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juif de religion, et Espagnol de naissance; et qu'en supposant même que Benjamin de Tudèle ait visité lui-même les contrées qu'il a décrites, if ne seroit pas encore certain qu'il se fût avancé au-delà d'Ispahan.

Les voyages généraux, c'est-à-dire, ceux qui ont été entrepris à travers la plus grande partie de l'Asie, occupent M. Murray dans son premier livre: il en commence la série à l'irruption des Mongols, événement qui, comme nous avons eu occasion de le montrer ailleurs en détail (1), marque effectivement l'époque des premiers progrès des Européens dans la géographie et dans d'autres connoissances utiles. L'analyse des relations d'Ascelin, de Carpin, de Rubruquis et de Marc-Pol, occupe les trois premiers chapitres; elle ne diffère en rien d'essentiel de celle que Forster a donnée des mêmes voyages (2). Comme cet auteur allemand, qu'il a pris pour guide autant qu'il l'a pu, M. Murray a méconnu l'objet du voyage d'André de Lonjumel, intermédiaire entre la mission de Plan Carpin et celle de Rubruquis (3). Dans le chapitre IV, où il rend compte des voyages d'Odéric de Portenau et de Jean de Mandeville, il passe sous silence celui de Haython, qui méritoit au moins une mention, tout Arménien qu'il étoit, puisque sa relation a paru primitivement en français. En revanche, il consacre un article à Ricold de Montecroix, dont Forster n'avoit pas parlé. Enfin, dans un cinquième chapitre, il complète ce qu'il avoit à dire des découvertes faites en Asie dans le moyen âge, par une notice sur Clavijo et Schildtberger; le premier, ambassadeur de Henri III, roi de Castille, à la cour de Timour; le second, dont l'auteur anglais ne paroît avoir connu la relation que par l'extrait qu'en a donné Forster, officier allemand pris par les Turcs en Hongrie, puis repris par les troupes de Timour, à la bataille où Bajazet fut lui-même fait prisonnier, et emmené en Tartarie. Le dernier voyage, qui se rapporte à la même époque, est celui des ambassadeurs de Schah-Rokh à la cour de la Chine; mais, ainsi que l'auteur lui-même en fait la remarque, ce voyage fut exclusivement exécuté par des Asiatiques. J'ajouterai que, comme c'est le hasard seul qui a fait qu'on a tiré des livres persans la relation de cette ambassade,

(1) Dans deux Mémoires sur les relations politiques des souverains chrétiens avec les empereurs mongols; Mémoires dont le premier a déjà paru dans le tome VI de la nouvelle Collection de l'Académie des belles-lettres. (2) Hist. des découvertes et des voyages faits dans le nord, tom. I, p. 152 et suiv. (3) Voyez les Mémoires précédemment cités, tom. VI, p. 445. Forster n'a dit qu'un mot du Voyage d'André (tom. 1, p. 157), et ce mot est une erreur.

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et qu'on l'a traduite il y a un peu plus de cent ans (1), elle n'avoit jusque là contribué en rien au progrès de la géographie; et qu'il n'y avoit conséquemment nulle raison de lui donner place dans un ouvrage exclusivement consacré aux découvertes des Européens.

Depuis qu'on a doublé le cap de Bonne-Espérance, la navigation des occidentaux dans les mers de l'Inde a été si étendue, que les matériaux qu'on pourroit accumuler, dans la vue de faire connoître le progrès des découvertes sur les côtes méridionales de l'Asie, sont trop nombreux pour être susceptibles d'analyse. M. Murray s'est donc vu forcé de se rendre encore plus difficile dans son choix, et il s'est borné à présenter, dans son sixième chapitre, ceux qui, par la variété des contrées parcourues, ou par quelque autre raison, pouvoient être l'objet d'un intérêt particulier. Mendez Pinto, Antoine Albuquerque, et trois voyageurs anglais du XVII. siècle, envoyés par la compagnie des Indes orientales dès les premiers temps de son existence, sont les seuls dont les relations lui aient paru mériter d'être présentées par extrait, parmi celles qui ont pour objet les côtes de l'Asie méridionale; il ne pouvoit se dispenser de consacrer un article à ce Pinto, si décrié chez ses contemporains, que Shakespeare a fait de son nom une sorte d'injure, en mettant ces paroles dans la bouche d'un de ses personnages: Ferdinand Mendez Pinto was but a type of thee; thou liar of the first magnitude. Parmi les trois voyageurs anglais, il en est un dont le nom ne se trouve pas dans les dictionnaires biographiques, et dont la relation n'existe qu'en manuscrit dans le muséum britannique: c'est sir Thomas Grantham, qui fut envoyé dans les mers de l'Inde, pendant les années 1683 et 1684, pour le service de la compagnie. M. Murray a pensé avec raison que cette relation n'étant pas à la disposition du public, il convenoit d'en faire connoître les points les plus importans.

