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ni rampant, est exempt de fierté et d'insolence, et n'est entaché d'aucun défaut considérable. On se plaît aussi aux actions qui partent naturellement d'un esprit si bien fait, on les regarde comme de vraies marques de cette aimable disposition intérieure ; et comme ces actions en découlent, pour ainsi dire, de source, elles sont naturelles et sans aucun mélange de contrainte. C'est en cela que consiste, à mon avis, l'agrément qui éclate dans les actions de certaines personnes, lequel donne du lustre à tout ce qu'elles font, et leur gagne le cœur de tous ceux qui les approchent, lorsque par une constance pratique, elles ont si bien réglé leur extérieur, et se sont rendu si aisées toutes ces démonstrations de respect et de civilité que la nature ou la coutume ont introduits dans la conversation, qu'elles ne paraissent point artificielles ou étudiées, mais partir naturellement d'un cœur bien fait, qui ne respire que dou

ceur.

D'un autre côté, l'affectation est une imitation grossière et forcée de ce qui doit être naturel et aisé: imitation destituée du charme qui accompagne la vraie nature, à cause de l'opposition qu'elle met toujours entre l'action extérieure et les mouvements intérieurs de l'esprit, de l'une de ces deux manières, pre

mièrement, lorsque par des airs forcés on tâche de faire paraître au-dehors une disposition d'esprit qu'on n'a pas véritablement alors; mais de telle sorte que la contrainte qu'on se donne, éclate d'elle-même : c'est ainsi que les hommes affectent quelquefois de paraître tristes, gais ou affables lorsqu'en effet ils ne le sont point.

2° L'harmonie qui devrait être entre les actions extérieures et la disposition intérieure de l'esprit, est encore troublée par l'affectation, lorsque, sans tâcher de faire paraître une disposition d'esprit qu'on n'a pas véritablement, on exprime celle où l'on se trouve par des manières qui n'y ont aucun rapport: les gens qui pèchent de ce côté-là sont toujours gênés dans la conversation; leurs mouvements, leurs actions, leurs paroles et leurs regards, quoique destinés à témoigner du respect et de la civilité, ou bien le plaisir et la satisfaction 'qu'ils en reçoivent, ne sont point des signes naturels de l'une ou de l'autre de ces deux choses, mais plutôt de quelque défaut qui est en eux: Cette espèce d'affectation vient souvent en grande partie de ce qu'on songe à imiter d'autres personnes sans distinguer ce qu'elles ont d'agréable, où ce qui est particulier à leur caractère. Du reste, toute sorte d'affectation est choquante de quelque part qu'elle vienne, parce que nous avons une aversion na

turelle pour tout ce qui est contrefait, et que nous méprisons ceux qui ne peuvent se rendre recommandables que par une fausse imitation.

La simple et grossière nature, abandonnée à elle-même, vaut mieux qu'une mauvaise grace artificielle, et que toutes ces manières étudiées de déguiser et de corrompre le naturel au lieu de le corriger. S'il y a quelque défaut dans nos manières, ou qu'il nous manque quelque perfection pour avoir toute la politesse possible, tout cela échappe bien souvent aux yeux et à la censure des hommes; mais par-tout où l'affectation paraît, elle éclaire nos défauts, les expose infailliblement au jour, et ne manque jamais de nous faire regarder comme des gens privés de sens et de sincérité. Un gouverneur doit donc prendre d'autant plus de soin de prévenir ce défaut, qu'il n'est jamais naturel, mais produit, comme j'ai déja remarqué, par une éducation malentendue car il ne se trouve guère que dans des gens qui se piquent d'être bien élevés, et qui seraient fort fâchés qu'on crût qu'ils ignorent les règles et les bienséances que les personnes

bien nées observent en conversation. C'est d'ailleurs un mal qui vient fort souvent, si je ne me trompe, de ce qu'un gouverneur en avertit mollement son élève, se contentant de lui donner des règles, et de lui proposer des exemples

sans joindre la pratique à ses instructions, c'està-dire, sans exiger qu'il refasse en sa présence l'action où il a paru s'éloigner de la nature, en corrigeant effectivement ce qu'elle a de malséant on de forcé; et cela jusqu'à ce qu'il ait acquis l'habitude de la faire sans contrainte et de bonne grace.

SECTION VI.

DE L'EXTÉRIEUR DES ENFANTS QUEL SOIN L'ON DOIT

EN PRENDRE.

§ LXIX.

Ce qu'on doit faire pour inspirer la politesse aux enfants.

POUR parler plus particulièrement ici de ce qu'on nomme les manières qui causent si souvent de l'embarras aux enfants, et sur quoi de bonnes gouvernantes qui sont auprès d'eux, leur donnent tant de jolis avertissements, je crois qu'on doit les y former plutôt par des exemples que par des préceptes; et alors, si l'on a soin de les éloigner des mauvaises compagnies, ils feront gloire de prendre les manières agréables et polies qu'ils remarqueront dans d'autres personnes, voyant qu'ils s'attireront par-là l'estime et l'approbation de tout le monde. Mais si, par une petite négligence dans ce point, un jeune enfant ne lève point le chapeau, ou ne fait pas la révérence de fort bonne grace, un maître à

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