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Aille puiser son ame en un trésor commun:
Toutes sont donc de même trempe;
Mais, agissant diversement

Selon l'organe seulement,

L'une s'éleve, et l'autre rampe.

D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse

De s'unir au Soleil? Un rat eut sa tendresse.

Tout débattu, tout bien pesé,

Les ames des souris et les ames des belles
Sont très différentes entre elles;
Il en faut revenir toujours à son destin,
C'est-à-dire à la loi par le ciel établie :

Parlez au diable, employez la magie,
Vous ne détournerez nul être de sa fin.

VIII. Le Fou qui vend la Sagesse.
JAMAIS auprès des fous ne te mets à portée :

Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil

A celui-là de fuir une tête éventée.

On en voit souvent dans les cours:

Le prince y prend plaisir; car ils donnent toujours Quelque trait aux frippons, aux sots, aux ridicules.

Un fol alloit criant par tous les carrefours
Qu'il vendoit la sagesse : et les mortels crédules
De courir à l'achat; chacun fut diligent.
On essuyoit force grimaces;

Puis on avoit pour son argent,

Avec un bon soufflet, un fil long de deux brasses. La plupart s'en fâchoient; mais que leur servoit-il?

C'étoient les plus moqués : le mieux étoit de rire,
Ou de s'en aller sans rien dire

Avec son soufflet et son fil.

De chercher du sens à la chose,

On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.
La raison est-elle garant

De ce que fait un fou? le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,

Lui dit: Ce sont ici hieroglyphes tout purs:
Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront, pour l'ordinaire,
La longueur de ce fil; sinon je les tiens sûrs

De quelque semblable caresse.

Vous n'êtes point trompé, ce fou vend la sagesse.

IX. L'Huître et les Plaideurs.

Un jour deux pélerins sur le sable rencontrent

N

Une huître, que le flot y venoit d'apporter:

Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent il fallut contester.
L'un se baissoit déja pour amasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

Celui qui le premier a pu l'appercevoir
En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
Si par-là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie.

Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit, d'un ton de président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en a ille.

Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

X. Le Loup, et le Chien maigre.
AUTREFOIS carpillon fretin

Eut beau prêcher, il eut beau dire,
On le mit dans la poele à frire.

Je fis voir que lâcher ce qu'on a dans la main,
Sous espoir de grosse aventure,
Est imprudence toute pure.

Le pêcheur eut raison : carpillon n'eut pas tort;
Chacun dit ce qu'il peut pour défendre sa vie.
Maintenant il faut que j'appuie

Ce que j'avançai lors, de quelque trait encor.

Certain loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un chien hors du village,

S'en alloit l'emporter. Le chien représenta
Sa maigreur: Jà ne plaise à votre seigneurie
De me prendre en cet état-là :
Attendez; mon maître marie

Sa fille unique, et vous jugez

Qu'étant de noce il faut, malgré moi, que j'engraisse.

Le loup le croit, le loup le laisse.

Le loup, quelques jours écoulés,

Revient voir si son chien n'est pas meilleur à prendre. Mais le drôle étoit au logis.

Il dit au loup par un treillis:

Ami, je vais sortir; et, si tu veux attendre,
Le portier du logis et moi

Nous serons tout-à-l'heure à toi.

Ce portier du logis étoit un chien énorme,
Expédiant les loups en forme.

Celui-ci s'en douta. Serviteur au portier,
Dit-il; et de courir. Il étoit fort agile,
Mais il n'étoit pas fort habile:
Ce loup ne savoit pas encor bien son métier.

X I. Rien de trop.

Ja ne vois point de créature

Se comporter modérément.
Il est certain tempérament

Que le maître de la nature

Veut que l'on garde en tout. Le fait-on? nullement :
Soit en bien, soit en mal, cela n'arrive guere.
Le blé, riche présent de la blonde Cérès,
Trop touffu bien souvent épuise les guérets:
En superfluités s'épandant d'ordinaire,
Et poussant trop abondamment,

Il ôte à son fruit l'aliment.

L'arbre n'en fait pas moins: tant le luxe sait plaire.
Pour corriger le blé, Dieu permit aux moutons
De retrancher l'excès des prodigues moissons.
Tout au travers ils se jeterent,
Gâterent tout, et tout brouterent;
Tant que le ciel permit aux loups

D'en croquer quelques uns: ils les croquerent tous;
S'ils ne le firent pas, du moins ils y tâcherent.
Puis le ciel permit aux humains

De punir ces derniers: les humains abuserent
A leur tour des ordres divins.

De tous les animaux, l'homme a le plus de pente
A se porter dedans l'excès.

Il faudroit faire le procès

Aux petits comme aux grands. Il n'est ame vivante Qui ne peche en ceci. Rien de trop est un point Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point.

XII. Le Cierge.

C'EST du séjour des dieux que les abeilles viennent. Les premieres, dit-on, s'en allerent loger

Au mont Hymette (1), et se gorger

Des trésors qu'en ce lieu les zépbyrs entretiennent.
Quand on eut des palais de ces filles du ciel
Enlevé l'ambrosie en leurs chambres enclose,
Ou, pour dire en françois la chose,
Après que les ruches sans miel

N'eurent plus que la cire, on fit mainte bougie;
Maint cierge aussi fut façonné.

Un d'eux voyant la terre en brique au feu durcie
Vaincre l'effort des ans, il eut la même envie;
Et, nouvel Empedocle (2) aux flammes condamné

(1) Hymette étoit une montagne célébrée par les poëtes, située dans l'Attique, et où les Grecs recueilloient d'excellent miel.

(2) Empédocle étoit un philosophe ancien qui, ne

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