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(car il faut convenir qu'on trouve des enfants de toute sorte de tempéraments), il ne s'ensuit pourtant pas de là qu'on doive employer contre tous les plus rudes châtiments: au contraire il ne faut supposer aucun enfant incapable d'être gouverné par des voies douces et modérées, qu'on n'ait actuellement pratiqué cette méthode à son égard avec la dernière exactitude; et si dans la suite ce traitement n'est pas capable de l'obliger à se mettre en état de faire tout ce qui peut se faire, il n'y a plus d'excuse à alléguer en faveur de ces esprits revêches, il faut recourir aux coups pour les corriger de leur opiniâtreté. Il n'y a point d'autre remède; mais il faut l'appliquer ce remède tout autrement qu'on n'a accoutumé de le faire. Si, par exemple, un enfant néglige volontairement d'étudier sa leçon, et refuse avec opiniâtreté de faire une chose qu'il est en son pouvoir de faire, et qui lui est commandée fort sérieusement et fort expressément par son père, il ne faut pas se contenter de lui donner deux ou trois bons coups de fouet pour n'avoir pas fourni sa tâche, et dans là suite lui infliger précisément la même peine toutes les fois qu'il commet une semblable faute. Mais lorsque l'obstination d'un enfant est venue à un tel point qu'elle ne peut-être réprimée que par la violence des coups, je crois qu'on

doit le châtier avec un peu plus de tranquillité, mais aussi d'une manière un peu plus sévère, et qu'il faut continuer de le fouetter (en mêlant toujours quelques exhortations aux coups) jusqu'à ce qu'on reconnaisse au visage de l'enfant, à sa voix et à sa posture soumise, que l'impression que le châtiment fait sur son esprit ne vient pas tant de la douleur qu'il ressent, que de sa propre faute qu'il a un véritable déplaisir d'avoir commise. Si un tel châtiment appliqué par intervalles et dans quelques rencontres particulières qui sont en petit nombre, porté outre cela au plus haut point de sévérité dont on puisse user raisonnablement, et accompagné des marques visibles du déplaisir dont un père est touché pendant tout le temps qu'il se voit obligé d'en venir à cette extrémité; si, dis-je, tout cela ne produit aucun effet sur l'esprit d'un enfant, s'il ne change point ses inclinations, et ne peut se réduire à faire à l'avenir ce qu'on lui ordonnera, que peut-on espérer après cela des punitions corporelles, et dans quel dessein pourrait-on y recourir plus long-temps? Battre lorsqu'on ne peut point espérer que les coups produisent aucun bien, c'est plutôt agir en ennemi transporté de rage et de fureur, qu'en ami tendre et plein de bonne volonté, auquel cas le châtiment ne sert qu'à irriter le coupable,

sans lui inspirer aucun désir de se corriger de ses défauts. Si donc un père a le malheur d'avoir un enfant d'un naturel si malin et si intraitable, je ne vois pas qu'il puisse faire autre chose si

que de prier pour lui. Je crois pourtant que d'abord on ménageait l'esprit des enfants comme il faut, on en trouverait peu de cette trempe. Mais après tout, s'il y en a de tels, ce n'est pas sur eux qu'il faut régler la manière dont on doit élever ceux qui ont meilleur naturel, et dont on peut être maître en les traitant avec plus de douceur.

S XCI.

Ce que doit faire un précepteur auprès de son élève.

Si l'on peut trouver un précepteur qui, tenant la place d'un père, se charge des mêmes soins que lui, et qui, comprenant l'importance des choses que 'nous venons de proposer, s'attache d'abord à les mettre en pratique, il aura dans la suite très-peu de peine auprès de son élève; et dans peu de temps vous aurez le plaisir, si je ne me trompe, de voir que votre enfant fera plus de progrès dans les sciences et dans les mœurs que vous ne pourriez peut-être vous l'imaginer. Mais ne permettez pas que ce

précepteur batte jamais votre enfant sans votre consentement et sans votre direction, du moins avant que sa prudence et sa retenue vous soient connues par expérience. Cependant, afin que l'autorité qu'il doit avoir sur votre enfant se conserve en son entier, vous devez non-seulement ne pas donner à connaître qu'il n'a pas le droit d'user de la verge, mais encore le traiter vous-même avec beaucoup de respect, et engager toute votre famille à faire la même chose; car vous ne devez pas attendre que votre fils ait aucun égard pour un homme qu'il voit méprisé dans la famille ou de vous, ou de sa mère, ou de quelqu'autre personne. Si vous le croyez digne de mépris, vous avez fait un mauvais choix; et pour peu que vous paraissiez le mépriser, il n'y a pas grande apparence qu'il évite d'être traité de la même manière par votre fils, et dès-lors, ce précepteur à beau avoir du mérite et des qualités qui le rendent propres à l'emploi dont il est chargé, tout cela est perdu pour votre enfant, et ne saurait lui être d'aucun usage dans la suite.

S XCII.

Le gouverneur d'un enfant doit l'instruire par son propre exemple.

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Comme l'exemple du père doit engager l'enfant à respecter son gouverneur, le gouverneur le doit aussi porter par son exemple à toutes les choses qu'il veut lui faire mettre en pratique. Il faut qu'il prenne bien garde de ne pas contredire ses préceptes par sa conduite, à moins qu'il ne veuille perdre son élève. C'est en vain qu'il l'entretiendra de la nécessité de vaincre des passions auxquelles il est sujet, et en vain tâchera-t-il de le corriger de quelque. vice ou de quelque indécence qu'il se permet-, tra à lui-même. On doit compter que les mauvais exemples seront toujours plutôt suivis que les bonnes règles. C'est pourquoi celui qui se charge de l'éducation d'un enfant, doit prendre un soin tout particulier de le garantir de la con-tagion de toutes sortes de méchants exemples, et sur-tout des plus dangereux, je veux dire de ceux des domestiques, de la compagnie desquels il faut l'éloigner, non en la lui défendant, car cela ne servirait qu'à la lui faire rechercher avec plus d'ardeur, mais par d'autres voies (§ LXXI), dont j'ai déja parlé.

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