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c'est une méthode scientifique susceptible d'une application rigoureuse et sévère: c'est au fond la méthode de tous les grands métaphysiciens. Je ne parle pas seulement de Platon et de sa glorieuse famille, les Plotin, les saint Augustin, les saint Anselme, les Malebranche; je parle aussi des plus sévères génies, des métaphysiciens géomètres, Descartes, Spinoza, Leibnitz, qui sont tous à leur manière de grands dialecticiens. En ce sens la dialectique platoni

bres des êtres véritables, ou bien des ombres d'objets artificiels formées par une lumière que l'on prend pour le soleil. Voilà précisément ce que fait dans le monde intellectuel l'étude des sciences que nous avons parcourues; elle élève la partie la plus noble de l'âme jusqu'à la contemplation du plus excellent de tous les êtres, comme tout à l'heure nous venons de voir le plus perçant de tous les organes du corps s'élever à la contemplation de ce qu'il y a de plus lumineux dans le monde corporel et visible. >> (République, livre VII, trad. de M. Cousin, tome X, p. 104, 105.)

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Tel est le mouvement ascendant de la dialectique, qui va de l'âme aux idées et des idées à Dieu. Le dernier passage que nous allons citer décrit en outre la marche descendante qui conduit le dialecticien de la connaissance de Dieu à l'explication de tout le reste : Conçois à présent, dit Socrate, ce que j'entends par la seconde division des choses intelligibles. Ce sont celles que l'âme saisit immédiatement par la dialectique, en faisant des hypothèses qu'elle. regarde comme telles, et non comme des principes, et qui lui servent de degrés et de points d'appui pour s'élever jusqu'à un premier principe qui n'admet plus d'hypothèse. Elles saisit ce principe, et, s'attachant à toutes les conséquences qui en dépendent, elle descend de là jusqu'à la dernière conclusion, repoussant toute donnée sensible pour s'appuyer uniquement sur des idées pures, par lesquelles la démonstration commence, procède et se termine. >> (Platon, République, livre VI, trad. franç., tome X, p. 61, 62. )

cienne est plus qu'une méthode, c'est le génie même du spiritualisme, c'est l'âme de toute vraie philosophie.

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Malebranche :

On élève contre la dialectique un éternel reproche; Aristote l'adressait à Platon, Gassendi le renouvelle contre Descartes, Arnauld contre "Vous réalisez des abstractions. Juger ainsi la méthode platonicienne, c'est mal la comprendre, ou, pour mieux dire, c'est n'en voir que l'abus, c'est en méconnaître l'usage et l'essence. Quoi! chercher en toutes choses le simple, l'éternel, c'est courir après des abstractions vaines! quoi! quitter le phénomène pour l'essence, l'individu pour sa loi, le temps pour l'éternité, l'espace pour l'immensité, le contingent et le fini pour l'infini et le nécessaire, c'est quitter le corps pour s'attacher à l'ombre, la réalité pour la chimère! Quoi! l'ordre, l'unité, la parfaite justice et la parfaite vérité, ce sont là des êtres de fantaisie! Et l'infini même, l'Être des êtres, que sera-t-il alors, sinon la plus stérile et la plus vide des abstractions? Étrange philosophie qui, par la crainte de l'abstraction, renonce aux êtres véritables et détruit les plus solides et les plus saintes réalités ! Ces réserves faites, nous conviendrons que, si l'histoire de la philosophie consacre la légitimité de la méthode platonicienne, elle en dévoile aussi les excès. J'en signalerai deux : la dialectique incline au panthéisme, et par une suite très-naturelle, elle incline aussi au mysticisme en sorte que cette même méthode qui fait la force et l'hon

neur de la pensée humaine peut devenir la cause de ses plus funestes égarements. Misère, infirmité de l'homme! Otez-lui le sens de l'éternel et du divin, il rampe sur la terre plus vil que les bêtes destinées à vivre et à y périr; rendez-lui ce sens sublime, il s'enivre et court aux abîmes.

