Page images
PDF
EPUB

Peut-être même ils sont remplis
De Démocrites infinis.

Non content de ce songe, il y joint les atômes,
Enfants d'un cerveau creux,
invisibles fantômes;
Et mesurant les cieux sans bcuger d'ici-bas,
Il connoît l'univers, et ne se connoît pas.
Un temps fut qu'il savoit accorder les débats:
Maintenant il parle à lui-même.

Venez, divin mortel, sa folie est extrême.
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens:
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie

Le sort cause! Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disoit n'avoir raison ni sens
Cherchoit, dans l'homme et dans la bête,
Quel siege a la raison, soit le cœur, soit la tête,
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
Les labyrinthes d'un cerveau

L'occupoient. Il avoit à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
Attaché selon sa coutume.

Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
Ils tomberent sur la morale.

Il n'est pas besoin que j'étale
Tout ce que l'un et l'autre dit.

Le récit précédent suffit

Pour montrer que le peuple est juge récnsable.
En quel sens est donc véritable
Ce que j'ai lu dans certain lieu,
Que sa voix est la voix de Dieu ?

XXVII. Le Loup et le Chasseur.

FUREUR d'accumuler, monstre de qui les yeux
Regardent comme un point tous les bienfaits des dieux,
Te combattrai-je en vain sans cesse en cet ouvrage !
Quel temps demandes-tu pour suivre mes leçons?
L'homme, sourd à ma voix, comme à celle du sage,
Ne dira-t-il jamais, C'est assez, jouissons?
Hâte-toi, mon ami: tu n'as pas tant à vivre.
Je te rebats ce mot; car il vaut tout un livre:
Jouis. Je le ferai. Mais quand donc ?=Dès demain.
Eh! mon ami, la mort te peut prendre en chemin;
Jouis dès aujourd'hui: redoute un sort semblable
A celui du chasseur et du loup de ma fable.

Le premier de son arc avoit mis bas un daim.
Un faon de biche passe, et le voilà soudain
Compagnon du défunt; tous deux gisent sur l'herbe.
La proie étoit honnête, un daim avec un faon;
Tout modeste chasseur en eût été content:

Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe,
Tente encor notre archer, friand de tels morceaux.
Autre habitant du Styx: la Parque et ses ciseaux
Avec peine y mordoient; la déesse infernale
Reprit à plusieurs fois l'heure au monstre fatale.
De la force du coup pourtant il s'abattit.

C'étoit assez de biens. Mais quoi! rien ne remplit
Les vastes appétits d'un faiseur de conquêtes.
Dans le temps que le porc revient à soi, l'archer
Voit le long d'un sillon une perdrix marcher;
Surcroît chétif aux autres tètes:

De son arc toutefois il bande les ressorts.
Le sanglier, rappelant les restes de sa vie,

Vient à lui, le découd, meurt vengé sur son corps:
Et la perdrix le remercie.

Cette part du récit s'adresse au convoiteux.
L'avare aura pour lui le reste de l'exemple.

Un loup vit en passant ce spectacle piteux:
O Fortune! dit-il, je te promets un temple.
Quatre corps étendus! que de biens! mais pourtant
Il faut les ménager; ces rencontres sont rares.
(Ainsi s'excusent les avares. )

J'en aurai, dit le loup, pour un mois, pour autant.
Un, deux, trois, quatre corps ; ce sont quatre semaines,
Si je sais compter, toutes pleines.

Commençons dans deux jours; et mangeon's cependant
La corde de cet arc: il faut que l'on l'ait faite
De vrai boyau, l'odeur me le témoigne assez.
En disant ces mots il se jette

Sur l'arc, qui se détend, et fait de la sagette
Un nouveau mort: mon loup a les boyaux percés.

Je reviens à mon texte. Il faut que l'on jouisse;
Témoin ces deux gloutons punis d'un sort commun:
La convoitise perdit l'un;
L'autre périt par l'avarice.

IN DU HUITIEME LIVRE.

LIVRE NEUVIEME.

FABLE PREMIERE.

Le Dépositaire infidele.

GRACE aux Filles de mémoire,

J'ai chanté des animaux;

Peut-être d'autres héros

M'auroient acquis moins de gloire.
Le loup, en langue des dieux,
Parle au chien dans mes ouvrages:
Les bêtes, à qui mieux mieux,
Y font divers personnages,
Les uns fous, les autres sages;
De telle sorte pourtant
Que les fous vont l'emportant,
La mesure en est plus pleine.
Je mets aussi sur la scene
Des trompeurs, des scélérats,
Des tyrans et des ingrats,
Mainte imprudente pécore,
Force sots, force flatteurs:
Je pourrois y joindre encore
Des légions de menteurs.
Tout homme ment, dit le Sage.
S'il n'y mettoit seulement
Que les gens du bas étage,
On pourroit aucunement

Souffrir ce défaut aux hommes.

Mais que tous, tant que nous sommes,
Nous mentions, grand et petit,
Si quelque autre l'avoit dit,
Je soutiendrois le contraire.
Et même qui mentiroit

Comme Esope et comme Homere
Un vrai menteur ne seroit:
Le doux charme de maint songe
Par leur bel art inventé

Sous les habits du mensonge
Nous offre la vérité.

L'un et l'autre a fait un livre
Que je tiens digne de vivre
Sans fin, et plus s'il se peut.
Comme eux ne ment pas qui veut.
Mais mentir comme sut faire
Un certain dépositaire

Payé par son propre mot,

Est d'un méchant et d'un sot.

Voici le fait.

Un trafiquant de Perse,

Chez son voisin, s'en allant en commerce,
Mit en dépôt un cent de fer un jour
Mon fer? dit-il quand il fut de retour.
Votre fer! il n'est plus : j'ai regret de vous dire
Qu'un rat l'a mangé tout entier.

J'en ai grondé mes gens: mais qu'y faire? un grenier
A toujours quelque trou. Le trafiquant admire
Un tel prodige, et feint de le croire pourtant.
Au bout de quelques jours il détourne l'enfant
Du perfide voisin; puis à souper convie
Le pere, qui s'excuse, et lui dit en pleurant :
Dispensez-moi, je vous supplie;

Tous plaisirs pour moi sont perdus.
J'aimois un fils plus que ma vie:

Je n'ai que lui; que dis-je! hélas! je ne l'ai plus!

« PreviousContinue »