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complètement oublier l'école de 1660); il le fut assez jeune et dès la fondation de l'Académie, en 1635. Certains prétendent même qu'il se plaisait beaucoup dans la compagnie délicate et distinguée de ses collègues, et qu'il fut très assidu aux séances. Mais le fait est contredit par Saint-Evremont dans sa fameuse comédie des Académistes: Saint-Amant est présenté dans ce pamphlet comme oubliant parfaitement l'Académie française en compagnie de son ami Faret. C'est que l'ami Faret a un nom bien compromettant il rime à cabaret ; la réputation de Saint-Amant s'en est quelque peu ressentie. Quoi qu'il en soit, académicien, lié avec le duc de Retz, le comte d'Harcourt, Chapelain, de très grands seigneurs et de très grands hommes de lettres, Saint-Amant a fait bonne figure en son temps. En compagnie de Faret, qui n'a point, malgré la rime, passé toute sa vie au cabaret, il fit partie, en 1637, de l'expédition maritime du comte d'Harcourt. Monté sur le vaisseau amiral, il parcourut la Méditerranée et visita principalement les côtes d'Italie. A cette expédition se rapporte une pièce, que nous trouvons dans ses œuvres, sur le passage de Gibraltar; on s'attendait à une forte résistance, à une grande bataille dans le détroit, et on ne trouva personne. La pièce de Saint-Amant est du genre héroïcomique, c'est une beuverie pleine de verve et de toutes sortes de plaisanteries. En 1643, notre poète est à Rome, et c'est à ce séjour que nous devons un poème, à mon avis détestable, entièrement burlesque, la Rome libre.

Vers la fin de cette année 1643, nous retrouvons Saint-Amant à Londres sans que je voie, après avoir bien cherché, quelle occasion l'y avait conduit. Il semble y être resté deux ans il nous a laissé trois sonnets sur la mort de Charles Ier, mais certainement il n'était plus en Angleterre lorsque se joua cette tragédie. Cependant, comme il avait approché ce roi de très près et comme il avait gardé de lui un très bon souvenir, c'est avec une douleur véritable et nullement feinte qu'il l'a chanté dans ces trois sonnets,; voici celui qui me plait le plus :

Que me viens-tu de dire, étrange Renommée ?
As-tu bien avec soin remarqué les objets ?
Un roi si bon, si doux, si juste en ses projets,
Voir son dernier espoir s'exhaler en fumée !
Un roi voir sous les fers sa grandeur opprimée !
Un roi se voir juger par ses propres sujets !
Par des hommes sans nom, vils, infâmes, abjects,
Qui, sur leur tribunal, n'ont qu'une rage armée,

Un roi passer ainsi du trône à l'échafaud !
Faire un si dur chemin, un si tragique saut !

Ha! c'est un coup du sort que je ne puis comprendre.

1

Mon esprit suspendu se confond en ce lieu,
Et toute la raison que tu m'en saurais rendre,
C'est qu'on ne peut sonder les abîmes de Dieu.

Ces derniers vers surtout ont de la grandeur et sont dignes du sujet. Saint-Amant savait chanter autre chose que les flacons.

Il était à Paris en 1645 ou 1646. Sa haine contre les Anglais qui avaient massacré ou laissé massacrer un si bon maître, jointe à l'antipathie naturelle d'un homme de race latine pour les gens du Nord, se manifesta dans un poème qui n'a pas grande valeur, mais qui est tout à fait intéressant au point de vue de l'histoire littéraire. C'est le poème d'Albion. Là, Saint-Amant nous donne, sous une forme burlesque, de curieux renseignements sur l'état du théâtre anglais d'alors. Nous y voyons que Shakespeare, à cette époque, était parfaitement oublié de ses compatriotes. Le fait est d'ailleurs très bien établi par d'autres témoignages; il est constant que Shakespeare a eu un grand succès de son vivant, puis a été oublié, en Angleterre même, pendant un siècle, puis est ressuscité, pour ainsi dire, et a grandi de jour en jour. Ce qui fait sinon les délices, du moins l'intérêt du peuple anglais, à l'époque de Saint-Amant, c'est le théâtre de Ben Johnson; Saint-Amant nous en parle avec le mépris le plus profond :

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(1) Il l'appelle ainsi par suite d'une erreur involontaire, ou peut-être

préméditée.

(2) Broncher.

Qui t'étrillera l'oreille;
Les chers l'Etoile et Baro
Feront ensemble un haro
Sur tes plates comédies.
Et cent autres voix hardies
T'accoutreront en zéro.

Voilà bien de la colère contre ce pauvre Ben Johnson. On jouait encore, à cette époque, sur le théâtre anglais, des pantomimes ou, comme on disait alors, des masques: c'étaient des espèces de ballets, où la danse, le chant, la musique et la décoration faisaient tout le mérite de l'œuvre. Cette mode était alors aussi répandue en Angleterre que celle des Bergeries en France. Saint-Amant n'a pas assez de mépris pour ces productions théâtrales qui n'intéressent que les yeux.

Nos moindres joueurs de farces
Valent tous ces histrions;

Par pitié nous en rions

Entre des sots et des garces;
Ces Landores, ces benêts,
Parlant en vrais sansonnets
Qui ne savent ce qu'ils chantent,
Les amoureux représentent
Chapeaux entés sur bonnets.

