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ser l'immuable et universelle loi du devoir '. Éclairés cependant par l'exemple d'égarements illustres et de chutes profondes, rappelés aux beaux souvenirs du clergé de France et à la tradition de l'Église tout entière, pressés par l'inflexible logique, mis en présence des grands résultats de l'histoire, vous vous décidez enfin à reconnaître aujourd'hui que la philosophie a une base solide dans la raison naturelle, laquelle porte en son propre fond toutes les grandes vérités morales et religieuses. Que ces vérités aient été déposées à l'origine dans la conscience de l'homme par Dieu lui-même qui les y maintient et les y grave sans cesse, nul ne le conteste; que ce don primitif du créateur soit contemporain d'un autre infiniment précieux, celui du langage, vous l'affirmez au nom de la foi, après avoir essayé naguère assez vainement de le démontrer par la science; mais quelle que soit la valeur de cette hypothèse, toujours est-il que l'homme, une fois sorti des mains de Dieu, se trouve pourvu du privilége admirable de s'élever par la force naturelle de sa raison jusqu'au principe

' M. l'archevêque de Paris, Observations sur la controverse relative à la liberté d'enseignement, page 57 et 58.

infini de son être, jusqu'à la loi régulatrice de sa destinée morale. S'il en est ainsi, pourquoi refuser à la philosophie une autorité indépendante, et le droit d'exercer en son propre nom le ministère spirituel ? Pourquoi proclamer son impuissance? Pourquoi nier les services. qu'elle a rendus à l'humanité? Pourquoi la condamner à l'impiété et à l'erreur ? Pourquoi placer la raison dans une alternative aussi fausse que dangereuse en faisant retentir dans vos livres, dans vos journaux, dans vos chaires, cette téméraire parole : point de milieu entre le catholicisme et le panthéisme.

Vous déroulez le tableau des agitations de la raison humaine; vous triomphez de la diversité et de la contradiction des systèmes philosophiques. Mais pourquoi vous arrêter ainsi à la surface des choses? Pénétrez plus profondément dans cette prodigieuse variété de spéculations et de systèmes; vous la trouverez soumise à des lois. Nul doute que la raison ne soit très-imparfaite; nul doute qu'elle ne s'ouvre à l'erreur par tous les côtés; mais ces erreurs ont des limites. La raison est flottante et mobile, j'en conviens, mais elle s'agite entre des barrières infranchissables, autour

d'un centre d'où elle peut s'éloigner sans doute, mais où il faut toujours qu'elle revienne après ses plus grands écarts. Ce centre fixe et immobile, ce sont les vérités fondamentales dont Dieu a pour ainsi dire composé le fond de toute conscience humaine. Les grands systèmes de philosophie, images fidèles de la conscience et de la raison, recueillent et contiennent toutes ces vérités. Voyez le platonisme dans l'antiquité; voyez dans les temps modernes la philosophie de Descartes, celle de Leibnitz, celle de Reid, celle même de Kant. Ces systèmes sont divers, par conséquent imparfaits; ils ont des pentes funestes, ils recèlent des germes d'erreurs. Qui le nie? Et qu'est-ce à dire, sinon qu'aucun de ces systèmes n'est la vérité absolue? Mais la vérité absolue, ce serait l'explication absolue des choses. Nul doute que la philosophie ne l'ait point encore rencontrée. C'est son idéal, et il est dans l'infini; mais autre chose est satisfaire complétement le désir de connaître qui tourmente l'esprit humain, et lui donner le secret peut-être impéné trable de l'existence universelle, autre chose est reconnaître, proclamer, répandre parmi les hommes toutes les vérités essentielles à leur

développement spirituel. Or, je dis que toutes les grandes philosophies ont été fidèles à cette loi, remplissant ainsi à leur manière ce même ministère moral et religieux qui fait depuis dixhuit siècles l'honneur et la grandeur de la religion chrétienne.

Je sais que vous attribuez à l'influence du christianisme toutes les vérités qui se rencontrent dans les monuments les plus admirés de la philosophie moderne; mais remontons à une époque où la religion, loin d'enseigner et de maintenir ces vérités salutaires, les altérait par des superstitions indignes. Arrêtonsnous, par exemple, sur le système de Platon. Vous l'accusez tour à tour de tomber dans le dualisme et dans le panthéisme. La vérité est que ce grand esprit qui nous conduit à Dieu par une voie si droite et si large, quand il s'agit de redescendre de cette région supérieure pour expliquer l'univers, ne parvient à dissiper que d'une manière bien imparfaite les ténèbres qui offusquent son regard. Tantôt il semble admettre hors de la perfection suprême, une matière informe à laquelle l'ouvrier divin viendra donner des lois'; tantôt, embarrassé Voyez le Timée.

de ce principe bâtard qui n'est ni l'être, ni le néant, et dont l'équivoque existence ne paraît pas compatible avec un système qui met en Dieu la source de toute réalité et de toute perfection, il essaie de le réduire à un principe tout logique, tout abstrait, à l'idée confuse de la diversité et de la différence; et le monde, alors, qui dans le premier cas semblait indépendant de Dieu, paraît ici ne faire qu'un avec lui, et n'être autre chose que l'ensemble de ses développements nécessaires'. Quel est celui de ces deux systèmes auquel s'arrête Platon? on ne peut le dire. Il a mieux aimé rester indécis que de risquer d'être téméraire. Quand on le presse pour savoir de lui quel est le juste rapport du sensible à l'intelligible, du monde à Dieu, il s'écrie: De quelque manière que Dieu soit dans le monde, je suis invinciblement assuré qu'il y est en effet, et que tout ce qui existe, existe en lui et par lui 2. On peut ici admirer la sagesse de Platon,

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Voyez le Sophiste.

Voyez le Phédon et le Banquet. Je ne puis m'empêcher de citer au moins ici ce passage, qui est à mes yeux d'un prix infini : << Socrate: Pour t'apprendre la méthode dont je me suis servi pour m'élever à la connaissance des causes, je reviens à ce que j'ai tant rebattu, et je commence par établir qu'il y a

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