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demeures de l'Esprit; rien n'est mort dans les lieux de l'éternelle existence. Les paroles grossières que la Muse est forcée d'employer nous trompent: elles revêtent d'un corps ce qui n'existe que comme un songe divin dans le cours d'un heureux sommeil.

Des jardins délicieux s'étendent autour de la radieuse Jérusalem. Un fleuve découle du trône du Tout-Puissant; il arrose le céleste Éden, et roule dans ses flots l'Amour pur et la Sapience de Dieu. L'onde mystérieuse se partage en divers canaux qui s'enchaînent, se divisent, se rejoignent, se quittent encore, et font croitre, avec la vigne immortelle, le lis semblable à l'épouse, et les fleurs qui parfument la couche de l'époux. L'Arbre de vie s'élève sur la Colline de l'encens; un peu plus loin, l'Arbre de science étend de toutes parts ses racines profondes et ses rameaux innombrables: il porte, cachés sous son feuillage d'or, les secrets de la Divinité, les lois occultes de la nature, les réalités morales et intellectuelles, les immuables principes du bien et du mal. Ces connaissances qui nous enivrent font la nourriture des élus car, dans l'empire de la souveraine Sagesse, le fruit de science ne donne plus la mort. Les deux grands ancêtres du genre humain viennent souvent verser des larmes (telles que les justes en peuvent répandre) à l'ombre de cet arbre merveilleux.

La lumière qui éclaire ces retraites fortunées se compose des roses du matin, de la flamme du midi et de la pourpre du soir; toutefois, aucun astre ne paraît sur l'horizon resplendissant; aucun soleil ne se lève, aucun soleil ne se couche dans les lieux où rien ne finit, où rien ne commence; mais une clarté ineffable, descendant de toutes parts comme une tendre rosée, entretient le jour éternel de la délectable éternité.

C'est dans les parvis de la Cité sainte, et dans les champs qui l'environnent, que sont à la fois réunis ou partagés les chœurs des Chérubins et des Séraphins, des Anges et des Archanges, des Trônes et des Dominations: tous sont les ministres des ouvrages et des volontés de l'Éternel. A ceux-ci a été donné tout pouvoir sur le feu, l'air, la terre et l'eau ; à ceux-là appartient la direction des saisons, des vents et des tempêtes. Ils font mûrir les moissons, ils elèvent la jeune fleur, ils courbent le vieil arbre vers la terre. Ce sont eux qui soupirent dans les antiques forêts, qui parlent dans les flots de la mer, et qui versent les fleuves du haut des mon

tagnes. Les uns gardent les vingt mille chariots de guerre de Sabaoth et d'Élohé; les autres veillent au carquois du Seigneur, à ses foudres inévitables, à ses coursiers terribles, qui portent la peste, la guerre, la famine et la mort. Un million de ces Génies ardents règlent les mouvements des astres, et se relèvent tour à tour dans ces emplois magnifiques, comme les sentinelles vigilantes d'une grande armée. Nés du souffle de Dieu, à différentes époques, ces Anges n'ont pas la même vieillesse dans les générations de l'éternité: un nombre infini d'entre eux fut créé avec l'homme pour soutenir ses vertus, diriger ses passions, et le défendre contre les attaques de l'Enfer.

Là sont aussi rassemblés à jamais les mortels qui ont pratiqué la vertu sur la terre; les Patriarches, assis sous des palmiers d'or; les Prophètes, au front étincelant de deux rayons de lumière; les Apôtres, portant sur leur cœur les Évangiles; les docteurs, tenant à la main une plume immortelle; les Solitaires, retirés dans des grottes célestes; les Martyrs, vêtus de robes éclatantes; les Vierges, couronnées de roses d'Éden; les Veuves, la tête ornée de longs voiles, et toutes ces femmes pacifiques, qui, sous de simples habits de lin, se firent les consolatrices de nos pleurs et les servantes de nos misères.

