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Tandis qu'une partie de la création publie, chaque jour, aux mêmes lieux les louanges du Créateur, une autre partie voyage pour raconter ses merveilles.

Des courriers traversent les airs, se glissent dans les eaux, franchissent les monts et les vallées. Ceux-ci arrivent sur les ailes du printemps, et bientôt, disparaissant avec les zéphyrs, suivent de climats en climats leur mobile patrie; ceux-ci s'arrêtent à l'habitation de l'homme: voyageurs lointains, ils réclament l'antique hospitalité. Chacun suit son inclination dans le choix d'un hôte: le rouge-gorge s'adresse aux cabanes, l'hirondelle frappe aux palais. Cette fille de roi semble encore aimer les grandeurs, mais les grandeurs tristes, comme sa destinée; elle passe l'été aux ruines de Versailles, et l'hiver à celles de Thèbes.

A peine a-t-elle disparu, qu'on voit s'avancer sur les vents du nord une colonie qui vient remplacer les voyageurs du midi, afin qu'il ne reste aucun vide dans nos campagnes. Par un temps grisâtre d'automne, lorsque la bise souffle sur les champs, que les bois perdent leurs dernières feuilles, une troupe de canards sauvages, tous rangés à la file, traversent en silence un ciel mélancolique. S'ils aperçoivent du haut des airs quelque manoir gothique environné d'étangs et de forêts, c'est là qu'ils se préparent à descendre: ils attendent la nuit, et font des évolutions au-dessus des bois. Aussitôt que la vapeur du soir enveloppe la vallée, le cou tendu et l'aile sifflante, ils s'abattent tout à coup sur les eaux qui retentissent. Un cri général, suivi d'un profond silence, s'élève des marais. Guidés par une petite lumière, qui peut-être brille à l'étroite fenêtre d'une tour, les voyageurs s'approchent des murs à la faveur des roseaux et des ombres. Là, battant des ailes et poussant des cris par intervalles, au milieu du murmure des vents et des pluies, ils saluent l'habitation de l'homme.

Un des plus jolis habitants de ces retraites, mais dont les pèlerinages sont moins lointains, c'est la poule d'eau. Elle se montre au bord des jones, s'enfonce dans leur labyrinthe, reparaît et disparaît encore en poussant un petit cri sauvage; elle se promène dans les fossés du château ; elle aime à se percher sur les armoiries sculptées dans les murs. Quand elle s'y tient immobile, on la prendrait, avec son plumage noir et le cachet blanc de sa tête, pour un oiseau en blason tombé de l'écu d'un ancien chevalier. Aux approches du printemps, elle se retire à des sources écartées.

Une racine de saule minée par les eaux lui offre un asile; elle s'y dérobe à tous les yeux. Les convolvulus, les mousses, les capillaires d'eau suspendent devant son nid des draperies de verdure; le cresson et la lentille lui fournissent une nourriture délicate; l'eau murmure doucement à son oreille; de beaux insectes occupent ses regards; et les naïades du ruisseau, pour mieux cacher cette jeune mère, plantent autour d'elle leurs quenouilles de roseaux, chargées d'une laine empourprée.

Parmi ces passagers de l'aquilon, il s'en trouve qui s'habituent à nos meurs, et refusent de retourner dans leur patrie: les uns, comme les compagnons d'Ulysse, sont captivés par la douceur de quelques fruits; les autres, comme les déserteurs du vaisseau de Cook, sont séduits par des enchanteresses qui les retiennent dans leurs îles. Mais la plupart nous quittent après un séjour de quelques mois: ils s'attachent aux vents et aux tempêtes qui ternissent l'éclat des flots, et leur livrent la proie qui leur échapperait dans les eaux transparentes; ils n'aiment que les retraites ignorées, et font le tour de la terre par un cercle de solitudes. Ce n'est pas toujours en troupes que ces oiseaux visitent nos demeures. Quelquefois de beaux étrangers, aussi blancs que la neige, arrivent avec les frimas: ils descendent au milieu des bruyères, dans un lieu déCouvert, et dont on ne peut approcher sans être aperçu; après quelques heures de repos, ils remontent sur les nuages. Vous courez à l'endroit d'où ils sont partis, et vous n'y trouvez que quelques plumes, seules marques de leur passage, que le vente a déjà dispersées: heureux le favori des Muses qui, comme le cygne, a quitté la terre sans y laisser d'autres débris et d'autres souvenirs que quelques plumes de ses ailes!

