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mer

à dessein, en vue du trait final, la "merveille" du Canadien et le " veilleux serpent": ce qui met bien en relief sa pensée et sa conclusion.

N. B. Sur ce petit chef-d'œuvre, il conviendra de demander quelques essais d'imitation: ce procédé grave les idées, les mots, les tours, les phrases, les images et les figures dans l'esprit et la mémoire: il apprend aussi l'art du plan et de l'ordonnance. Nous suggérons quelques exemples:

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Voyez ce nouveau-né qu'une nourrice porte dans ses bras.

Qu'a-t-il pour donner tant de joie à ce vieillard, à cet homme fait, à cette femme? Deux ou trois syllabes à demi formées, que personne n'a comprises et voilà des êtres raisonnables transportés d'allégresse, depuis l'aïeul, qui sait toutes les choses de la vie, jusqu'à la jeune mère, qui les ignore encore.

Qui donc a mis cette puissance dans le verbe de l'homme? Pourquoi le son d'une voix humaine vous remue-t-il si impérieusement?

Ce qui vous subjugue ici tient à des causes plus relevées qu'à l'intérêt qu'on peut prendre à l'âge de cet enfant: quelque chose vous dit que ces paroles inarticulées sont les premiers bégaiements d'une âme immortelle.

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1. Ce sujet semble banal et presque trivial: Chateaubriand le réhausse admirablement; pour lui, il n'est pas de sujet qui n'offre des aspects nouveaux et attrayants.

2. Ce morceau est moins une description ou

qu'une esquisse morale.

une narration ·

8) L'enfant est vu dans les bras d'une nourrice.

b) L'effet, c'est la joie qu'il inspire à son entourage.

e) Le moyen, les syllabes qu'il balbutie.

d) Réflexion morale : à quelle cause remonte ce pouvoir.

e) Autre réflexion: pour quel motif, cette émotion.

f, Conclusion: la cause-ce n'est pas l'intérêt que l'on porte à un enfant encore tendre-c'est la révélation d'une âme immortelle.

3. Ce profil est légèrement crayonné, dans un cadre en miniature, qui se détache en un relief délicat et attirant.

Il y a un début, un milieu, une fin, faciles à découvrir et à percevoir: I est inutile d'insister.

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1. "Voyez ", tour impératif, qui met en scène et provoque plus vivement l'attention; —"ce", démonstratif, plus fort que l'article et préférable, ici; "nouveau-né ", nom composé d'un adverbe et d'un partiipe: "nouveau" est mis pour "nouvellement "; d'où, au pluriel: des ouveau-nés. Mais quand le participe est employé substantivement, "nouveau" redevient adjectif: "les nouveaux venus; les nouveaux mariés ".

"porte dans", mieux vaudrait "sur": on entend "dans ses bras", Fordinaire, comme synonyme de "sein, giron, genoux, embrassement”: Ex.: "Il le prit... le pressa... dans ses bras."

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2. "Qu'a-t-il pour est commun et banal: il faut, en littérature, viter l'emploi du verbe "avoir " tout seul - L'on pourrait dire: "Quels charmes... quels enchantements donnent ou inspirent tant de joie..." -"ce, cet, cette," montrent les personnes avec plus de précision" la joie" est dans l'âme surtout, l'allégresse sur les traits du visage; "homme fait" considère l'homme dans son développement; il s'oppose à "jeune homme".

L'interrogation est plus expressive que la phrase affirmative: ici, elle rient heureusement après l'impératif "voyez ".

3. "Deux ou trois ", nombre fixe pour un autre indéterminé; c'est que "quelques ";- "syllabes" terme plus restreint que "mots, paroles"; -"à demi" loc. adv. "formées est propre, car l'enfant

mieux

n'articule pas encore.

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Cette phrase, sans verbe, est la réponse, à l'interrogation posée par l'auteur.

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"et voilà " est une prép. qui s'emploie même pour quelque chose qui va suivre dans le récit; - "des êtres raisonnables" dénote une teinte ironie;"transportés" est pris au fig., et convient à l'expression bardie des sentiments bons ou mauvais: admiration, colère, rage.

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"l'aïeul", voici des termes spéciaux qui disent mieux que les généraux vieillard... femme "; " jeune mère ", le rapprochement de ces membres de la parenté de l'enfant ressort mieux, en vertu de l'antithèse "qui sait..."—"qui ignore encore".

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4. Qui donc..." appelle fortement une réponse immédiate; "puissance" est moins bien que, par exemple, "fascination, enchantement, appas...

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"verbe" synonyme de "parole" avait vieilli; aujourd'hui on s'acharne à le rajeunir; il était resté dans la locution: "avoir le verbe haut": parler fort, et, au fig., parler avec hauteur.

-Remarquez le tour interrogatif dans cette phrase et la suivante: deux phrases à idées générales, qu'il conviendrait de noter.

"Le son" est bien choisi, car tout ce que l'oreille perçoit dans un bégaiement, "sons" précise bien en rendant plus vif le tour; "remue", synonyme de "troubler, émouvoir, "-" impérieusement": non pas qui commande en maître ", mais "qui force à céder ".

