Nous sommes tous d'Athene en ce point; et moi
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau-d'âne m'étoit conté,
J'y prendrois un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on: je le crois; cependant Il le faut amuser encor comme un enfant.
V. L'Homme et la Puce
PAR des vœux importans nous fatiguons les dieux,
Souvent pour des sujets même indignes des hommes: Il semble que le ciel sur tous tant que nous sommes Soit obligé d'avoir incessamment les yeux, Et que le plus petit de la race mortelle, A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle, Doive intriguer l'Olympe et tous ses citoyens, Comme s'il s'agissoit des Grecs et des Troyens.
Un sot par une puce eut l'épaule mordue. Dans les plis de ses draps elle alla se loger. Hercule, ce dit-il, tu devois bien purger La terre de cette hydre au printemps revenue! Que fais tu, Jupiter, que du haut de la nue Tu n'en perdes la race afin de me venger!
Pour tuer une puce, il vouloit obliger Ces dieux à lui prêter leur foudre et leur massue.
V I. Les Femmes et le Secret.
RIEN ne pese tant qu'un secret:
Le porter loin est difficile aux dames;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d'hommes qui sont femmes.
Pour éprouver la sienne un mari s'écria, La nuit, étant près d'elle: O dieux! qu'est-ce cela? Je n'en puis plus! on me déchire!
Quoi! j'accouche d'un oeuf! D'un oeuf?
Oui,le voilà Frais et nouveau pondu: gardez bien de le dire, On m'appelleroit poule. Enfin n'en parlez pas. La femme, neuve sur ce cas,
Ainsi que sur mainte autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire. Mais ce serment s'évanouït
Avec les ombres de la nuit. L'épouse, indiscrete et peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé ; Et de courir chez sa voisine:
Ma commere, dit-elle, un cas est arrivé;
N'en dites rien sur-tout, car vous me feriez battre : Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre. Au nom de Dieu, gardez-vous bien
D'aller publier ce mystere.
Vous moquez-vous? dit l'autre: ah! vous ne savez guere Quelle je suis. Allez, ne craignez rien. La femme du pondeur s'en retourne chez elle. L'autre grille déja de conter la nouvelle : Elle va la répandre en plus de dix endroits; Au lieu d'un œuf elle en dit trois.
Ce n'est pas encor tout, car une autre commere En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait: Précaution peu nécessaire,
Car ce n'étoit plus un secret.
Comme le nombre d'œufs, grace à la renommée, De bouche en bouche alloit croissant, Avant la fin de la journée
Ils se montoient à plus d'un cent.
VII. Le Chien qui porte à son cou le dîné de son maître.
Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des Belles,
Ni les mains à celle de l'or: Peu de gens gardent un trésor
Avec des soins assez fideles.
Certain chien, qui portoit la pitance au logis, S'étoit fait un collier du dîné de son maître. Il étoit tempérant, plus qu'il n'eût voulu l'être Quand il voyoit un mets exquis';
Mais enfin il l'étoit: et, tous tant que nous sommes, Nous nous laissons tenter à l'approche des biens. Chose étrange! on apprend la tempérance aux chiens, Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes! Ce chien-ci donc étant de la sorte atourné, Un mâtin passe, et veut lui prendre le dîné. Il n'en eut pas toute la joie
Qu'il espéroit d'abord : le chien mit bas la proie Pour la défendre mieux n'en étant plus chargé. Grand combat. D'autres chiens arrivent: Ils étoient de ceux-là qui vivent
Sur le public, et craignent peu les coups. Notre chien, se voyant trop foible contre eux tous, Et que la chair couroit un danger manifeste, Voulut avoir sa part: et, lui sage, il leur dit : Point de courroux, messieurs; mon lopin me suffit: Faites votre profit du reste.
A ces mots, le premier, il vous happe un morceau; Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille,
A qui mieux mieux: ils firent tous ripaille; Chacun d'eux eut part au gâteau.
Je crois voir en ceci l'image d'une ville Où l'on met les deniers à la merci des gens. Echevins, prévôt des marchands,
Tout fait sa main: le plus habile
Donne aux autres l'exemple; et c'est un passe-temps De leur voir nettoyer un monceau de pistoles. Si quelque scrupuleux, par des raisons frivoles, Veut défendre l'argent, et dit le moindre mot, On lui fait voir qu'il est un sot.
Il n'a pas de peine à se rendre : C'est bientôt le premier à prendre.
VIII. Le Rieur et les Poissons.
N cherche les rieurs; et moi je les évite. Cet art veut, sur tout autre, un suprême mérite: Dieu ne créa que pour les sots
Les méchants diseurs de bons mots. J'en vais peut-être en une fable Introduire un: peut-être aussi
Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi.
Un rieur étoit à la table
D'un financier, et n'avoit en son coin Que de petits poissons: tous les gros étoient loin. Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille; Et puis il feint, à la pareille,
D'écouter leur réponse. On demeura surpris: Cela suspendit les esprits.
Le rieur alors, d'un ton sage, Dit qu'il craignoit qu'un sien ami, Pour les grandes Indes parti, N'eût depuis un an fait naufrage.
Il s'en informoit donc à ce menu fretin:
Mais tous lui répondoient qu'ils n'étoient pas d'un âge A savoir au vrai son destin;
Les gros en sauroient davantage.
N'en puis-je donc, messieurs, un gros interroger? De dire si la compagnie
Prit goût à sa plaisanterie,
J'en doute: mais enfin il les sut engager
A lui servir d'un monstre assez vieux pour lui dire Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus Qui n'en étoient pas revenus,
Et que depuis cent ans sous l'abyme avoient vus Les anciens du vaste empire.
I X. Le Rat et l'Huître.
UN rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle, Des lares paternels un jour se trouva sou. Il laisse là le champ, le grain et la javelle, Va courir le pays, abandonne son trou.
Sitôt qu'il fut hors de la case: Que le monde, dit-il, est grand et spacieux! Voilà les Apennins, et voici le Caucase! La moindre taupinée étoit mont à ses yeux. Au bout de quelques jours le voyageur arrive En un certain canton où Thétis sur la rive Avoit laissé mainte huître: et notre rat d'abord Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord. Certes, dit-il, mon pere étoit un pauvre sire! Il n'osoit voyager, craintif au dernier point. Pour moi, j'ai déja vu le maritime empire: J'ai passé les déserts, mais nous n'y bùmes point. D'un certain magister le rat tenoit ces choses, Et les disoit à travers champs;
N'étant pas de ces rats qui, les livres rongeants,
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