Le règne d'Édouard VI peut passer pour l'époque d'où datent les entreprises commerciales des Anglais. Animés par l'exemple des Fortugais, mais non encore en état de rivaliser avec eux dans les contrées orientales, plusieurs marchands de Londres, réunis en compagnie, formèrent un plan pour découvrir par le nord un passage dans les mers de l'Inde. Ce projet, qui n'eut pas le succès qu'on en avoit attendu, procura néanmoins des découvertes intéressantes, et orit aux négocians anglais un chemin vers les contrées centrales de l'Asie, par la

(1) Witsen, Noord en Oost Tartarye, 2. édit. p. 435. Voyez aussi la Traduction de Chambers, et les Ambassades réciproques d'un roi des Indes, c.; par M. Langlès.

Russie, le Wolga et la mer Caspienne. M. Murray a réuni dans un chapitre les relations des voyageurs qui ont suivi cette route, et dont les courses se rapportent à cette époque. La plus célèbre est celle de Jenkinson. Celle de Cubero l'est moins; mais elle n'est pas aussi peu connue que le suppose notre auteur, puisqu'elle a été imprimée à Madrid, et qu'elle n'est pas fort rare. Le chapitre qui suit renferme les voyages exécutés par terre, de l'Europe dans l'Inde; et celui qui vient après, les voyages entrepris pour passer de l'Inde à la Chine, ou de la Chine dans l'Inde. Ce sont ceux des PP. d'Andrada, Grueber et Dorville, Desideri et Horace de la Penna. Les deux premiers sont trèsconnus: on ne sait de celui du P. Desideri que ce qu'il en a dit luimême dans deux lettres qui ont été imprimées. Quant au P. Horace, dont la relation est rare, M. Murray lui reproche d'avoir insisté plutôt sur l'état et les espérances de la mission catholique dans le Tibet, que sur les circonstances de son voyage, ou sur les particularités qu'il avoit pu observer: c'est que M. Murray n'a pas su que la relation du P. Horace, imprimée à Rome, n'étoit que la moindre partie du travail que ce missionnaire avoit rédigé, et qu'il avoit en outre composé, sous le titre de Descrizione del gran regno di Tibet, un ouvrage dont le P. Giorgi a beaucoup fait usage, quoique avec peu de discernement, et dont il existe un manuscrit à Paris.

M. Murray rend compte ensuite des tentatives faites à diverses époques pour pénétrer dans le Cathay, c'est-à-dire, dans le nord de la Chine, par la Tartarie et la petite Boukharie : la principale est celle de Goez, dont le P. Trigault nous a conservé l'histoire (1). M. Murray parle de quelques autres entreprises du même genre; mais je ne sais pour quoi il comprend dans la même série l'itinéraire de Pegoletti. II semble qu'il eût dû en présenter l'analyse à la suite de celle des voyages de Marc-Pol, de Mandeville et d'Odéric de Frioul. Pegoletti est dụ même temps que ces derniers, et il a puisé aux mêmes sources, si, comme il est permis de le conjecturer, son Avvisamento n'est pas plutôt une réunion de notions géographiques empruntées à divers auteurs, qu'un résultat de ses observations personnelles.

M. Murray termine cette partie de son travail par une revue des systèmes géog aphiques dont l'Asie a été l'objet depuis les temps les plus anciens, et des variations que ces systèmes ont subies par la succession des découvertes. Il semble que cette revue eût été plus convenablement placée dans l'introduction, dont elle offre à certains égards

(1) De Christ. exped. I. v, c. 11.

une répétition. Cependant il y a ici quelques observations nouvelles; et, quoique l'auteur ait puisé aux sources ordinaires, il n'a pas laissé d'émettre quelques idées qui lui sont propres, et qui mériteroient d'ètre prises en considération, si fa limite des connoissances des anciens du côté de l'orient offroit un jour matière à quelques discussions nouvelles.

C'est à partir du second livre, que les recherches de M. Murray commencent à s'appliquer spécialement aux différentes régions; et c'est par l'Hindoustan, contrée que sa situation, son étendue et son antique renommée placent au premier rang parmi les grandes divisions de l'Asie, que s'ouvre cette nouvelle série d'observations et de discussions. Le livre I se rattache encore à l'Inde par son objet, puisqu'il embrasse les voyages entrepris dans les pays fimitrophes de l'Hindoustan, aux monts Himâlaya, aux sources du Gange, dans le Tibet, le Nipol et le Kaboul. La matière de ces deux livres est si riche, qu'elle remplit tout un.volume: le quatrième livre est consacré à l'Asie occidentale, et contient l'extrait des relations de voyages en Perse, à la Terre sainte, dans la Turquie d'Asie et l'Arabie. Le cinquième renferme la description de la presqu'île ultérieure, de la Chine et du Japon, et le dernier les voyages dans l'Asie septentrionale, le Caucase et la Sibirie.