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5. "Ce qui vous... est indéfini et général, à dessein; "subjugue qui met dans l'impossibilité de résister à l'ascendant qu'on exerce; 66 ici", en' cela; des causes "est mieux que motifs, raisons; "qu'on" est plus dur que "que l'on peut ";-"quelque chose ", indéfini qui laisse deviner beaucoup; "vous dit" est familier; "paroles inarticulées", mots justes, élégants; premiers bégaiements d'une âme immortelle", belle et gracieuse hardiesse de langage, qui achève l'aperçu par une pensée traduite avec élégance.

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Quel cher petit objet! En ce moment, je regrette qu'il ne soit pas la fontaine d'Hippocrène pour y puiser, comme les poètes, l'inspiration. Ce n'est pas que j'aspire à devenir un Virgile. Mais Paris ne s'est point láti dans un jour, me dit-on; et j'ai encore quelque espérance et surtout la ferme résolution de grossir le modeste trésor de science que j'ai déjà acquis par mon humble travail.

"Quel cher petit compagnon! En ce moment, je souhaiterais qu'il se puisse Létamorphoser en fontaine d'Hippocrène, pour m'épancher, comme aux poètes, les flots de l'inspiration. Non que j'aspire à la tendre amitié des Muses. Mais, s'il est vrai que "Paris ne s'est point bâti en nn jour", je nourris encore quelque espoir et je forge la résolution de grossir le trésor de mes connaissances, humble conquête des années qui ont fui ".

Je vais donc, à mon tour, apprécier ce coup de pied de Pégase qui fit surgir de l'Hélicon cette source merveilleuse.

Cette phrase est de trop, surtout après la réflexion morale qui suit, dans la précédente, l'allusion à la "fontaine "; il n'y a pas lieu d'insister si longtemps, ce semble ".

Critique. Tel quel, ce début est ingénieux, original et bien inventé: si l'on y ajoutait deux ou trois idées comiques, amusantes, il piquerait l'attention et plairait doublement. La plaisanterie de bon goût et spirituelle mérite qu'on la cultive: c'est le propre de la race canadiennefrançaise.

Tout le monde se sert d'un encrier; il y en a de toutes formes et grandeurs. Ma compagne Valéda en a un qui me paraît gigantesque et ma voisine un si petit qu'à peine un oiseau pourrait-il s'y humecter le bec. Le mien a la forme d'un cône tronqué et me fait penser à un puits, à une

source.

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"L'usage de l'encrier est universel, en la machine ronde"; il en est de toutes dimensions, de toutes formes, gracieuses ou burlesques, il en est de tout prix. Valéda, ma compagne, en détient un d'apparence gigantesque; et, ma voisine, un autre si petit, si petit qu'un oiseau-mouche s'y pourrait à peine humecter le bec! Le mien, qui dessine la forme d'un cône tronqué, me figure un puits ou une source inépuisables".

L'illusion est parfois si complète que, à bout de patience et ne pouvant réussir dans un thème difficile, j'y plonge ma plume avec une telle force que je la crois brisée; comme si cet acte de malice devait donner plus de liberté à mon imagination, et je ne puis m'empêcher de sourire en la retirant, toute imbibée de ce liquide noir ou bleu qui lui donne une si mauvaise apparence.

"L'illusion est parfois si décevante que, à bout de patience dans le fourré de broussailles d'un devoir difficile, j'y plonge la plume avec une telle violence instinctive que je la pense briser: comme si, vraiment, ce mouvement sans raison dût garantir à mon imagination l'essor de plus de liberté ! Aussi bien, puis-je à peine comprimer un sourire en la retirant, toute trempée du liquide noir ou bleuâtre, qui la revêt d'un si méchant corsage”.

Ce liquide, dont mon encrier est rempli, n'est pas aussi clair que l'eau des fontaines, et ce serait bien en vain que j'essaierais de m'y mirer, comme faisait le cerf de notre Bonhomme. Mon encrier n'est certainement pas "la fontaine de Jouvence"; car à mesure que mes plumes absorbent de son acide mordant plus elles vieillissent.

"Ce liquide, qui s'encuve dans mon encrier, n'offre pas à l'œil la transparence de l'eau des fontaines en vain tenterais-je d'y contempler mon image, comme dans l'onde se mirait le cerf du Bonhomme. Mon encrier! ce n'est point, assurément, la fabuleuse " fontaine de Jouvence ", aux eaux rajeunissantes; car, plus la plume en absorbe le mordant acide, plus elle se sent vieillir et dépérir ".

On ne saurait s'imaginer le rôle que peut jouer un encrier dans la vie d'une écolière.

Qui donc s'imaginerait le merveilleux prestige de l'encrier dans les péripéties de la vie écolière ? Accueillera-t-on des exemples?"

Un mardi après-midi, je remontais de ma leçon de musique que j'avais donnée plus ou moins bien, ce qui m'avait attiré une forte réprimande. Je me dirigeais à la salle d'étude, le cœur bien gros, lorsque je rencontrai ma Maîtresse de classe, qui, d'une voix sympathique, me demanda la cause de mon chagrin. Au même instant, mes yeux devinrent deux fontaines de larmes. C'était en vain qu'elle essayait de me consoler, lorsqu'il lui vint à l'idée de me conseiller de noyer ma peine au fond de mon encrier. A ces mots, je me mis à rire, et... ma peine s'envola!! Je me rendis aussitôt à ma place et commençai à étudier avec ardeur.

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