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IV. Le Héron.

Un jour sur ses longs pieds alloit je ne sais où

N

Le héron au long bec emmanché d'un long cou
Il côtoyoit une riviere.

L'onde étoit transparente ainsi qu'aux plus beaux jours;

Ma commere la carpe y faisoit mille tours
Avec le brochet son compere.

Le héron en eut fait aisément son profit:
Tous approchoient du bord, l'oiseau n'avoit qu'à pren
dre.

Mais il crut mieux faire d'attendre

Qu'il eût un peu plus d'appétit :

Il vivoit de régime, et mangeoit à ses heures.
Après quelques moments, l'appétit vint : l'oiseau,
S'approchaut du bord, vit sur l'eau

Des tanches qui sortoient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas; il s'attendoit à mieux,
Et montroit un goût dédaigneux

Comme le rat du bon Horace :

Moi, des tanches! dit-il : moi, héron, que je fasse
Une si pauvre chere! Et pour qui me prend-on?
La tanche rebutée, il trouva du goujon.

Du goujon! c'est bien là le dîner d'un héron!
J'ouvrirois pour si peu le bec aux dieux ne plaise!
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.

La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.

Ne soyons pas si difficiles :

Les plus accommodants, ce sont les plus habiles;

On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,

Sur-tout quand vous avez à-peu-près votre compte.
Bien des gens y sont pris. Ce n'est pas aux hérons
Que je parle : écoutez, humains, un autre conte;
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.

V. La Fille.

CERTAINE fille, un peu trop fiere,
Prétendoit trouver un mari

Jeune, bien fait, et beau, d'agréable maniere,
Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci.
Cette fille vouloit aussi

Qu'il eût du bien, de la naissance,

De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir
Le destin se montra soigneux de la pourvoir :
Il vint des partis d'importance.

La belle les trouva trop chétifs de moitié :
Quoi, moi! quoi, ces gens-là! l'on radote, je pense.
A moi les proposer! hélas ! ils font pitié :
Voyez un peu la belle espece!

L'un n'avoit en l'esprit nulle délicatesse,
L'autre avoit le nez fait de cette façon-là :
C'étoit ceci, c'étoit cela;

C'étoit tout, car les précieuses
Font dessus tout les dédaigneuses.

Après les bons partis, les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.

Elle de se moquer. Ah! vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte! Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne :
Grace à Dieu, je passe les nuits
Sans chagrin, quoiqu'en solitude,

La belle se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir: adieu tous les amants.

Un an se passe et deux avec inquiétude :

Le chagrin vient ensuite; elle sent chaque jour Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour; Puis ses traits choquer et déplaire :

Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron,
Les raines d'une maison

Se peuvent réparer : que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage!

Sa préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disoit, prenez vite un mari;
Je ne sais quel desir le lui disoit aussi :
Le desir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu'on n'auroit jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru.

V I. Les Souhaits.

Il est au Mogol des follets

Qui font office de valets,

Tiennent la maison propre, ont soin de l'équipage, Et quelquefois du jardinage.

Si vous touchez à leur ouvrage,

Vous gâtez tout. Un d'eux près du Gange autrefois
Cultivoit le jardin d'un assez bon bourgeois.
Il travailloit sans bruit, avoit beaucoup d'adresse,
Aimoit le maître et la maîtresse,

Et le jardin sur tout. Dieu sait si les zéphyrs,
Peuple ami du démon, l'assistoient dans sa tâche !
Le follet, de sa part, travaillant sans relâche,
Combloit ses hôtes de plaisirs.

Pour plus de marques de son zele, Chez ces gens pour toujours il se fût arrêté,

Nonobstant la légèreté

A ses pareils si naturelle :
Mais ses confreres les esprits

Firent tant que le chef de cette république,
Par caprice ou par politique,
Le changea bientôt de logis.

Ordre lui vient d'aller au fond de la Norvege
Prendre le soin d'une maison

En tout temps couverte de neige :
Et d'Indou qu'il étoit on vous le fait Lappon.
Avant que de partir, l'esprit dit à ses hôtes :
On m'oblige de vous quitter :

Je ne sais pas pour quelles fautes;

Mais enfin il le faut : je ne puis arrêter

Qu'un temps fort court, un mois, peut-être une se maine.

Employez-la : formez trois souhaits; car je puis
Rendre trois souhaits accomplis :

Trois, sans plus. Souhaiter, ce n'est pas une peine
Etrange et nouvelle aux humains.

Ceux-ci, pour premier væn, demandent l'abondance. Et l'Abondance à pleines mains

Verse en leurs coffres la finance,

En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins : Tout en creve. Comment ranger cette chevance? Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut! Tous deux sont empêchés si jamais on le fut.

Les voleurs contre eux comploterent,
Les grands seigneurs leur emprunterent,
Le prince les taxa. Voilà les pauvres gens
Malheureux par trop de fortune.

Otez-nous de ces biens l'affluence importune,
Dirent-ils l'un et l'autre : heureux les indigents!
La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse.
Retirez-vous, trésors; fuyez: et toi, déesse,
Mere du bon esprit, compagne du repos,

O Médiocrité, reviens vîte! A ces mots

La Médiocrité revient. On lui fait place :
Avec elle ils rentrent en grace,

Au bout de deux souhaits, étant aussi chanceux
Qu'ils étoient, et que sont tous ceux

Qui souhaitent toujours, et perdent en chimeres
Le temps qu'ils feroient mieux de mettre à leurs affaires.
Le follet en rit avec eux.

Pour profiter de sa largesse,

Quand il voulut partir et qu'il fut sur le point,
Ils demanderent la sagesse.
C'est un trésor qui n'embarrasse point.

VII. La Cour du Lion.

Sa majesté lionne un jour voulut connoître
De quelles nations le ciel l'avoit fait maître.
Il manda donc par députés

Ses vassaux de toute nature,
Envovant de tous les côtés
Une circulaire écriture

Avec son sceau. L'écrit portoit
Qu'un mois durant le roi tiendroit
Cour pléniere, dont l'ouverture
Devoit être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.

Par ce trait de magnificence

Le prince à ses sujets étaloit sa puissance.
En son louvre il les invita.

Quel louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'ours boucha sa narine : 1
Il se fût bien passé de faire cette mine;
Sa grimace déplut, le monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.

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