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pourquoi ? Parce que celles-ci vont être soûles de mon sang; si vous les chassez, il en viendra d'autres plus affamées qui me suceront ce qui m'en reste. »

Telle fut la poésie dès sa naissance. On verra, par la suite de ce Cours, que ses premières compositions servirent de modèles aux écrivains de tous les siècles. Comme ces génies créateurs ne parurent qu'à de longues distances les uns des autres, nous avons cru devoir les réunir dans une Introduction avant de passer à ces grandes époques littéraires qui reçurent leurs noms du souverain qui les protégea, ou du siècle qu'elles illus

trèrent.

DE LITTÉRATURE

ANCIENNE ET MODERNE.

PREMIÈRE PARTIE.

SIÈCLE DE PÉRICLÈS.

Le célèbre Périclès, dont les grandes qualités secondoient les vues ambitieuses, avoit à Athènes un pouvoir si absolu, que, sous un gouvernement républicain, il rendit ce pouvoir presque monarchique. Il s'étoit fait pardonner sa ressemblance avec Pisistrate, que les vieillards qui avoient connu ce tyran croyoient retrouver en lui; c'étoient, avec les mêmes traits, le même son de voix, le même talent de la parole. Périclès devoit à la nature d'être le plus éloquent des hommes; ce qui lui attira le surnom d'Olympien, par lequel on vouloit marquer que son éloquence tenoit quelque chose des foudres de Jupiter. Il devoit à Anaxagore et aux hommes célèbres qui élevèrent son enfance, cette profondeur, cette plénitude de lumières, cette force de style qu'il

savoit adoucir au besoin; ces graces qu'il ne négligeoit point, mais qu'il n'affecta jamais; et tant d'autres qualités qui le mirent en état de persuader ceux qu'il ne pouvoit convaincre, et d'entraîner ceux qu'il ne pouvoit ni convaincre, ni persuader.

Périclès vouloit faire reconnoître Athènes pour la Maîtresse des villes grecques; en même temps il prenoit si bien ses mesures, qu'il ne hasardoit jamais de combat sans être sûr du succès. C'est ainsi que lui réussit la guerre dans la Chersonèse, pendant laquelle il fortifia les villes, mit l'isthme de Corinthe à l'abri des Thraces, pénétra jusqu'au royaume de Pont; rétablit, à main armée, les Phocéens, que les Lacédémoniens avoient dépouillés de l'administration du temple de Delphes; soumit l'Eubée, prépara la guerre du Péloponèse, et fit respecter par-tout la puissance d'Athènes.

Périclès ne borna pas ses soins à ceux de la guerre; il remplit la ville des chefs-d'œuvre de l'art, multiplia les fêtes, récompensa les talens; enfin gouverna avec éclat pour luimême et pour sa patrie, pendant près de quarante ans, et par la seule force de son génie, une nation éclairée, jalouse de son autorité, et qui se lassoit aussi facilement de son administration que de son obéissance.

Cicéron a dit : « C'est à Athènes qu'exista le premier orateur; et cet orateur fut Périclès: avant lui, rien ne ressembloit à l'éloquence. Aussi ce grand homme a-t-il mérité la gloire

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de donner son nom au siècle qui vit fleurir tous les beaux arts, et briller pendant son cours ces hommes de génie qui, dans la poésie lyrique et dans la poésie dramatique, sont encore nos modèles et nos maîtres.

POÉSIE LYRIQUE.

PINDARE.

Le nom seul de Pindare peint à l'esprit l'enthousiasme même. Il porte avec lui l'idée de transport, d'écart, de digressions lyriques. L'ode étoit chantée chez les anciens. Le mot d'ODE signifie chant: on y joint celui de lyrique, parce que les anciens poëtes s'accompagnoient avec la lyre.

Dans ce genre de poésie, le poëte semble inspiré et entraîné par une force divine qui anime et qui maîtrise son génie.

Pindare obtint les suffrages de la Grèce entière. Les Lacédémoniens et Alexandre, ayant pris et saccagé Thèbes, respectèrent sa maison. Ses nombreuses odes se sont conservées, et ont été traduites dans toutes les langues de siècle en siècle. On ne peut donner une idée de la beauté de ses chants, qu'en offrant ses chants euxmêmes: nous allons transcrire ici un fragment de son ode à Hiéron, roi de Syracuse, vainqueur à la course des jeux Pythiens. Les jeux Pythiens se célébroient tous les quatre

ans dans le temple de Delphes, en l'honneur d'Apollon, surnommé le Pythien depuis qu'il avoit tué le serpent Python.

Cette ode de Pindare est la première pythique; la traduction est de M. de La Harpe.

ODE DE PINDARE.

Doux trésor des neuf sœurs, instrument du génie,
Lyre d'or qu'Apollon anime sous ses doigts,
Mère des plaisirs purs, mère de l'harmonie,
Lyre, soutiens ma voix.

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Tu présides au chant, tu gouvernes la danse;
Tout le chœur, attentif et docile à tes sons
Soumet au mouvement marqué par ta cadence
Ses pas et ses chansons.

L'Olympe en est ému: Jupiter est sensible;
Il éteint les carreaux qu'alluma son courroux;
Il sourit aux mortels, et son aigle terrible
S'endort à ses genoux.

Il dort, il est vaincu: ses paupières, pressées,
D'une humide vapeur se couvrent mollement;
Il dort, et sur son dos ses ailes abaissées
Tombent languissamment.

Tu fléchis des combats l'arbitre sanguinaire;
Ses traits ensanglantés échappent de ses mains;
Il dépose le glaive, et promet à la terre
Des jours purs et sereins.

O lyre d'Apollon! puissance enchanteresse!
Tu soumets tour-à-tour et la terre et les cieux:

Qui n'aime point les arts, les muses, la sagesse,

Est ennemi des dieux.

Tel est ce fier géant dont la rage étouffée
D'un rugissement sourd épouvante l'enfer ;

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