J'ai beau te le erier; mon zele est indiscret: Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.
II. Le Savetier et le Financier.
Un savetier chantoit du matin jusqu'au soir:
C'étoit merveille de le voir,
Merveille de l'ouïr; il faisoit des passages,
Plus content qu'aucun des sept sages. Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or, Chantoit peu, dormoit moins encor: C'étoit un homme de finance.
Si sur le point du jour par fois il sommeilloit, Le savetier alors en chantant l'éveilloit: Et le financier se plaignoit
Que les soins de la Providence N'eussent pas au marché fait vendre le dormir, Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit: Or çà, sire Grégoire, Que gagnez-vous par an? Par an! ma foi, monsieur, Dit avec un ton de rieur
Le gaillard savetier, ce n'est point ma maniere De compter de la sorte; et je n'en'asse guere Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin J'attrape le bout de l'année :
Chaque jour amene son pain. =
Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée ? =) Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seroient assez honnêtes), Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours Qu'il faut chommer; on nous ruine en fêtes: L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône,
Le financier, riant de sa naïveté,
Lui dit: Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. Prenez ces cent écus: gardez-les avec soin, Pour vous en servir au besoin.
Le savetier crut voir tout l'argent que la terre Avoit, depuis plus de cent ans, Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre L'argent, et sa joie à-la-fois.
Plus de chant: il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. Le sommeil quitta son logis;
Il eut pour hôtes les soucis, Les soupçons, les alarmes vaines. Tout le jour il avoit l'œil au guet: et la nuit, Si quelque chat faisoit du bruit,
Le chat prenoit l'argent. A la fin le pauvre homme S'en courut chez celui qu'il ne réveilloit plus: Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme; Et reprenez vos cent écus.
III. Le Lion, le Loup, et le Renard. UN lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Vouloit que l'on trouvât remede à la vieillesse. Alléguer l'impossible aux rois, c'est un abus. Celui-ci parmi chaque espece
Manda des médecins : il en est de tous arts. Médecins au lion viennent de toutes parts; De tous côtés lui vient des donneurs de recettes. Dans les visites qui sont faites,
Le renard se dispense, et se tient clos et coi. Le loup en fait sa cour, daube, au coucher du roi, Son camarade absent. Le prince tout-à-l'heure
Veut qu'on aille enfumer renard dans sa demeure, Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté ; Et sachant que le loup lui faisoit cette affaire: Je crains, sire, dit-il, qu'un rapport peû sincere Ne m'ait à mépris imputé
D'avoir différé cet hommage: Mais j'étois en pélerinage,
Et m'acquittois d'un vœu fait pour votre santé. Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants; leur ai dit la langueur Dont votre majesté craint à bon droit la suite. Vous ne manquez que de chaleur, Le long âge en vous l'a détruite : D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau Toute chaude et toute fumante: Le secret sans doute en est beau Pour la nature défaillante.
Messire loup vous servira,
S'il vous plaît, de robe de chambre.
Le roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre Messire loup. Le monarque en soupa, Et de sa peau s'enveloppa.
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire; Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire: Le mal se rend chez vous au quadruple du bien. Les daubeurs ont leur tour, d'une ou d'autre maniere: Vous êtes dans une carriere
Où l'on ne se pardonne rien.
IV. Le Pouvoir des Fables.
qualité d'ambassadeur
Peut-elle s'abaisser à des contes vulgaires?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs graces légeres? S'ils osent quelquefois prendre un air de grandeur, Seront-ils point traités par vous de téméraires? Vous avez bien d'autres affaires
A démêler, que les débats
Du lapin et de la belette.
Lisez-les; ne les lisez pas:
Mais empêchez qu'on ne nous mette
Toute l'Europe sur les bras.
Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ernemis,
J'y consens: mais que l'Angleterre
Veuille que nos deux rois se lassent d'être amis, J'ai peine à digérer la chose.
N'est-il point encor temps que Louïs se repose? Quel autre Hercule enfin ne se trouveroit las De combattre cette hydre? et faut-il qu'elle oppose Une nouvelle tête aux efforts de son bras?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence et par adresse,
Peut adoucir les cœurs, et détourner ce coup, Je vous sacrifirai cent moutons: c'est beaucoup Pour un habitant du Parnasse. Cependant faites-moi la grace
De prendre en don ce peu d'encens : Prenez en gré mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son sujet vous convient; je n'en dirai pas plus: Sur les éloges que l'envie
Doit avouer qui vous sont dus Vous ne voulez pas qu'on appuie.
Dans Athene autrefois, peuple vain et léger, Un orateur, voyant sa patrie en danger, Courut à la tribune; et, d'un art tyrannique, Voulant forcer les cœurs dans une république, Il parla fortement sur le commun salut. On ne l'écoutoit pas. L'orateur recourut A ces figures violentes
Qui savent exciter les ames les plus lentes: Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put. Le vent emporta tout; personne ne s'émut. L'animal aux têtes frivoles
Etant fait à ces traits ne daignoit l'écouter; Tous regardoient ailleurs : il en vit s'arrêter A des combats d'enfants, et point à ses paroles. Que fit le harangueur? Il prit un autre tour. Cérès, commença-t-il, faisoit voyage un jour Avec l'anguille et l'hirondelle:
Un fleuve les arrête; et l'anguille en nageant, Comme l'hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant Cria tout d'une voix: Et Cérès ! que fit-elle ? Ce qu'elle fit! un prompt courroux L'anima d'abord contre vous.
Quoi! de contes d'enfants son peuple s'embarrasse ; Et du péril qui le menace. Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet! Que ne demandez-vous ce que Philippe fait? A ce reproche l'assemblée,
Par l'apologue réveillée,
Se donne entiere à l'orateur.
Un trait de fable en eut l'honneur.
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