La marche de l'auteur est à-peu-près la même dans ces différentes parties. Il examine successivement les descriptions que chaque voyageur a faites d'un même pays, en commençant par les plus anciens et en venant jusqu'à ceux de nos jours. Pour l'Hindoustan, par exemple, il remonte jusqu'à Cosmas, analyse les relations de Nicolo Conti, de Jérôme de Saint-Etienne, d'Abdulrizak et de Louis Barthema. La conquête de l'Inde par les Portugais est l'époque d'un changement qui oblige l'auteur à multiplier ses extraits, et l'arrivée des Anglais dans l'Hindoustan est un autre événement du même genre, qui fournit de nouveaux détails et exige de plus grands développemens. Après avoir épuisé ainsi la série chronologique des voyages qui ont rapport à un même pays, M. Murray en décrit l'état présent, en faisant usage des matériaux les plus exacts et les plus récens qu'il ait pu se procurer. C'est ainsi que, dans le même livre qui contient l'histoire des voyages dans l'Inde, quatre chapitres sont consacrés à une revue géographique et statistique de l'Hindoustan, à un exposé de la religion et de la littérature des Hindous, à des détails sur leurs moeurs et sur les castes, &c., et à un tableau de la puissance britannique dans ces contrées. Beaucoup de personnes aimeront à trouver ainsi dans un ouvrage de peu d'étendue, des faits et des particularités qu'il leur faudroit chercher dans une multitude de livres difficiles à réunir. Mais ce travail de compilation n'est pas

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celui que les lecteurs savans et judicieux estimeront le plus. L'analyse des citations de voyages, celles sur-tout qui remontent à des époques anciennes, où les noms des lieux sont corrompus, les positions mal indiquées, les faits réels défigurés par des fables, exige des connoissances et une sagacité que n'ont pas toujours ceux qui rédigent ces sortes de collections, et que M. Murray nous paroît posséder à un degré assez éminent. On peut donc dire qu'il a tracé une bonne esquisse. de l'histoire des découvertes en Asie; car, vu l'immensité de la matière, on ne peut imaginer qu'il ait voulu faire autre chose qu'une esquisse, en trois volumes in-8.

Les quatre cartes que M. Murray a jointes à son ouvrage, nous ont paru généralement bien composées, sur-tout pour les parties les plus connues de l'Asie. Quant aux parties centrales, et à la Tartarie en particulier, elles fourmillent d'erreurs, dont plusieurs proviennent de ce que l'auteur, écrivant en Angleterre, a, comme à l'ordinaire, négligé de consulter les ouvrages récemment publiés sur le continent. On n'y trouve pas seulement ce double Kaschgar (Cashgar et Cashgur), imaginé par quelques géographes anglais depuis le voyage de M. Élphinstone au Caboul, pour concilier des rapports recueillis dans ce dernier pays, avec la position donnée à la ville de Kaschgar sur nos mauvaises cartes de la Boukharie; on voit encore Kara koroum placé à deux endroits, suivant d'Anville et suivant Fischer, quoiqu'il n'y ait plus à présent le moindre doute sur les causes qui avoient induit en erreur le savant géographe français, et ce même nom de Kara koroum donné comme synonyme de Mous-tagh à la chaîne de montagnes qui sépare le petit Tibet du pays de Yekiyang et de Khotan. Ce dernier pays offre aussi plusieurs noms altérés ou mal appliqués. Les deux rivières de Kara-kasch et de Yoroung- kasch (jaspe noir et jaspe vert), y sont transformées en villes sous les noms de Karakaisch et de Gurumskach (1). Les auteurs de cartes de géographie n'ont pas toujours un soin dont ils ne devroient jamais se départir; c'est, quand ils ignorent les langues des pays qu'ils veulent représenter, de consulter ceux qui les ont apprises. Faute de cette précaution, les meilleures cartes se remplissent de dénominations corrompues, de mots défigurés, mal orthographiés, et de doubles empois. Ces indications fautives se perpétuent et passent de cartes en cartes en se détériorant de plus en plus. La petite Boukharie semble privilégiée en ce genre: on y voit toujours une certaine ville

(1) Hist. de la ville de Khotan, p. 108. Hist, de Timur-bec, tom. III, p. 219.

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