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LES FILLES DE MINE E.

205

Je pourrois retrouver sans peine en ma mémoire
Du monarque des dieux les divers changements;
Mais, comme chacun sait tous ces événements,
Disons ce que l'Amour inspire à nos pareilles :
Non toutefois qu'il faille, en contant ses merveilles,
Accoutumer nos cœurs à goûter son poison;
Car, ainsi que Bachus, il trouble la raison.
Récitons-nous les maux que ses biens nous attirent.
Alcithoé se tut, et ses sœurs applaudirent.
Après quelques moments, haussant un peu la voix:

Dans Thebes, reprit-elle, on conte qu'autrefois
Deux jeunes cœurs s'aimoient d'une égale tendresse:
Pyrame, c'est l'amant, eut Thisbé pour maîtresse.
Jamais couple ne fut si bien assorti qu'eux:
L'un bien fait, l'autre belle, agréables tous deux,
Tous deux dignes de plaire, ils s'aimerent sans peine;
D'autant plutôt épris, qu'une invincible haine
Divisant leurs parents ces deux amauts unit,
Et concourut aux traits dont l'Amour se servit.
Le hasard, non le choix, avoit rendu voisines
Leurs maisons, où régnoient ces guerres intestines:
Ce fut un avantage à leurs desirs naissants.
Le cours en commença par des jeux innocents:
La premiere étincelle eut embrasé leur ame,
Qu'ils ignoroient encor ce que c'étoit que flamine.
Chacun favorisoit leurs transports mutuels,
Mais c'étoit à l'insu de leurs parents cruels.
La défense est un charme: on dit qu'elle assaisonne
Les plaisirs, et sur-tout ceux que l'Amour nous donne.
D'un des logis à l'autre, elle instruisit du moins
Nos amants à se dire avec signes leurs soins.
Ce léger reconfort ne les put satisfaire;
Il fallut recourir à quelque autre mystere.

Un vieux mur entr'ouvert séparoit leurs maisons;
Le temps avoit miné ses antiques cloisons:

Là, souvent de leurs maux ils déploroient la cause;
Les paroles passoient, mais c'étoit peu de chose.
Se plaignant d'un tel sort, Pyrame dit un jour :
Chere Thisbé, le ciel veut qu'on s'aide en amour.
Nous avons à nous voir une peine infinie ;
Fuyons de nòs parents l'injuste tyrannie:

J'en ai d'autres en Grece; ils se tiendront heureux
Que vous daigniez chercher un asyle chez eux;
Leur amitié, leur bien, leur pouvoir, tout m'invite
A prendre le parti dont je vous sollicite.
C'est votre seul repos qui me le fait choisir;
Car je n'ose parler, hélas! de mon desir.
Faut-il à votre gloire en faire un sacrifice?

De crainte des vains bruits faut-il que je languisse?
Ordonnez: j'y consens; tout me semblera doux:
Je vous aime, Thisbé, moins pour moi que pour vous,
J'en pourrois dire autant, lui repartit l'amante.
Votre amour étant pure, encor que véhémente,
Je vous suivrai par-tout: notre commun repos
Me doit mettre au-dessus de tous les vains propos.
Taut que de ma vertu je serai satisfaite,
Je rirai des discours d'une langue indiscrete,
Et m'abandonnerai sans crainte à votre ardeur,
Contente que je suis des soins de ma pudeur.
Jugez ce que sentit Pyrame à ces paroles.
Je n'en fais point ici de peintures frivoles :
Suppléez au peu d'art que le ciel mit en moi;
Vous-mêmes peignez-vous cet amant hors de soi.
Demain, dit-il, il faut sortir avant l'aurore;
N'attendez point les traits que son char fait éclore:
Trouvez-vous aux degrés du terme de Cérès;
Là, nous nous attendrons: le rivage est tout près,
Une barque est au bord; les rameurs, le vent même,
Tout pour notre départ montre une hâte extrême;
L'augure en est heureux, notre sort va changer;
Et les dieux sont pour nous, si je sais bien juger.

