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mie, la gaîté, les manières simples et franches d'Henri IV, trop gravées dans le souvenir pour être altérées sur la Scène, ne sont point tragiques. On a reproché avec raison, à Legouvé, le caractère qu'il a si injustement donné au duc d'Epernon, et qui le rend odieux.

Le récit de la mort du Roi a produit le plus grand effet; nous allons le rapporter :

ACTE QUATRIÈME ET DERNIER.

HENRY IV.

Des citoyens les transports douloureux
Egalent la rigueur de ce coup désastreux.
Quel spectacle.... D'abord la voiture fermée
A caché son trépas à leur vue alarmée;
Et ses restes sanglans vers les augustes lieux
S'avançoient ramenés d'un pas silencieux.
De ce sombre mystère encore plus inquiète,
La foule les suivoit, triste, pâle, et muette,
Et sembloit, en silence attendant son malheur,
Dans son âme tremblante amasser la douleur.
Mais à peine on arrive, à peine se découvre
Ce corps inanimé, que l'on transporte au Louvre,
Ce ne sont que des cris, des larmes, des sanglots;
L'air retentit au loin de ces lugubres mots :

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Malheureux, que du ciel accable la colère,

Nous perdons en ce jour notre appui, notre père !
Quel exécrable monstre a pu percer jamais

« Ce cœur qui chaque jour médita des bienfaits ? »
En rappelant ainsi sa bonté, sa vaillance,
Le peuple sur son corps avec ardeur s'élance!
Il le couvre de pleurs, cherche à le ranimer,
En l'approchant des coeurs dont il se fit aimer.
Mais, trop sûrs que ce soin ne peut rien sur sa vie,

Leur chagrin s'aigrissant va jusqu'à la furie :

Les uns poussent au ciel les plus horribles vœux ;
D'autres frappent leur sein, arrachent leurs cheveux;
Ceux-ci courent au loin comme des frénétiques;
Ceux-là, du Louvre même embrassent les portiques :
Plus d'un y tombe mort, plus d'un autre, en hurlant,
Se roule et se meurtrit sur le pavé sanglant:
Enfin, chacun maudit et veut fuir la lumière,
Et l'affreux désespoir remplit la ville entière.
Ah! qui mérita mieux d'aussi touchans regrets!
Sa mort ne mettra pas en deuil les seuls Français:
Elle ira, de sa gloire en tous lieux escortée,
Jeter l'affliction dans l'Europe attristée;

De nos ennemis même elle obtiendra les pleurs ;
Elle sera l'objet des plus longues douleurs :
Et, parlant comme nous de ce roi qu'on adore,
Nos derniers descendans le pleureront encore.

Legouvé a composé deux autres tragédies, Éthéoclé et Quintus-Fabius; mais la mort l'a enlevé trop tôt aux lettres. De longs chagrins ont été, dit-on, la cause de l'état cruel dans lequel il étoit tombé, et de sa fin douloureuse. Ce poëte est universellement regretté.

POÉSIES DRAMATIQUES.
DE LA COMÉDIE.

DESTOUCHES.

Le premier poëte comique du 18 Siècle est Destouches; une grande partie de ses ouvrages ne se jouent plus, tels que, le Curieux impertinent, l'Ingrat, l'Obstacle imprévu, l'Ambitieux, le Médisant, l'Enfant gâté, etc.

La Fausse Agnès, le Tambour nocturne, imité d'une pièce anglaise, et le Dissipateur, ne furent représentées qu'après la mort de l'auteur.

Le Tambour nocturne amuse, quand le rôle de Pincé, vieil intendant aux trois raisons, est bien joué. Préville en assura le succès. Le Dissipateur dut le sien à deux scènes: l'une est empruntée de Regnard; l'autre est celle où le dernier valet du Dissipateur veut partager, avec son maître ruiné, tout ce qu'il possède. Mais le rôle de la maîtresse du Dissipateur, qui reçoit ses présens, et même les sollicite, qui enfin, complette la ruine de son amant, à la vérité dans le dessein de le corriger, manque de décence, et révolte la délicatesse, malgré le généreux projet qui la fait agir.