Est-ce l'homme infirme et malheureux qui pourrait parler des félicités suprêmes? Ombres fugitives et déplorables, savons-nous ce que c'est que le bonheur? Lorsque l'âme du Chrétien fidèle abandonne son corps, comme un pilote expérimenté quitte le fragile vaisseau que l'Océan engloutit, elle seule connaît la vraie béatitude. Le souverain bien des élus est de savoir que ce bien sans mesure sera sans terme; ils sont incessamment dans l'état délicieux d'un mortel qui vient de faire une action vertueuse ou héroïque, d'un génie sublime qui enfante une grande pensée, d'un homme qui sent les transports d'un amour légitime, ou les charmes d'une amitié longtemps éprouvée par le malheur. Ainsi les nobles passions ne sont point éteintes dans le cœur des justes, mais seulement purifiées : les frères, les époux, les amis continuent de s'aimer; et ces attachements, qui vivent et se concentrent dans le sein de la Divinité même, prennent quelque chose de la grandeur et de l'éternité de Dieu.

Tantôt ces âmes satisfaites se reposent ensemble au bord du

fleuve de la Sapience et de l'Amour. La beauté et la toute-puissance du Très-Haut sont leur perpétuel entretien :

« O Dieu, disent-elles, quelle est donc votre grandeur! Tout ce « que vous avez fait naître est renfermé dans les limites du temps; « et le temps, qui s'offre aux mortels comme une mer sans bornes, « n'est qu'une goutte imperceptible de l'océan de votre éternité! » Tantôt les prédestinés, pour mieux glorifier le Roi des rois, parcourent son merveilleux ouvrage : la création, qu'ils contemplent des divers points de l'univers, leur présente des spectacles ravissants tels, si l'on peut comparer les grandes choses aux petits objets, tels se montrent aux yeux du voyageur les champs superbes de l'Indus, les riches vallées de Delhi et de Cachemire, rivages couverts de perles et parfumés d'ambre, où les flots tranquilles viennent expirer au pied des cannelliers en fleur. La couleur des cieux, la disposition et la grandeur des sphères qui varient selon les mouvements et les distances, sont pour les Esprits bienheureux une source inépuisable d'admiration. Ils aiment à connaître les lois qui font rouler avec tant de légèreté ces corps pesants dans l'éther fluide; ils visitent cette lune paisible qui, pendant le calme des nuits, éclaira leurs prières ou leurs amitiés icibas. L'astre humide et tremblant qui précède les pas du matin, cette autre planète qui paraît comme un diamant dans la chevelure d'or du soleil, ce globe à la longue année qui ne marche qu'à la lueur de quatre torches pâlissantes, cette terre en deuil qui, loin des rayons du jour, porte un anneau ainsi qu'une veuve inconsolable, tous ces flambeaux errants de la maison de l'homme, attirent les méditations des Élus. Enfin, les âmes prédestinées volent jusqu'à ces mondes dont nos étoiles sont les soleils; et elles entendent les concerts inconnus de la Lyre et du Cygne céleste. Dieu, de qui s'écoule une création non interrompue, ne laisse point reposer leur curiosité sainte, soit qu'aux bords les plus reculés de l'espace il brise un antique univers, soit que, suivi de l'armée des Anges, il porte l'ordre et la beauté jusque dans le sein du chaos. Mais l'objet le plus étonnant offert à la contemplation des Saints, c'est l'homme. Ils s'intéressent encore à nos peines et à nos plaisirs; ils écoutent nos vœux; ils prient pour nous; ils sont nos patrons et nos conseils; ils se réjouissent sept fois lorsqu'un pécheur retourne au bercail; ils tremblent d'une charitable

frayeur lorsque l'Ange de la mort amène une âme craintive aux pieds du souverain Juge. Mais s'ils voient nos passions à découvert, ils ignorent toutefois par quel art tant d'éléments opposés sont confondus dans notre sein: Dieu, qui permet aux bienheureux de pénétrer les lois de l'univers, s'est réservé le merveilleux secret du cœur de l'homme.

