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SECTION VIII.

DES FAUTES POUR LESQUELLES ON NE DOIT PAS CHATIER LES ENFANTS, et de celles QUI MÉRITENT CHATIMENT.

S LXXIV.

Manquements pour lesquels on ne doit pas chátier les enfants.

MAIS

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AIS pour revenir à l'usage qu'il faut faire des peines et des récompenses, puisque, selon ce que nous avons dit ci-dessus, les enfants ne doivent point être châtiés à l'occasion de leurs petits amusements, de leurs manières peu régulières, et de tout ce dont le temps et l'âgé les corrigeront infailliblement, il ne sera pas si nécessaire de battre les enfants qu'on le fait ordinairement; et si nous ajoutons à cela qu'ils ne doivent pas non plus être châtiés pour les manquements où ils peuvent tomber en apprenant à lire, à écrire,à danser, en apprenant les langues, le latin, le grec, etc., il ne restera que peu de raison d'en venir aux coups. Le vrai

moyen d'enseigner aux enfants ces sortes de choses, c'est de leur inspirer de l'inclination pour ce que vous voulez leur faire apprendre; car par-là vous exciterez leur industrie, et les engagerez à faire tous leurs efforts pour réussir dans ce que vous leur proposerez. Je ne crois pas que cela soit fort difficile à faire, pourvu qu'on ait soin de manier les enfants comme il faut, et de mettre en œuvre les récompenses et les punitions dont nous avons parlé ci-dessus; et qu'outre cela en les instruisant, on observe les règles suivantes.

S LXXV.

Il ne faut pas proposer aux enfants les choses sous l'idée de devoir.

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-1° Il faut premièrement faire en sorte que rien de ce qu'on veut apprendre aux enfants ne leur devienne onéreux, ou ne leur soit imposé comme une tâche à fournir nécessairement. Toutes les choses qui sont proposées sous cette idée deviennent aussitôt ennuyeuses et désagréables. Dès lors l'esprit les regarde avec aversion, quoique auparavant elles lui plussent, ou lui fussent indifférentes. Ordonnez à un enfant de fouetter chaque jour son sabot durant un certain temps, soit qu'il venait envie ou non :

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exigez cela de lui comme un devoir à quoi il soit obligé d'employer certaines heures le matin et l'après-midi, et vous verrez qu'il sera bientôt dégoûté de ce jeu et de tout autre à de pareilles conditions. Eh! n'en est-il pas de même des hommes faits? ce qu'ils font de leur bon gré avec plaisir ne leur est-il pas à charge dès qu'ils voient qu'on les y oblige par devoir? Ayez des enfants telle idée qui vous plaira, il est certain qu'ils n'ont pas moins d'envie que le plus orgueilleux d'entre nous autres hommes de faire voir qu'ils sont libres, qu'ils font de bonnes actions de leur propre mouvement, et qu'ils sont absolus et indépendants.

S LXXVI.

Il faut avoir égard à l'humeur des enfants en les instruisant.

2o Une autre chose qu'il faut observer dans l'instruction des enfants, et qui est une suite de ce que nous venons de dire, c'est qu'on ne doit les obliger à faire les choses pour lesquelles on leur a inspiré de l'inclination que dans le temps qu'ils y sont portés. Une personne qui se plaît à lire, à écrire, à chanter, etc., se trouve quelquefois d'une telle humeur, que ces choses ne lui plaisent point du tout; et si dans ce temps-là

elle veut se forcer à y appliquer son esprit, elle ne fait que se tourmenter et se chagriner inutilement : il en est de même des enfants. Il faut donc observer avec soin le changement qui arrive à leur humeur, et être toujours prêt à profiter du temps auquel ils sont bien disposés pour certaines choses, afin de les engager alors à s'y appliquer; que s'ils ne sont pas assez souvent portés d'eux-mêmes à apprendre ce qu'on veut leur enseigner, il faudrait les y disposer adroitement par quelque discours préliminaire. C'est là, je pense, ce qui ne serait pas fort difficile à un habile gouverneur qui étudierait le tempérament de son élève, et qui voudrait se donner la peine de lui remplir l'esprit d'idées propres à le passionner pour le sujet dont il a dessein de l'entretenir. On épargnerait par-là beaucoup de temps, sans causer aux enfants aucun ennui: car un enfant qui est d'humeur de s'attacher à une certaine chose, y fera alors trois fois plus de progrès que s'il y employait le double de temps et de peine lorsqu'il s'y applique à contre - cœur et malgré lui. Si l'on avait égard à cela comme on devrait, l'on pourrait permettre aux enfants de badiner et de jouer jusqu'à en être las, et il leur resterait cependant assez de temps pour apprendre tout ce qui est à la portée de chaque âge: mais c'est une chose qui n'est

ni ne peut guère être considérée dans la méthode ordinaire d'élever les enfants. Cette méthode, qui consiste à faire tout par le moyen de la verge, est fondée sur d'autres principes; comme elle n'a rien d'engageant, elle ne se met pas en peine de considérer l'humeur présente des enfants, elle n'y a aucun égard, et ne songe point à chercher les moments favorables où leur inclination pourrait se réveiller; et en effet, il serait ridicule d'attendre qu'un enfant se portât de lui-même à quitter ses divertissements, et qu'il recherchât librement et avec plaisir les occasions d'apprendre, après que la contrainte et les coups lui ont inspiré de l'aversion pour sa tâche. Cependant si l'on s'y prenait comme il faut, le temps que les enfants emploieraient à apprendre les choses qu'on voudrait leur enseigner, servirait autant à les délasser de leurs jeux, que leurs jeux servent à les délasser de la peine qu'ils prennent à apprendre ces choses. Le travail est égal des deux côtés, et ce n'est pas là ce qui chagrine les enfants; car ils aiment à être occupés, et naturellement ils se plaisent au changement et à la diversité des occupations. Le seul avantage qu'ils trouvent en ce qu'on nomme jeu et divertissement, c'est qu'ils s'y appliquent par un pur mouvement de leur liberté, et qu'ils y emploient de gaieté de cœur

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