Un roi pétune en sa chaise
Tandis qu'un bègue discourt;
L'un est borgne, l'autre est sourd
Et n'a ni rabat, ni fraise;

L'autre, atteint du mal des dents,
Etonne les regardants

De sa joue enveloppée

Au gré des yeux imprudents.

Ici l'un trop tôt se montre

Et là l'autre rebondi

D'un contre-temps étourdi
Heurte l'autre qu'il rencontre ;
L'un disant Goths pour Romains,
Ou les dieux pour les humains,
Rougit comme une écrevisse;
Et l'autre, simple et novice,
Ne sait où mettre ses mains.

Quelquefois, pour intermède,
Leurs plats et maigres boulfons
Osent, dessous des chiffons,
Jouer la pauvre Andromède :
Quelquefois, venus des cieux,
Ils dansent droits comme pieux
Des moralités muettes,
Ou de sottes pirouettes
Ils éblouissent les yeux.

Entrechats et cabrioles

(Dieu sait combien à propos)
Répondent d'un pied dispos
Tant aux sistres qu'aux violes.
Et le roi des instruments,
Diffamé de tremblements
Dont le cliquetis me tue,
En rebec se prostitue
A ces goffes mouvements.

Tantôt l'on revoit au monde,
Faits comme des bandoliers,
Artus et ses chevaliers,

Gloire de la Table-Ronde (1) ;
Tantôt l'antique Merlin,
Enfant d'un esprit malin,
Hurle en ombre vaine et påle,
Et tantôt s'exhibe en måle
La reine au nez aquilin.

Tôt après le tambour sonne ;
Tout retentit de clameurs ;
L'un crie en saignant je meurs !
Et si l'on n'occit personne,
Les feintes, les faux combats
Font trembler, et haut et bas,
Le cœur du sexe imbécile,
Qui laisse œuvre et domicile
Pour jouir de ces ébats.

En 1645, Saint-Amant fut nommé secrétaire des commandements de la jeune et récente reine de Pologne, Marie-Louise de Gonzague, la sœur aînée de cette Anne de Gonzague dont Bossuet a prononcé l'oraison funèbre. Il semble s'ètre fait un peu tirer l'oreille pour accepter ce poste. Notez d'ailleurs qu'il se passait, à cette époque, en Pologne, toutes sortes de tragiques événements. Saint-Amant resta quelques années à Paris, malgré son titre de secrétaire de Marie-Louise de Gonzague, et c'est ainsi qu'il se trouva mêlé à plusieurs petites aventures qui ne furent pas toutes heureuses pour lui. Une salire qu'il fit du prince de Condé, à l'occasion du siège de Lérida, lui attira certaine bâtonnade de la part des gens de l'irascible seigneur.

Pendant la Fronde, il eut une occasion toute naturelle, que la plupart des poètes du temps ont saisie, de faire des pièces de circonstance. Pour lui, il était mazarin; c'est en faveur du cardinal que sa verve s'est égayée. Il y a, parmi ces rondeaux et ces triolets, d'assez jolies petites pièces, qui font du reste honneur à

(1) Ce sont des ballets qui reproduisent les épisodes des anciens romans de chevalerie.

l'esprit pacifique et raisonnable du bon Saint-Amant. En voici un spécimen à propos des conférences de Saint-Germain, l'auteur dit, en s'adressant au peuple de Paris :

Autant qu'un autre en sa maison,
Louis en la sienne doit être.
Il veut Paris, il a raison,
Autant qu'un autre en sa maison;
Et ce grand mot est de saison,
Il faut que le roi soit le maitre.
Autant qu'un autre en sa maison,
Louis en la sienne doit être.
C'est assez, noble Parlement ;
Faisons la paix, je vous en prie.
Saint-Germain parle doucement.
C'est assez, noble Parlement.
Buvons ensemble vitement ;
C'est assez, noble Parlement,
Faisons la paix, je vous en prie.

De peur d'être en plus mauvais point,
Rendons-nous au roi qu'on adore.
Je tremble sous mon vieux pourpoint,
De peur d'être en plus mauvais point.
Ne disons plus tant: point, point, point;
Clion vous en conjure encore:

De peur d'être en plus mauvais point,
Rendons-nous au roi qu'on adore.

Entre temps, Saint-Amant menait, un peu plus dignement que par le passé, la vie littéraire d'alors. Vers 1643 et 1647, il fréquentait l'Hôtel de Rambouillet, et si assidûment qu'il y avait son nom de guerre Sapurnius. Ce ne furent, en effet, que les habitués du grand Hôtel qui eurent l'honneur, pour ainsi dire, d'un nom particulier. Il semble y avoir été aimé. Un petit couplet de Scarron le proclame, et prouve qu'il était aussi acclamé dans les autres ruelles du temps. Scarron dit à ses propres vers:

Adieu donc, rimes ridicules,

Vous qui croyez qu'être volume

Vaut mieux qu'être écrit à la plume;

Que tout le monde vous lira,

Que chacun de vous parlera

Comme on fait des pièces nouvelles,
Que vous aurez dans les ruelles.

Presque autant d'estime qu'en a
La Sophonisbe ou le Cinna,
Ibrahim ou la Marianne,
Alcyonée ou la Roxane,

Et les œuvres de Saint-Amant
Au style si rare et charmant.

Voilà les œuvres de Saint-Amant en bonne compagnie : la

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