C'est dans cette extase d'admiration et d'amour, dans ces transports d'une joie sublime, ou dans ces mouvements d'une tendre tristesse, que les Élus répètent ce cri de trois fois Saint, qui ravit éternellement les cieux. Le Roi-prophète règle la mélodie divine; Asaph, qui soupira les douleurs de David, conduit les instruments animés par le souffle; et les fils de Coré gouvernent les harpes, les lyres et les psaltérions qui frémissent sous la main des Anges. Les six jours de la création, le repos du Seigneur, les fêtes de l'ancienne et de la nouvelle Loi sont célébrés tour à tour dans les royaumes incorruptibles. Alors les dômes sacrés se couronnent d'une auréole plus vive; alors, du trône de Dieu, de la lumière même répandue dans les demeures intellectuelles, s'échappent des sons si suaves et si délicats, que nous ne pourrions les entendre sans mourir. Muse, où trouveriez-vous des images pour peindre ces solennités angéliques! Serait-ce sous les pavillons des princes de l'Orient, lorsque, assis sur un trône étincelant de pierreries, le monarque assemble sa pompeuse cour? Ou bien, ô Muse! rappelleriez-vous le souvenir de la terrestre Jérusalem, quand Salomon voulut dédier au Seigneur le sanctuaire du peuple fidèle? Le bruit éclatant des trompettes ébranlait les sommets de Sion; les Lévites redisaient en chœur le cantique des Degrés; les anciens d'Israël marchaient avec Salomon devant les Tables de Moïse; le grand sacrificateur immolait des victimes sans nombre; les filles de Juda formaient des pas cadencés autour de l'Arche d'alliance: leurs danses, aussi pieuses que leurs hymnes, étaient des louanges au Créateur.

Les concerts de la Jérusalem céleste retentissent surtout au Tabernacle très-pur qu'habite dans la Cité de Dieu l'adorable Mère du Sauveur. Environnée du chœur des veuves, des femmes fortes et des vierges sans tache, Marie est assise sur un trône de candeur. Tous les soupirs de la terre montent vers ce trône par des routes secrètes; la Consolatrice des affligés entend le cri de nos misères

les plus cachées; elle porte aux pieds de son Fils, sur l'Autel des parfums, l'offrande de nos pleurs; et, afin de rendre l'holocauste plus efficace, elle y mêle quelques-unes de ses larmes divines. Les Esprits gardiens des hommes viennent sans cesse implorer, pour leurs amis mortels, la reine des miséricordes. Les doux Séraphins de la Grâce et de la Charité la servent à genoux; autour d'elle se réunissent encore les personnages touchants de la crèche, Gabriel, Anne et Joseph; les bergers de Bethléem, et les Mages de l'Orient. On voit aussi s'empresser dans ce lieu les enfants morts en entrant à la vie, et qui, transformés en petits Anges, semblent être devenus les compagnons du Messie au berceau. Ils balancent devant leur Mère céleste des encensoirs d'or, qui s'élèvent et retombent avec un bruit harmonieux, et d'où s'échappent en vapeur légère des parfums d'amour et d'innocence.

Des Tabernacles de Marie on passe au Sanctuaire du Sauveur des hommes; c'est là que le Fils conserve par ses regards les mondes que le Père a créés; il est assis à une table mystique : vingt-quatre vieillards, vêtus de robes blanches et portant des couronnes d'or, sont placés sur des trônes à ses côtés. Près de lui est son char vivant, dont les roues lancent des foudres et des éclairs. Lorsque le Désiré des nations daigne se manifester aux Élus dans une vision intime et complète, les Élus tombent comme morts devant sa face; mais il étend sa droite, et leur dit :

« Relevez-vous, ne craignez rien, vous êtes les bénis de mon Père; regardez-moi; je suis le Premier et le Dernier. » Par delà le sanctuaire du Verbe s'étendent sans fin des espaces de feu et de lumière. Le Père habite au fond de ces abîmes de vie. Principe de tout ce qui fut, est et sera, le passé, le présent et l'avenir se confondent en Lui. Là sont cachées les sources des vérités incompréhensibles au ciel même la liberté de l'homme et la prescience de Dieu; l'être qui peut tomber dans le néant et le néant qui peut devenir l'être; là surtout s'accomplit, loin de l'œil des Anges, le mystère de la Trinité. L'Esprit qui remonte et descend sans cesse du Fils au Père, et du Père au Fils, s'unit avec eux dans ces profondeurs impénétrables. Un triangle de feu paraît alors à l'entrée du Saint des saints: les globes s'arrêtent de respect et de crainte, l'Hosanna des Anges est suspendu, les milices immortelles ne savent quels sont les décrets de l'Unité vivante,

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