A. Les Pensées.

Tableau d'ensemble

I-DÉBUT: Les étapes sédentaires et les voyageurs louent le Créateur. 1. Les uns passent seulement... 2. Les autres s'arrêtent

I-Ois. des pays chauds.

aux cabanes Jaux palais.

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B. Le style

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§ I. La phrase sert de liaison avec les idées déjà traitées et amène le sujet nouveau: il y a opposition dans les idées: aux mêmes lieux voyage".

Les termes généraux se prêtent très bien à l'introduction d'un récit ou d'une description: -"une partie de la création" c'est-à-dire les paysages de la nature, le règne végétal, le règne animal.

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"publie", fait connaître à tout le monde; peut-être "raconte, annonce" irait mieux là, et " publier" conviendrait aux voyageurs" qui font connaître à tous "ses merveilles".

Peut-être aussi "création" cèderait bien sa place au mot "nature", en raison du "Créateur" dont l'idée implique celle des êtres créés. Ce sont des nuances du langage.

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§ II. 1. Quels sont les voyageurs "? Des courriers", ceux qui viennent annoncer quelque chose: c'est, par image, le second terme du titre "migrations des oiseaux ".

Remarquez comment l'auteur observe: "les airs... les eaux... les monts et les vallées": sans la conj. et.

2. "Ceux-ci... ceux-ci": ingéniosité de langage: Chateaubriand vise à être personnel et original, même dans les bluettes.

"les ailes du printemps" image poétique et hardie, sorte d'allégorie, comme "les ailes de la victoire, de la renommée...".

Tandis que ces premiers "courriers" courriers" passent et passent et "disparaissent ", qu'ils suivent leur mobile patrie" quelle perle! comme idée et expression, - d'autres "s'arrêtent " aux demeures des villes ou de la campagne: venant de loin, ils demandent avec instance "l'hospitalité" traditionnelle et universelle.

L'allégorie se dessine plus nette, depuis le mot c'est l'art d'écrire dans toutes ses finesses.

voyage" jusqu'ici :

3. Du vague, du général, l'auteur passe au précis, au particulier, à l'individu :-"chacun suit son" instinct; "hôte ", mot très heureux, qui relie cette phrase à la précédente.

Puis une belle antithèse: "cabanes - palais "-" s'adresse - frappe" "c'est-à-dire, pour continuer la comparaison, dirige sa demande et sollicite vivement.

4. Familiarisé avec la mythologie, l'auteur saisit aussitôt l'allusion qui concerne "l'hirondelle ", de Progné," fille du roi " d'Athènes, métamorphosée en oiseau, en punition de sa coopération au meurtre d'Itys.

D'où le sens de "aimer les grandeurs... les grandeurs tristes", heureux accouplement de mots, exemple de richesse de style.

Ce qui confirme cette idée, c'est "l'été aux ruines de Versailles, l'hiver à celles de Thèbes ". Fille de roi dépossédée, chez les rois de France et d'Egypte anéantis!

§ III.1. "A peine...": notez cette manière de transition, à l'aide d'une conjonction.

Fidèle à son procédé, l'auteur commence chaque alinéa en posant l'idée à développer d'une façon vague et indéfinie:-"c'est une colonie s'avançant sur les vents du nord": il s'agit des oiseaux des pays froids. "colonie" laisse entendre l'arrivée de voyageurs par groupes ";"aucun vide", achève l'idée générale, en indiquant l'effet.

