Fait reines des volontés. Car, afin que l'on le sache, C'est Sillery qui s'attache A vouloir que, de nouveau, Sire loup, sire corbeau, Chez moi se parlent en rime. Qui dit Sillery dit tout: Peu de gens en leur estime Lui refusent le haut bout; Comment le pourroit-on faire?
Pour venir à notre affaire, Mes contes, à son avis, Sont obscurs: les beaux esprits N'entendent pas toute chose. Faisons donc quelques récits Qu'elle déchiffre sans glose:
Amenons des bergers; et puis nous rimerons que disent entre eux les loups et les moutons.
Tircis disoit un jour à la jeune Amarante: Ah si vous connoissiez comme moi certain mal Qui nous plaît et qui nous enchante, Il n'est bien sous le ciel qui vous parût égal! Souffrez qu'on vous le communique; Croyez-moi, n'ayez point de peur:
Voudrois-je vous tromper? vous, pour qui je me pique Des plus doux sentiments que puisse avoir un cœur! Amarante aussitôt réplique:
Comment l'appelez-vous, ce mal? quelest son nom? = L'amour. Ce mot est beau! dites-moi quelques
A quoi je le pourrai connoître : que sent on? = Des peines près de qui le plaisir des monarques Est ennuyeux et fade: on s'oublie, on se plaît Toute seule en une forêt.
Se mire-t-on près d'un rivage,
Ce n'est pas soi qu'on voit; on ne voit qu'une image Qui sans cesse revient, et qui suit en tous lieux:
Pour tout le reste on est sans yeux.
Il est un berger du village
Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait rougir: On soupire à son souvenir;
On ne sait pas pourquoi, cependant on soupire: On a peur de le voir, encor qu'on le desire. Amarante dit à l'instant:
Oh! oh! c'est là ce mal que vous me prêchez tant! Il ne m'est pas nouveau: je pense le connoître. Tircis à son but croyoit être,
Quand la belle ajouta: Voilà tout justement Ce que je sens pour Clidamant.
pensa mourir de dépit et de honte.
Il est force gens comme lui,
Qui prétendent n'agir que pour leur propre compte, Et qui font le marché d'autrui.
XIV. Les Obseques de la Lionne.
La femme du lion mourut:
Aussitôt chacun accourut
Pour s'acquitter envers le prince
De certains compliments de consolation, Qui sont surcroît d'affliction.
Il fit avertir sa province Que les obseques se feroient
Un tel jour, en tel lieu; ses prévôts y seroient Pour régler la cérémonie,
Et pour placer la compagnie. Jugez si chacun s'y trouva. Le prince aux cris s'abandonna,
Et tout son antre en résonna: Les lions n'ont point d'autre temple. On entendit, à son exemple,
Rugir en leur patois messieurs les courtisans.
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu'il plaît au prince, ou, s'ils ne peuvent l'être, Tâchent au moins de le paroître.
Peuple caméléon, peuple singe du maître; On diroit qu'un esprit anime mille corps: C'est bien là que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à notre affaire,
Le cerf ne pleura point. Comment eût-il pu faire? Cette mort le vengeoit : la reine avoit jadis Etranglé sa femme et son fils.
Bref, il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire, Et soutint qu'il l'avoit vu rire.
La colere du roi, comme dit Salomon, Est terrible, et sur-tout celle du roi lion: Mais ce cerf n'avoit pas accoutumé de lire. Le monarque lui dit: Chétif hôte des bois, Tu ris! tu ne suis pas ces gémissantes voix! Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes Nos sacrés ongles: venez, loups,
Vengez la reine; immolez, tous, Ce traître à ses augustes mânes.
Le cerf reprit alors: Sire, le temps des pleurs Est passé : la douleur est ici superflue. Votre digne moitié, couchée entre des fleurs, Tout près d'ici m'est apparue;
Et je l'ai d'abord reconnue.
Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les dieux, ne t'oblige à des larmes : Aux champs élysiens j'ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi. Laisse agir quelque temps le désespoir du roi: J'y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose, Qu'on se mit à crier: Miracle! Apothéose! Le cerf eut un présent, bien loin d'être puni.
Amusez les rois des par songes,
Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges: Quelque indignation dont leur cœur soit rempli, Ils goberont l'appât, vous serez leur ami.
X V. Le Rat et l'Eléphant.
SE croire un personnage est fort commun en France: On y fait l'homme d'importance,
Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois. C'est proprement le mal françois :
La sotte vanité nous est particuliere.
Les Espagnols sont vains, mais d'une autre maniere: Leur orgueil me semble, en un mot,
Beaucoup plus fou, mais pas si sot. Donnons quelque image du nôtre, Qui sans doute en vaut bien un autre.
Un rat des plus petits voyoit un éléphant Des plus gros, et railloit le marcher un peu lent De la bête de haut parage,
Qui marchoit à gros équipage.
Sur l'animal à triple étage
Une sultane de renom,
Son chien, son chat, et sa guenon,
Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison, S'en alloit en pélerinage.
Le rat s'étonnoit que les gens
Fussent touchés de voir cette pesante masse: Comme si d'occuper ou plus ou moins de place Nous rendoit, disoit-il, plus ou moins importants. Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes? Seroit-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants? Nous ne nous prisons pas,tout petits que nous sommes, D'un grain moins que les éléphants.*
Il en auroit dit davantage;
Mais le chat, sortant de sa cage, Lui fit voir en moins d'un instant Qu'un rat n'est pas un éléphant.
XVI. L'Horoscope.
Ox rencontre sa destinée
Souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter.
Un pere eut pour toute lignée Un fils qu'il aima trop, jusques à consulter Sur le sort de sa géniture
Les diseurs de bonne aventure.
Un de ces gens lui dit que des lions sur tout Il éloignât l'enfant jusques à certain âge, Jusqu'à vingt ans, point davantage. Le pere, pour venir à bout
D'une précaution sur qui rouloit la vie De celui qu'il aimoit, défendit que jamais On lui laissât passer le seuil de son palais. Il pouvoit, sans sortir, conteater son envie, Avec ses compagnons tout le jour badiner, Sauter, courir, se promener.
Quand il fut en l'âge où la chasse Plaît le plus aux jeunes esprits, Cet exercice avec mépris
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