Le triple Mariage n'offre rien de neuf, et point d'intérêt. Un père, son fils et sa fille se sont mariés secrètement; les trois mariages n'amènent qu'un bal où chaque personnage se déclare marié à mesure qu'il se démasque.

L'Irrésolu eut peu de succès, quoique les scènes de l'Irrésolu, avec les deux femmes entre lesquelles son cœur hésite à faire un choix, soient bien dialoguées. La pièce finit par un vers de caractère singulièrement heureux, lorsque l'Irrésolu dit, après s'être enfin déterminé pour Julie :

J'aurois mieux fait, je crois, d'épouser Célimène.

Le Philosophe marié, et le Glorieux, sont bien au-dessus de ce que nous venons de citer; ces pièces assurèrent la réputation de Destouches. Il y a, dans le Philosophe marié, de la conduite, de l'intérêt, des situations, et d'heureux contrastes; cependant, quoiqu'il soit naturel qu'Ariste cache son mariage à son oncle, dans la crainte d'en être déshérité, on est étonné qu'un philosophe montre tant de confusion d'être marié, parce qu'il a fait auparavant des plaisanteries sur le mariage. La pièce est égayée par le rôle de Céliante; le cinquième acte est bien conçu, le dénoûment ne laisse rien à désirer.

Malgré l'exagération du principal caractère, et de l'invraisemblance dans l'intrigue, le Glorieux eut le plus grand succès, et fit beaucoup d'honneur à Destouches. Cette pièce est d'un comique bien entendu : rien de plus heureux que d'opposer au comte de Tufière, qui porte si haut les prérogatives de la naissance, un épais financier, qui croit que ses richesses le mettent au niveau de tout le monde, et dont la familiarité déconcerte à tout moment, et de la manière la plus plaisante, la morgue du Glorieux. L'auteur a motivé suffisamment la complaisance du Comte par le besoin qu'il éprouve de réparer sa fortune en épousant la fille du riche Lisimond; il n'a pas si bien justifié le désir qu'éprouve le financier de voir sa fille Comtesse. La pièce est d'ailleurs conçue de manière à

mettre sans cesse l'orgueil en souffrance, et toujours par des moyens aussi naturels que les effets en sont comiques. Ce qu'il y a peut-être de meilleur dans l'ouvrage, c'est d'avoir donné au Comte, un père dont la pauvreté humilie ses prétentions fastueuses; contraste qui amène une scène excellente entre le Glorieux et son père, qu'il veut faire passer pour son intendant; et le coup de théâtre, vraiment comique, produit par un seul mot dans la reconnoissance,

sa

sæur femme de chambre! C'est encore un grand art que de n'avoir rendu ni vil, ni odieux, le principal personnage qui doit être à la fois heureux et corrigé. En vain il rougit de l'indigence de son père; la nature l'emporte quand elle réclame ses droits, et le Glorieux tombe aux genoux de ce père qui a recouvré sa fortune, et qui ne l'apprend à son fils qu'alors qu'il a été vaincu par l'amour filial. Il récompense, dans sa fille, une conduite vertueuse en l'unissant à Valère. Le rôle de Philinte a de la finesse, ceux de Lafleur et de Pasquin ont du comique; l'élégance de la versification, un dialogue semé de ces traits heureux, de ces vers qui sont devenus proverbes, achèvent de placer cette comédie parmi les meilleurs ouvrages du dix-huitième Siècle, Cette boutade de Lisimond est très-comique :

Suivi de ma famille

Dois-je venir ici vous présenter ma fille,
Vous priant à genoux de vouloir l'accepter ?
Si tu te l'es promis, tu n'as qu'à décompter!

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