Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple, Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, Ne pend-il pas en cet endroit?
Dieu s'est mépris: plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo Que l'on a fait un quiproquo.
Cette réflexion embarrassant notre homme: On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit. Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme. Un gland tombe : le nez du dormeur en pâtit. Il s'éveille; et portant la main sur son visage, Il trouve encor le gland pris au poil du menton. Son nez meurtri le force à changer de langage : Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que seroit-ce donc S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde, Et que ce gland eût été gourde?
Dieu ne l'a pas voulu: sans doute il eut raison; J'en vois bien à présent la cause. En louant Dieu de toute chose Garo retourne à la maison.
V. L'Ecolier, le Pédant, et le Maître d'un jardin.
CERTAIN enfant qui sentoit son college,
Doublement sot et doublement frippon Par le jeune âge et par le privilege Qu'ont les pédants de gâter la raison, Chez un voisin déroboit, ce dit-on, Et fleurs et fruits. Ce voisin en automne Des plus beaux dons que nous offre Pomone Avoit la fleur, les autres le rebut.
Chaque saison apportoit son tribut:
Car au printemps il jouissoit encore
Des plus beaux dons que nous présente Flore. Un jour dans son jardin il vit notre écolier, Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier, Gâtoit jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance, Avant-coureurs des biens que promet l'abondance: Même il ébranchoit l'arbre; et fit tant à la fin Que le possesseur du jardin
Envoya faire plainte au maître de la classe. Celui-ci vint suivi d'un cortege d'enfants: Voilà le verger plein de gens
Pires que le premier. Le pédant, de sa grace, Accrut le mal en amenant
Cette jeunesse mal instruite :
Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite Se souvint à jamais comme d'une leçon. Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,
Avec force traits de science.
Son discours dura tant, que la maudite engeance Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.
Je hais les pieces d'éloquence
Hors de leur place, et qui n'ont point de fin; Et ne sais bête au monde pire
Que l'écolier, si ce n'est le pédant.
Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire, Ne me plairoit aucunement.
VI. Le Statuaire, et la Statue de Jupiter.
Un bloc de marbre étoit si beau,
Qu'un statuaire en fit l'emplette. Qu'en fera, dit-il, mon ciseau? Sera-t-il dieu, table, ou cuvette?
Il sera dieu: même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre. Tremblez, humains; faites des vœux: Voilà le maître de la terre.
L'artisan exprima si bien Le caractere de l'idole,
Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien A Jupiter que la parole:
Même l'on dit que l'ouvrier Eut à peine achevé l'image, Qu'on le vit frémir le premier, Et redouter son propre ouvrage.
A la foiblesse du sculpteur Le poete autrefois n'en dut guere, Des dieux dont il fut l'inventeur Craignant la haine et la colere:
Il étoit enfant en ceci;
Les enfants n'ont l'ame occupée Que du continuel souci
Qu'on ne fâche point leur poupée.
Le cœur suit aisément l'esprit : De cette source est descendue L'erreur païenne, qui se vit Chez tant de peuples répandue.
Ils embrassoient violemment Les intérêts de leur chimere: Pygmalion devint amant De la Vénus dont il fut pere.
Chacun tourne en réalités, Autant qu'il peut,
L'homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges.
VII. La Souris métamorphosée en Fille. UNE souris tomba du bec d'un chat-huant:
Je ne l'eusse pas ramassée;
Mais un bramin le fit: je le crois aisément; Chaque pays a sa pensée.
La souris étoit fort froissée. De cette sorte de prochain
Nous nous soucions peu: mais le peuple bramin Le traite en frere. Ils ont en tête
Que notre ame, au sortir d'un roi,
Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête Qu'il plaît au Sort: c'est là l'un des points de leur loi. Pythagore chez eux a puisé ce mystere.
Sur un tel fondement le bramin crut bien faire De prier un sorcier qu'il logeât la souris Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis. Le sorcier en fit une fille
De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille, Que le fils de Priam pour elle auroit tenté Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté. Le bramin fut surpris de chose si nouvelle. Il dit à cet objet si doux:
Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux De l'honneur d'être votre époux. En ce cas je donne, dit-elle,
Ma voix au plus puissant de tous. Soleil, s'écria lors le bramin à genoux,
C'est toi qui seras notre gendre.
Non, dit-il; ce nuage épais
Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits: Je vous conseille de le prendre.
Eh bien! dit le bramin au nuage volant,
Es-tu né pour ma fille?= Hélas! non; car le vent Me chasse à son plaisir de contrée en contrée : Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée. Le bramin fâché s'écria:
O vent, donc, puisque vent ya, Viens dans les bras de notre belle! Il accouroit: un mont en chemin l'arrêta. L'éteuf passant à celui-là,
Il le renvoie, et dit: J'aurois une querelle Avec le rat; et l'offenser
Ce seroit être fou, lui qui peut me percer. Au mot de rat, la demoiselle Ouvrit l'oreille: il fut l'époux. Un rat! Un rat: c'est de ces coups Qu'Amour fait; témoin telle et telle. Mais ceci soit dit entre nous.
On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable Prouve assez bien ce point. Mais, à la voir de près, Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits: Car quel époux n'est point au Soleil préférable En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant Est moins fort qu'une puce? Elle le mord pourtant. Le rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire, La belle au chat, le chat au chien, Le chien au loup. Par le moyen De cet argument circulaire,
Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté; Le Soleil eût joui de la jeune beauté. Revenons, s'il se peut, à la métempsycose: Le sorcier du bramin fit sans doute une chose Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté. Je prends droit là-dessus contre le bramin même; Car il faut, selon son systême,
Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
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