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PENSÉES

DE

BLAISE PASCAL

NOUVELLE ÉDITION

COLLATIONNÉE SUR LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE

ET PUBLIÉE

AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES

PAR

LÉON BRUNSCHVICG

Professeur de Philosophie au Lycée Henri IV

TOME TROISIÈME

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1904

Tous droits réservés.

1

Phie 2805.40.17

B

HARVARD
UNIVERSITY
LIBRARY

OCT 7 1960

ر (3)

·

PENSÉES

SECTION VIII

Première Copie 228]

556

... Ils blasphèment ce qu'ils ignorent1. La religion chrétienne consiste en deux points'; il importe également aux hommes de les connaître, et il est également dangereux de les ignorer; et il est également de la miséricorde de Dieu d'avoir donné des marques des deux.

Et cependant ils prennent sujet de conclure qu'un de ces points n'est pas, de ce qui leur devrait faire

556

Cf. C., 440; P. R., II, 12; XVIII, 3 et ult., XXVIII, 27; Bos., II, IV, 10; II, xv¤, 21; II, ш, 2; II, xv, 2; II, xш, 2; II, xvII, 9; FAUG., II, 355; II, 357; II, 354; II, 115; II, 116; II, 117; HAV., XI, 10 bis; XXIV, 19 bis; XI, 10; X, 5; XXII, 3; XXII, 6; XXII, 10; XX, 2 et XXIV, 9; MoL., I, 311; I, 287; I, 139; I, 140; II, 20; Í, 320 et I, 296; MICH., 919.

1. Cf. Fléchier: « Ces hommes qui, selon le langage de l'Apôtre, blasphèment tout ce qu'ils ignorent. » II, 114. Massillon parle « des enfants d'incrédulité que Dieu a livrés à la vanité de leurs pensées, qui blasphèment ce qu'ils ignorent » (Carême, sermon sur la vérité de la religion).

2. Adam et Jésus-Christ, la corruption et la rédemption. Cf. fr. 430.

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conclure l'autre1. Les sages qui ont dit qu'il n'y a qu'un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les chrétiens encore plus. Ils ont vu par lumière naturelle que, s'il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre.

Toute la conduite des choses doit avoir pour objet l'établissement et la grandeur de la religion; les hommes doivent avoir en eux-mêmes des sentiments conformes à ce qu'elle nous enseigne2; et enfin elle doit être tellement l'objet et le centre où toutes choses tendent, que qui en saura les principes puisse rendre raison et de toute la nature de l'homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général.

Et sur ce fondement, ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu'ils la connaissent mal. Ils s'imaginent qu'elle consiste simplement en l'adoration d'un Dieu considéré comme grand et puissant et éternel; ce qui est proprement le déisme3,

1. C'est-à-dire que les hommes ne peuvent apercevoir la misère sans nier la grandeur, ou la grandeur sans nier la misère. Pour eux un aspect de la nature humaine est exclusif de l'aspect contraire; le chrétien seul aperçoit le double caractère de l'homme.

2. Enseigner a ici le sens de décrire, et non de prescrire; il s'agit de sentiments conformes non aux préceptes moraux de la religion, mais à la vérité de l'état psychologique qu'elle nous révèle par la double doctrine de la rédemption et de la corruption.

3. Dans l'Histoire des Variations (V, 31) Bossuet, jugeant l'œuvre de Melanchton, en décrit ainsi les suites : « des chrétiens... dépouiller le christianisme de tous ses mystères, et le changer en une secte de philosophie tout accommodée aux sens... la voie ouverte au déïsme, c'est-à-dire à un athéisme déguisé. » — -Saint-Simon écrit de Middleton: « C'était un athée de profession et d'effet, s'il peut y en avoir, au moins un franc déiste », apud Littré.

presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l'athéisme, qui y est tout à fait contraire'; et de là ils concluent que cette religion n'est pas véritable, parce qu'ils ne voient pas que toutes choses concourent à l'établissement de ce point, que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l'évidence qu'il pourrait faire.

Mais qu'ils en concluent ce qu'ils voudront contre le déisme, ils n'en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui, unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités : et qu'il y a un Dieu, dont les hommes sont capables, et qu'il y a une corruption dans la nature, qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l'un et l'autre de ces points; et il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l'en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou la superbe des philosophes, qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur *.

Et ainsi, comme il est également de la nécessité

1. Page 229 de la Copie.

2. Cf. l'entretien avec M. de Saci et les fragments de la Section précédente, 547 sqq.

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