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merce avec eux; car la contagion de ces exemples, également contraires à la politesse et à la vertu, gâte étrangement l'esprit des enfants toutes les fois qu'ils y sont exposés ; ils apprennent souvent d'un valet mal élevé ou débauché (1) des discours, des manières indécentes et des vices qu'autrement ils auraient peut-être ignorés toute leur vie.

S LXXI.

Moyen de remédier à cet inconvénient.

Il est fort difficile de prévenir tout-à-fait cet inconvénient. Vous serez bienheureux sans doute si vous n'avez jamais des domestiques gros

(1) Il me souvient à ce propos d'un fait très-curieux que j'ai appris d'un seigneur anglais, plus distingué par son mérite, son savoir et ses grands talents, que par sa naissance, l'une des plus illustres et des plus anciennes du royaume. Une jeune princesse d'Orange étant en colère contre une femme de chambre, et ne sachant où trouver des mots pour exhaler son ressentiment, fut réduite à l'appeler sale, vilaine, assiette d'étain*. Si cette princesse eût été abandonnée à la compagnie des domestiques, elle n'aurait pas manqué de termes grossiers et offensants que les domestiques ne laissent jamais ignorer aux enfants de bonne maison qui les fréquentent: car c'est la première chose qu'ils leur apprennent; et, pour l'ordinaire, les enfants retiennent si bien ce langage, que, devenus hommes, il n'est plus en leur pouvoir de s'en défaire.

Nasty, greasy, pewterplate.

siers ou vicieux, et que vos enfants ne prennent jamais d'eux aucune mauvaise habitude: mais on ne doit rien négliger pour parer ce coup; il faut que les enfants soient, autant qu'il est possible (1), dans la compagnie de leurs parents,

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(1) « Vous pouvez voir dans Suétone (vie d'Auguste, « ch. 64, et dans la vie de Caton le Censeur composée par Plutarque) combien chez les Romains les parents se « croyaient obligés de prendre soin eux-mêmes de l'éduca« tion de leurs enfants. » Cette note est de M. Locke, et c'est la seule qu'il ait insérée dans cet ouvrage. Comme je crois que peu de lecteurs seront d'humeur d'interrompre leur lecture pour aller consulter les anciens que M. Locke vient de citer, je vais transcrire ici tout d'un temps ce que ces citations renferment de plus considérable. Dans celle de Suétone, cet auteur nous dit que « pour l'ordinaire Auguste « enseignait lui-même à écrire à ses petits-fils; qu'il leur « apprenait à écrire en chiffres et autres semblables choses; qu'il les faisait souper avec lui, et que lorsqu'il voyageait, il les faisait aller devant lui, en litière ou à cheval « à ses côtés. » Nepotes, et litteras, et natare, aliaque rudimenta per se plerumque docuit. Neque cœnavit unà, nisi ut in imo lecto adsiderint ; neque iter fecit, nisi ut vehiculo anteirent, aut circà adequitarent. Dans la vie de Caton le Censeur, Plutarque nous apprend que cet illustre Romain, «< ayant eu un fils, en prit un soin tout particulier dès le berceau; de sorte qu'il quittait toutes sortes d'affaires, excepté celles qui intéressaient le public, pour se rendre « chez lui, lorsque sa femme qui allaitait elle-même cet enfant, devait le laver ou le remuer; et quand il fut par« venu à l'âge de raison, et qu'il commença à être capable te d'apprendre, Caton lui enseigna les lettres lui-même,

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et de ceux qui sont chargés du soin de leur éducation. Pour cet effet il faudrait faire en sorte que les enfants trouvassent du plaisir dans la compagnie de leurs gouverneurs, qu'ils y jouissent en leur présence de toute la liberté qui convient à leur âge, et qu'ils n'y fussent gênés par aucune défense inutile. Si cette compagnie leur tient lieu de prison, il n'est pas surprenant qu'ils ne s'y plaisent point; il ne faut pas les empêcher d'être enfants, de badiner et d'agir en enfants, mais seulement de faire du mal : hors de là, tout leur doit être permis. Enfin,

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quoiqu'il eût un esclave honnête homme, et bon gram« mairien, qui les enseignait à beaucoup d'autres. Il ne « voulut pas, comme il le dit lui-même, que son fils fût obligé à un esclave d'une chose si précieuse, ni qu'il fût repris ou châtié par un esclave lorsqu'il manquerait à son « devoir. C'est pourquoi il lui enseigna lui-même la gram«< maire, le droit et toutes sortes d'exercices nécessaires à <«< un homme de guerre, comme à lancer le javelot, à voltiger, à piquer un cheval, à manier l'épée, etc., à com<«< battre à coups de poings, à souffrir le froid et le chaud, « et à traverser à la nage des rivières rapides. On dit outre «< cela qu'il composa des histoires, et les écrivit de sa propre «< main en gros caractère, afin que son fils connût, avant << que d'entrer dans le monde, les grands hommes des « siècles passés, et leurs belles actions, pour se former sur «< ces grands modèles et il se donnait autant de garde, ajoute. Plutarque, de prononcer des paroles sales en la • présence de son fils, que s'il eût été dans la compagnie << des Vierges vestales.

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pour les mieux engager à se plaire en la compagnie de leurs parents, il faudrait qu'ils y reçussent de leurs mains tout ce qu'on veut leur donner qui peut leur faire du plaisir; et en même temps il faudrait empêcher que les domestiques leur fissent la cour en leur donnant des liqueurs fortes, du vin, des fruits, de petites bagatelles pour les amuser, et toute autre chose qui pourrait les engager à aimer leur conversation.

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SECTION VII.

IL EST BON QUE LES ENFANTS SOIENT ÉLEVÉS DANS LA MAISON DE LEURS PÈRES.

S LXXII.

Si les enfants doivent être élevés dans la maison de leurs pères.

APRÈS avoir parlé de la compagnie qu'on doit donner aux enfants, je suis presque tenté de quitter ici la plume: car puisque la compagnie qu'ils fréquentent fait plus d'impression sur leur esprit que tous les préceptes, toutes les règles et toutes les instructions imaginables, il me semble qu'il n'est presque plus nécessaire de faire un long discours sur les autres précautions qu'il faut prendre pour les bien élever, et de traiter un sujet sur lequel il n'y a presque plus rien à dire qui ne soit inutile. « Mais, me di<«<rez-vous aussi-tôt, que ferai-je donc de mon <<< enfant? Si je le tiens toujours à la maison, il « est à craindre qu'il ne se mêle de tout sans

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