas gustavimus. Et iterum : Dum lecticá ex regiá domum redeo, panis unciam cum paucis acinis uvæ duracinæ comedi.

(1) Panis deinde siccus et sine mensá prandium, post quod non sunt lavandæ manus. Epist. LXXXIII.

et le bien de leurs affaires, que le luxe qui régna si fort parmi eux depuis qu'ils se furent enrichis des dépouilles de l'Orient, ne put abolir la coutume de ne faire qu'un repas par jour: de sorte que ceux-là mêmes qui, au mépris de l'ancienne frugalité, faisaient de somptueux festins, ne les commençaient pourtant que vers le soir. En un mot, c'était une chose si monstrueuse à Rome de faire plus d'un repas par jour, que dans le temps même de Jules-César, c'était un sujet de reproche de se mettre à table quelque temps avant le coucher du soleil, pour faire un festin, ou un repas dans les formes. Je dirais donc, si je ne craignais de passer pour trop sévère, que le meilleur serait de ne donner aussi aux enfants que du pain pour leur déjeuner. On ne saurait croire combien grande est la force de la coutume. Je crois au reste que la plus grande partie des maladies que nous avons en Angleterre, viennent de ce que nous mangeons quantité de chair, et trop peu de pain.

§ XVI.

Si les heures des repas des enfants doivent être réglées.

Pour les repas des enfants (j'appelle ainsi le dîner et le souper), je crois qu'il est mieux, autant qu'on peut le faire commodément, de ne

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