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Discours, where he says: "N'ont-ils pas reconnu le plan et l'économie du livre des Caractères? N'ont-ils pas observé que, dans seize chapitres qui le composent, il y en a quinze qui, s'attachant à découvrir le faux et le ridicule qui se rencontrent dans les objets des passions et des attachements humains, ne tendent qu'à ruiner tous les obstacles qui affaiblissent d'abord et qui éteignent ensuite, dans tous les hommes, la connaissance de Dieu ; qu'ainsi ils ne sont que des préparations au seizième et dernier chapitre, où l'athéisme est attaqué et peut-être confondu; où les preuves de Dieu, une partie du moins de celles que les faibles hommes sont capables de recevoir dans leur esprit, sont apportées; où la Providence de Dieu est défendue contre l'insulte et les plaintes des libertins?" Such may have been the author's purpose, but without dwelling upon the singularity of a plan which consecrates the first fifteen chapters to the preparation of the sixteenth, it cannot be denied that, as a matter of fact, La Bruyère's work is by no means methodical, and that the place occupied by many of his reflexions and portraits might be changed without any inconvenience. This perfect ease and liberty in the composition of the work, which would be a serious fault in a systematic treatise, is, however, one more charm in the Caractères, and contributes not a little to their liveliness and piquancy.

As a writer, La Bruyère forms, so to speak, the

transition between the seventeenth and the eighteenth centuries. Less simple than his predecessors, he often seems too anxious to attract his reader's attention. But if he cannot be said to be altogether free from mannerism and affectation, if his artifices are at times too apparent, what wonderful variety, what brilliant picturesqueness they give to his style! "Voulez-vous," says M. Vallery Radot, "faire un inventaire des richesses de notre langue, en voulez-vous connaître tous les tours, tous les mouvements, toutes les figures, toutes les ressources, il n'est pas nécessaire de recourir à cent volumes, lisez, relisez La Bruyère."

The unsurpassed literary talent of the great moralist would alone be sufficient to justify the choice made of the Caractères to open this Classical Series; but it may be added that, if it would be difficult to find a book more suitable to acquaint foreign students of the French language with its infinite resources, it would hardly be easier to offer them one that presents, in so small a compass, so many valuable thoughts on such a variety of subjects.

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LES CARACTÈRES

OU LES MŒURS DE CE SIÈCLE

I

1-10

DES OUVRAGES DE L'ESPRIT

I. TOUT est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé; l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes.

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2. C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule; il faut plus que de l'esprit pour être auteur. Un magistrat allait par son mérite à la première dignité, il était homme délié et pratique dans les affaires : il a fait imprimer un ouvrage moral, qui est rare 10 par le ridicule.

3. Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on s'est déjà acquis.

4. Il y a de certaines choses dont la médiocrité est 15 insupportable: la poésie, la musique, la peinture, le discours public.

B

5. Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature; celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait, celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y 5 a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement.

:

6. Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne on ne la rencontre pas toujours en parlant Io ou en écrivant; il est vrai néanmoins qu'elle existe, que tout ce qui ne l'est point est faible, et ne satisfait point un homme d'esprit qui veut se faire entendre.

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Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent que l'expression qu'il cherchait depuis longtemps sans la connaître et qu'il a enfin trouvée est celle qui était la plus simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter d'abord et sans effort.

7. La même justesse d'esprit qui nous fait écrire de bonnes choses nous fait appréhender qu'elles ne le soient 20 pas assez pour mériter d'être lues.

Un esprit médiocre croit écrire divinement; un bon esprit croit écrire raisonnablement.

8. "Que dites-vous du livre d'Hermodore? - Qu'il est mauvais, répond Anthime.-Qu'il est mauvais ?— 25 Qu'il est tel, continue-t-il, que ce n'est pas un livre, ou qui mérite du moins que le monde en parle.—Mais l'avez-vous lu?-Non," dit Anthime.-Que n'ajoute-t-il que Fulvie et Mélanie l'ont condamné sans l'avoir lu, et qu'il est ami de Fulvie et de Mélanie?

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9. Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes; et, dans l'éloignement d'où il les voit, il est

comme effrayé de leur petitesse: loué, exalté, et porté
jusqu'aux cieux par de certaines gens qui se sont promis
de s'admirer réciproquement, il croit, avec quelque
mérite qu'il a, posséder tout celui qu'on peut avoir, et
qu'il n'aura jamais; occupé et rempli de ses sublimes 5
idées, il se donne à peine le loisir de prononcer quelques
oracles; élevé par son caractère au-dessus des jugements
humains, il abandonne aux âmes communes le mérite
d'une vie suivie et uniforme, et il n'est responsable de
ses inconstances qu'à ce cercle d'amis qui les idolâtrent; 10
eux seuls savent juger, savent penser, savent écrire,
doivent écrire; il n'y a point d'autre ouvrage d'esprit si
bien reçu dans le monde et si universellement goûté des
honnêtes gens, je ne dis pas qu'il veuille approuver, mais
qu'il daigne lire: incapable d'être corrigé par cette 15
peinture, qu'il ne lira point.

10. Théocrine sait des choses assez inutiles; il a des
sentiments toujours singuliers; il est moins profond que
méthodique; il n'exerce que sa mémoire; il est abstrait,
dédaigneux, et il semble toujours rire en lui-même de 20
ceux qu'il croit ne le valoir pas.
lui lis mon ouvrage, il l'écoute.
sien.-Et du vôtre, me direz-vous, qu'en pense-t-il ?—Je
vous l'ai déjà dit, il me parle du sien.

Le hasard fait que je
Est-il lu, il me parle du

II. Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle 25 vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage : il est bon et fait de main d'ouvrier.

12. Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point. Les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement. 30 Les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout

V

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