2. Voici qui pécise: "temps d'automne..., une troupe de canards ".. Il est difficile, selon la note de M. Lepitre, de rendre avec plus de vérité dans les détails, plus d'harmonie dans le style, les migrations aux climats tempérés. Il est évident que tout ceci a été observé de très près et avec une curiosité d'artiste.

"traversent en silence un ciel mélancolique", finale qui forme un vers alexandrin, superbe d'allure et de grâce.

3. "S'ils aperçoivent ": variété du style, par le tour conditionnel ou hypothétique;" du haut des airs" n'est pas inutile, à cause de ce qui

suit:

"manoir" est un infin. pris substantivement. Ceci rappelle "le choix" du rouge-gorge et de l'hirondelle.

"environné d'étangs" complète le paysage avec "les forêts" et indique la retraite des canards; "c'est là" mot de valeur ; -"font des évolutions" terme de marine ou de guerre.

4. La phrase précédente annonce la descente vers "la nuit "; celle-ci montre qu'elle approche: "vapeur du soir". Puis, au lieu de mots génériques, l'artiste peint par les termes propres: "le cou... l'aile... les eaux qui retentissent".

Remarquez l'harmonie des mots, les t, les s, les deux ff.

5 et 7. On suit les mouvements des oiseaux, comme si l'on était présent: tous nos sens sont conviés au spectacle: "cri... silence... lumière... fenêtre d'une tour... s'approchent des murs... roseaux,... ombres... battant des ailes... murmures des vents et des pluies..."

Voilà des recettes à l'usage des novices: observer, réfléchir, combiner, peindre, imprimer la vie, le mouvement.

Chateaubriand, relégué dans la tourelle du château paternel, à Combourg, près de Saint-Malo, a tout vu, tout retenu; puis il a composé.

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1. La liaison est naturelle; elle est indiquée par "un... de ces retraites" ce qui assimile "la poule d'eau " au genre de vie des "canards sauvages".

En personnifiant, "jolis habitants ", " pèlerinages ", la métaphore se poursuit, identique et intéressante. Il est naturel que l'on quitte "une retraite" pour des œuvres saintes, pour des pèlerinages.

2. Voici les traits de mœurs de l'oiseau:— en hiver, d'abord, " au bord des jones"; il a dit "roseaux" plus haut: tout cela est vu, et l'on dirait même "vécu ".

3. Le portrait amène à l'esprit de l'écrivain la comparaison du blason, où les colombes se voient si souvent.

La pensée semble être: "on la prendrait pour un oiseau faisant partie d'un blason" c'est-à-dire d'un ensemble d'emblêmes, consacrés par l'usage héraldique, comme signe distinctif d'une famille noble. Rapprochement très pittoresque.

"Ecu", champ en forme de bouclier, où sont représentées les pièces des armoiries.

4. Ses mœurs

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au printemps. C'est une variété de ses migrations, que de chercher les sources tièdes ou dormantes.

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Les deux phrases qui suivent sont d'une grâce si légère que l'on se demande comment cela se puisse tisser ". Tout est animation, surprenant de nuances et de délicatesse.

On regrette l'allusion "aux naïades" et l'image forcée des "quenouilles". La manière de le dire illusionne et fait pardonner cet emprunt mythologique, aujourd'hui fade et suranné.

§ V. 1. Après l'épisode, Chateaubriand reprend le plan général, par ces mots " ces passages de l'aquilon ", puisque ce sont "les vents du nord", qui les ont amenés. Alternatives et comparaisons bien choisies: "compagnons d'Ulysse ", "déserteurs du vaisseau de Cook". Les " enchanteresses" sont les Sirènes ". Notez la différence: "les uns... sont captivés les autres... sont séduits...!!- Le mot " mœurs ", manière de vivre, semble avoir ici le sens de "climats, contrée ".

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2. L'exception avant la règle, car "la plupart nous Quelle nouveauté de style? s'attachent aux vents...". litudes ".

"ternissent l'éclat " est fort beau, comme opposé à

tes".

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eaux transparen

"font le tour de la terre ", constitue une exagération de langage, que l'on entend bien à l'aide du contexte.

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