y

Je ne dis point que la méthode dialectique conduise nécessairement au panthéisme; je dis qu'elle y incline par une impulsion naturelle que les plus fermes génies n'ont pu surmonter. Cette méthode consiste en effet essentiellement à poursuivre en toutes choses ce qu'elles contiennent de persistant et de simple, l'élément positif, substantiel, l'idée, comme disent les platoniciens. Or, ce principe absolu et parfait auquel la dialectique aboutit par tous les chemins, soit qu'elle interroge la nature, soit qu'elle sonde la conscience humaine; ce principe où tout ramène une âme de philosophe, depuis les astres qui roulent dans les cieux jusqu'à l'humble insecte caché sous l'herbe, ne semble-t-il pas qu'à mesure que la pensée s'élève vers lui, elle se détache du néant 'pour arriver à l'être, qu'elle dépouille en quelque sorte les objets qu'elle abandonne de toute la perfection et de toute la réalité qu'elle y peut saisir, pour la transporter, pour la rendre tout entière à celui qui la possède en propre, et qui contient tout en soi dans la plénitude de son existence absolue? Et quand on quitte ainsi dès le premier pas la réalité sensible, l'individualité, l'espace, le mouvement et

le temps; quand tout cet univers n'est plus en quelque sorte qu'une vapeur brillante et légère à travers laquelle l'âme contemple l'être parfait et absolu dans sa majesté éternelle, ne touche-t-on pas au panthéisme?

Rien n'autorise à penser que Platon se soit laissé entraîner jusqu'à cette extrémité périlleuse, de ne plus voir dans les êtres de l'univers qu'une émanation, un écoulement, un développement nécessaire de Dieu; mais s'il n'a jamais adopté, si même il n'a jamais clairement aperçu le principe de l'émanation, on peut dire que ce principe est caché dans les profondeurs de sa doctrine, et qu'il suffit de la presser pour l'en faire sortir. Du reste, ce noble et ferme génie, en qui Socrate avait imprimé sa mâle sobriété, a toujours repoussé avec énergie les conséquences trop ordinaires du panthéisme; toujours il s'est tenu ferme sur la liberté de l'homme et la providence de Dieu. Qu'il me suffise de rappeler ce passage de la République où Platon, dans un mythe admirable, fait parler la vierge Lachésis, fille de la Nécessité :

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. La vertu n'a point de maître; elle s'attache à qui l'honore, et abandonne qui la néglige. On est responsable de son choix; Dieu est innocent. »

'Le Timée est tout pénétré, pour ainsi dire, de la foi de Platon en la divine providence; mais nulle part ce grand homme ne s'est expliqué sur ce dogme essentiel d'une manière plus expresse et plus étendue que dans ce mémorable passage des Lois :

«Ne faisons pas cette injure à Dieu de le mettre au-dessous des ouvriers inortels; et tandis que ceux-ci, à proportion qu'ils excel

Du panthéisme au mysticisme, la pente est rapide. Le principe de l'un et de l'autre est le même : un

lent dans leur art, s'appliquent aussi davantage à finir et à perfectionner, par les seuls moyens de cet art, toutes les parties de leurs ouvrages, soit grandes, soit petites; ne disons pas que Dieu qui est très-sage, qui veut et peut prendre soin de tout, néglige les petites choses auxquelles il lui est plus aisé de pourvoir, comme pourrait faire un ouvrier indolent ou lâche, rebuté par le travail, et qu'il ne donne son attention qu'aux grandes....

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«Persuadons à ce jeune homme que celui qui prend soin de toutes choses, les a disposées pour la conservation et le bien de l'ensemble; que chaque partie n'éprouve ou ne fait que ce qu'il lui convient de faire ou d'éprouver; qu'il a commis des êtres pour veiller sans cesse sur chaque individu jusqu'à la moindre de ses actions ou de ses affections, et porter la perfection jusque dans les derniers détails. Toimême, chétif mortel, tout petit que tu es, tu entres pour quelque chose dans l'ordre général, et tu t'y rapportes sans cesse. Mais tu ne vois pas que toute génération se fait en vue du tout, afin qu'il vive d'une vie heureuse; que l'univers n'existe pas pour toi, mais que tu existes toi-même pour l'univers. Tout médecin, tout artiste habile dirige toutes ses opérations vers un tout, et tend à la plus grande perfection du tout; il fait la partie à cause du tout, et non le tout à cause de la partie; et si tu murmures, c'est faute de savoir comment ton bien propre se rapporte à la fois et à toimême et au tout, suivant les lois de l'existence universelle.... »

« Le roi du monde ayant remarqué que toutes nos opérations viennent de l'âme, et qu'elles sont mélangées de vertu et de vice; que l'âme et le corps, quoiqu'ils ne soient point éternels, ne doivent néanmoins jamais périr; car si le corps ou l'âme venait à périr, toute génération d'êtres animés cesserait ; et qu'il est dans la nature du bien, en tant qu'il vient de l'âme, d'être utile, tandis que le mal est toujours funeste; le roi du monde, dis-je, ayant vu tout cela, a imaginé dans la distribution de chaque partie le système qu'il a jugé le plus facile et le meilleur, afin que le bien eût le dessus et le mal le dessous dans l'univers. C'est par rapport à cette

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