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Que je vous plains! Sauvé de plus d'un précipice, Par d'affreux contre-temps en chemin ballotté,

Par les ornières cahoté,

Et, charmé de revoir votre agréable hospice,
Vous espériez, dans un joyeux banquet,
De vos enfants entendre le caquet,
Des arbres de leur âge observer la croissance,
Avec vos espaliers refaire connaissance,

Reposer dans votre bosquet;

De votre épouse en pleurs terminer le

veuvage;

De vos jardins lui porter un bouquet; Vous montrer bien portant à votre voisinage; De vos correspondants feuilleter un paquet, Et vous remettre au courant du ménage. Vaine espérance! Un sot questionneur, Malgré vous introduit, trouble votre bonheur; Du peu qu'il sait, l'incommode étalage, D'interrogations sans pitié vous poursuit De pays en pays, de village en village, Sur vos traces vous reconduit,

Et vous remet, malgré vous, en voyage.

Un air d'humeur vainement l'éconduit:

Par vos récits, dit-il, mieux que par la lecture,
Il veut des lieux divers connaître la culture,

Et le commerce et le produit.

Que tous ses beaux semblants n'aillent pas vous séduire;
Son projet n'est pas de s'instruire, (9)
Mais de prouver qu'il est instruit.

A ce questionneur succède une autre espèce,
Plus ennuyeux encore et de plus mauvais goût :
Sans être interrogé, celui-là vous dit tout,

Où sont placés ses fonds, et sur quelle hypothèque;
Ce qui forme sa cave et sa bibliothèque.

Pour vous intéresser, il vous conte souvent
L'histoire du college et celle du couvent;

Comment son fils, sa fille, y sont couverts de gloire

Pour gagner le prix de mémoire;

Son cadet a dit rondement

Sa grammaire et son rudiment.

Puis le détail de toute sa famille;

Les chagrins, les plaisirs, les torts de ces marmots;

Aglaé, sa plus jeune fille,

Si sémillante, si gentille,

Ce matin n'a pas dit deux mots;

Charle a brisé son char, et François ses grelots;
Antoine a mal aux dents, et sa chère Julie,

Avec un peu d'humeur a mangé sa bouillie.

Parmi ce grand nombre de sots,
Chacun déplaît à sa manière;

Le plus fatal à mon repos

C'est ce mortel qui, bon par caractère,

Écrivain sage, ami sincère,

Mais sans tact et sans à-propos,

Rencontre juste, en cherchant à vous plaire,
Tout ce qu'il convenait d'éviter et de taire.

Aux bienséances plus soumis,

Il pourrait vous parler de vous, de vos amis,

De vos parents, des jours de votre gloire;

Sa désobligeante mémoire

S'occupe de vos torts et de vos ennemis;

Soigneux de fuir les images paisibles,

Les pensers consolants et les sentiments doux,
Ses tristes entretiens, à la santé nuisibles,
Ne savent réveiller en vous

Que d'amers souvenirs et des rêves pénibles.
Aussi, pour ces fous désastreux
Mettant bas toute complaisance,

Du discoureur malencontreux

J'évite avec soin la présence;

Mais comme on a parfois trop de plaisir en France, J'aurai recours à lui, si je suis trop heureux.

Enfin ce fâcheux personnage,

Que l'on redoute encor lorsqu'il ne parle plus,
Dans la foule se fait passage,

Et de son mortel verbiage

Les derniers mots, loin de moi sont perdus.

Alors, tout différent de mœurs et de langage,

Arrive un gros rieur, dont la stupidité

En tous lieux promenant sa triste hilarité, (10
Et, d'un air enjoué recouvrant sa sottise,
Pense, à force de bruit, racheter sa bêtise,
Et m'afflige de sa gaîté.

Apprenez-lui quelque accident funeste,

Un incendie, un massacre, une peste,
Il rit; racontez-lui vos propres maux, il rit:
Rire est son passe-temps, sa grâce, son esprit;
Rire, à vos questions est sa seule réponse;

Il rit en vous quittant; il rit quand il s'annonce;
Et, dans ce grand concours d'importuns et de fous,
Prouve qu'un sot rieur est le pire de tous.

Par sa tristesse atrabilaire,

Ou son rire impatientant,

Si l'homme ennuyeux déplaît tant, L'homme ennuyé prétendrait-il à plaire? Du bonheur même en secret mécontent; Attristé sans chagrin, soucieux sans affaire;

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