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elle aurait gâté cette enfant pour toujours; et en la battant ainsi sans aucun fruit, elle n'aurait fait que confirmer son humeur revêche dont on n'aurait pu la corriger dans la suite qu'avec une peine extraordinaire. Mais en continuant prudemment de la battre jusqu'à ce qu'elle eût dompté son humeur et fait plier sa volonté, ce qui est l'unique but de la correction et des châtiments, elle établit entièrement son autorité dès ce moment-là, et dans la suite elle a toujours obtenu de sa fille une prompte obéissance en toutes choses. Comme ce fut là la première fois qu'elle la battit, ce fut aussi, je crois, la der

nière.

La première fois qu'on est obligé de recourir à la verge, il faudrait que la douleur, de ce châtiment, continuée et augmentée sans cesse jusqu'à ce qu'elle eût entièrement vaincu l'opiniâtreté de l'enfant, domptât premièrement l'esprit, et mit sur pied l'autorité des parents; et les parents après cela devraient conserver leur autorité pour toujours, en mêlant prudemment la douceur avec la gravité.

S LX XXI.

Les châtiments employés mal-à-propos ne produisent que du mal.

Si l'on pensait sérieusement à cela, on serait sans doute bien plus retenu qu'on ne l'est ordinairement à se servir de la verge et du bâton pour corriger les enfants, et l'on ne serait pas si porté à regarder les châtiments comme un remède souverain et universel qu'on peut employer au hasard dans toute sorte d'occasions: du moins, il est certain que si les coups ne produisent rien, ils produisent beaucoup de mal; s'ils ne font aucune impression sur l'esprit, et ne domptent pas la volonté, ils ne servent qu'à endurcir le coupable; et, à quelque peine que sa faute l'ait exposé, cela ne fait que le confirmer dans son opiniâtreté; passion qu'il chérit tendrement, et qui, venant de le rendre victorieux, le dispose à contester et à espérer un nouveau triomphe pour l'avenir : aussi suisje persuadé que ce n'est que par des corrections mal-entendues qu'on a rendu obstinés plusieurs enfants, qui sans cela auraient été fort souples et fort traitables; car si vous châtiez votre enfant comme si vous n'aviez en vue que de vous satisfaire vous-même en le punissant d'une

faute passée qui vous a mis en colère, quel effet cette conduite peut-elle produire sur son esprit qu'il s'agit de redresser? Si cette faute n'était accompagnée d'aucune marque d'opiniâtreté, il n'était pas nécessaire d'en venir aux coups. Une douce et grave remontrance suffit pour corriger les fautes de fragilité, d'oubli ou d'inadvertance; et c'est là tout au plus ce que ces sortes de fautes peuvent mériter. Mais s'il y avait de la malice dans la volonté de l'enfant, si son action était l'effet d'une désobéissance formelle et déterminée, il ne faut pas alors régler le châtiment par le plus ou le moins d'importance de ce qui en a été le sujet, à le considérer en lui-même, mais par son opposition au respect et à la soumission qu'un enfant doit avoir pour les ordres de son père, et qu'il faut toujours exiger à toute rigueur. Dans ce cas-là les coups qu'on lui donnera par intervalles, ne doivent point cesser qu'ils n'aient fait impression sur son esprit, et que vous ne voyiez en lui des marques de honte, de repentir, et d'une sincère résolution de vous obéir.

J'avoue qu'il ne suffit pas pour cela d'imposer certains devoirs aux enfants, et de les battre sans autre façon dès qu'ils ne les remplissent point ou qu'ils ne s'en acquittent pas à notre fantaisie ; c'est une affaire qui demande des soins,

de l'attention et des observations exactes: il faut étudier exactement le tempérament des enfants, et bien peser leurs fautes, avant que d'en venir à cette épreuve; mais aussi cela ne vautil pas mieux que d'avoir toujours la verge à la main, comme l'unique moyen dont on puisse se servir pour bien élever les enfants; et que de rendre inutile ce remède, qui dans des extrémités peut être d'un grand usage, en y recourant à tout moment et en toute sorte d'occasions, de le rendre, dis-je, entièrement inutile lorsqu'il est effectivement nécessaire de l'employer? car peut-on s'attendre à autre chose, si l'on emploie indifféremment ce remède pour la moindre petite méprise, si pour une faute contre la syntaxe, ou pour une syllabe mal placée dans un vers, on est aussi exact à punir un enfant, d'ailleurs bien réglé et plein d'esprit, qu'un enfant malin et revêche pour un crime qu'il a commis volontairement? et comment peut-on espérer qu'une telle manière d'agir touche l'ame et la dispose à la vertu ! C'est pourtant là l'unique chose à laquelle il faut travailler; ce point une fois gagné, tout ce que vous pouvez désirer de plus suivra naturellement.

§ LXXXII.

Il ne faut pas battre les enfants pour de simples manquements.

sance,

Lors donc qu'il n'y a dans la volonté des enfants aucun travers à redresser, il n'est pas nécessaire d'en venir aux coups. Toutes les autres fautes où il ne paraît ni mauvaise disposition d'esprit, ni une envie de secouer l'autorité d'un père ou d'un gouverneur, ne sont que de simples méprises; et souvent on peut faire semblant de ne pas les voir, ou, si l'on en prend connaisil faut se contenter de les relever par de petits avis et de douces réprimandes, jusqu'à ce que les fréquents mépris qu'ils font de ces sortes de remontrances prouvent que la faute a sa source dans l'ame, et que la désobéissance vient d'une manifeste opiniâtreté. Mais toutes les fois que l'opiniâtreté paraît à visage découvert, ce n'est pas un mal à dissimuler ou à négliger; il faut le réprimer tout aussitôt, après avoir pourtant pris soin de se bien assurer que c'est une vraie obstination, et rien de plus.

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