Thisbé consent à tout: elle en donne pour gage
Deux baisers, par le mur arrêtés au passage.
Heureux mur! tu devois servir mieux leur desir;
Ils n'obtinrent de toi qu'une ombre de plaisir.
Le lendemain Thisbé sort, et prévient Pyrame;
L'impatience, hélas! maîtresse de son ame,
La fait arriver seule et sans guide aux degrés.
L'ombre et le jour luttoient dans les champs azurés
Une lionne vient, monstre imprimant la crainte ;
D'un carnage récent sa gueule est toute teinte.
Thisbé fuit ; et son voile, emporté par les airs,
Source d'un sort cruel, tombe dans ces déserts.
La lionne le voit, le souille, le déchire;
Et, l'ayant teint de sang, aux forêts se retire,
Thisbé s'étoit cachée en un buisson épais.
Pyrame arrive, et voit ces vestiges tout frais.
O dieux! que devient-il! Un froid court dans ses veines.
Il apperçoit le voile étendu dans ces plaines,
Il le leve; et le sang, joint aux traces des pas,
L'empêche de douter d'un funeste trépas.
Thisbé! s'écria-t-il, Thisbé, je t'ai perdue!
Te voilà, par ma faute, aux enfers descendue!
Je l'ai voulu; c'est moi qui suis le monstre affreux
Par qui tu t'en vas voir le séjour ténébreux:
Attends-moi, je te vais rejoindre aux rives sombres.
Mais m'oserai-je à toi présenter chez les ombres?
Jouïs au moins du sang que je te vais offrir,
Malheureux de n'avoir qu'une mort à souffrir.
Il dit, et d'un poignard coupe aussitôt sa trame.
Thisbé vient; Thisbé voit tomber son cher Pyrame.
Que devient-elle aussi ! Tout lui manque à-la-fois,
Les sens et les esprits aussi-bien que la voix.
Elle revient enfin; Clothon, pour l'amour d'elle,
Laisse à Pyrame ouvrir sa mourante prunelle.
Il ne regarde point la lumiere des cieux;
Sur Thisbé seulement il tourne encor les yeux.

Il voudroit lui parler; sa langue est retenue :
Il témoigne mourir content de l'avoir vue.
Thisbé prend le poignard; et découvrant son sein:
Je n'accuserai point, dit-elle, ton dessein,
Bien moins encor l'erreur de ton ame alarmée:
Ce seroit t'accuser de m'avoir trop aimée.

Je ne t'aime pas moins: tu vas voir que mon cœur
N'a, non plus que le tien, mérité son malheur.
Cher amant! reçois donc ce triste sacrifice.
Sa main et le poignard font alors leur office;
Elle tombe, et, tombant, range ses vêtements:
Dernier trait de pudeur même aux derniers moments.
Les nymphes d'alentour lui donnerent des larmes,
Et du sang des amants teignirent par des charmes
Le fruit d'un mûrier proche, et blanc jusqu'à ce jouṛ,
Eternel monument d'un și parfait amour.

Cette histoire attendrit les filles de Minée.
L'une accusoit l'amant, l'autre la destinée;
Et toutes, d'une voix, conclurent que nos cœurs
De cette passion devroient être vainqueurs.
Elle meurt quelquefois avant qu'être contente:
L'est-elle; elle devient aussitôt languissante:
Sans l'hymen on n'en doit recueillir aucun fruit;
Et cependant l'hymen est ce qui la détruit.
Il y joint, dit Clymene, une âpre jalousie,
Poison le plus cruel dont l'ame soit saisie:
Je n'en veux pour témoin que l'erreur de Procris.
Alcithoé ma sœur, attachant vos esprits,
Des tragiques amours vous a conté l'élite:
Celles que je vais dire ont aussi leur mérite.
J'accourcirai le temps, ainsi qu'elle, à mon tour.
Peu s'en faut que Phébus ne partage le jour;
A ses rayons perçants opposons quelques voiles:
Voyons combien nos mains ont avancé nos toiles.
Je veux que sur la mienne, avant que d'être au soir

Un progrès tout nouveau se fasse appercevoir.
Cependant donnez-moi quelque heure de silence:
Ne vous rebutez point de mon peu d'éloquence;
Souffrez-en les défauts, et songez seulement
Au fruit qu'on peut tirer de cet événement.

Céphale aimoit Procris; il étoit aimé d'elle:
Chacun se proposoit leur hymen pour modele.
Ce qu'amour fait sentir de piquant et de doux
Combloit abondamment les vœux de ces époux.
Ils ne s'aimoient que trop! leurs soins et leur tendresse
Approchoient des transports d'amant et de maîtresse.
Le ciel même envia cette félicité:

Céphale eut à combattre une divinité.

Il étoit jeune et beau; l'Aurore en fut charmée,
N'étant pas à ces biens chez elle accoutumée.
Nos belles cacheroient un pareil sentiment:
Chez les divinités on en use autrement.
Celle-ci déclara son amour à Céphale.
Il eut beau lui parler de la foi conjugale:
Les jeunes déités qui n'ont qu'un vieil époux
Ne se soumettent point à ces lois comme nous.
La déesse enleva ce héros si fidele.

De modérer ses feux il pria l'immortelle :
Elle le fit; l'amour devint simple amitié.
Retournez, dit l'Aurore, avec votre moitié;
Je ne troublerai plus votre ardeur ni la sienne :
Recevez seulement ces marques de la mienne.
(C'étoit un javelot toujours sûr de ses coups.)
Un jour cette Procris qui ne vit que pour vous
Fera le désespoir de votre ame charmée,
Et vous aurez regret de l'avoir tant aimée.
Tout oracle est douteux, et porte un double sens :
Celui-ci mit d'abord notre époux en suspens.
J'aurai regret aux vœux que j'ai formés pour elle!
Et comment ? n'est-ce point qu'elle m'est infidele?

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