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toute la difformité de son vice, contribua beaucoup à en dégoûter les spectateurs. Un trait historique moins connu et non moins digne de l'être, nous apprend qu'un souverain, ami passionné de la peinture, érigea, pour l'instruction des jeunes peintres, un monument où se trouvaient placées, d'un côté les productions estimables, de l'autre, les compositions défectueuses des peintres connus à cette époque. Là, les artistes trouvaient dans la même galerie les défauts qu'il fallait éviter, et les beautés qu'il fallait atteindre.

La morale et les arts étant le choix de ce qui est beau et bon, et la préférence donnée par le talent et la vertu à tout ce qui est digne d'admiration et d'estime, j'ai cru que la peinture fidèle des qualités et des caractères que

la société craint ou chérit le plus pouvait donner à mon ouvrage tout l'intérêt et toute l'utilité dont le sujet est susceptible, et que, dans les portraits que j'ai tracés, le double exemple du bien et du mal pouvait tenir lieu de préceptes et de leçons. Renonçant donc à la forme didactique, toujours un peu froide et un peu monotone, j'ai fait passer sous les yeux du lecteur les travers de l'esprit et du caractère les plus remarquables, et qui nuisent le plus à l'agrément de la société.

Les torts de l'esprit sont l'objet du premier chant; ceux du caractère composent le second; dans le troisième, je leur ai opposé la peinture de l'homme aimable, dont on chérit également le bon goût et la moralité.

Les personnages une fois choisis, il ne

suffisait pas de les faire voir, j'ai dû les faire entendre, et rapprocher de la comédie ce genre qui lui est inférieur sous tant d'autres rapports.

Chaque portrait bien tracé est une scène comique, brevis comœdia. Chacun doit donner lui-même la clef de son caractère, et se rendre ridicule par ses propres discours.

Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le ciel vous illumine.
Si l'on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j'ai partager les deniers.

Voilà les premiers vers que prononce le Tartuffe, et rien de ce que l'on dit de lui dans le reste de la comédie, ne le peint d'une manière plus comique et plus piquante. Le premier soin que doit s'imposer un peintre de portraits, c'est de bien connaître et

de bien tracer les traits principaux de chaque caractère. Qu'on me permette de prendre dans mon ouvrage un exemple de ce genre de mérite. Le babillard veut garder pour lui le plus de temps possible, et en laisser le moins aux autres; il a pris en haine l'écriture et l'impression, parce qu'elles usent d'avance ce qu'il se promet de dire et de conter. Le poète pouvait nous l'apprendre; mais il vaut mieux que le babillard nous l'apprenne lui-même; c'est ce qu'il fait dans les vers suivants :

Je vois des voyageurs, de leur itinéraire
Qui pouvait enrichir la conversation,

A leur retour affubler un libraire,
Et d'un manuscrit téméraire

Avant le temps risquer l'impression.
Misérable parti dont il faut se défendre!

Celui qui vous a lu ne veut plus vous entendre ;

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Et, pour entretenir la curiosité,

Il faut un peu de nouveauté.

Je l'éprouvai cent fois ; aussi les gens que j'aime
De mes récits ont toujours la primeur;
Je ne fais point dire par l'imprimeur
Ce que je puis dire moi-même.
Aux mêmes lieux réunis une fois,

Nous pourrons converser enfin de vive voix.1
Dans l'absence on a beau s'écrire,

Le papier transmet tout, mais il n'explique rien -
C'est en parlant qu'on s'entend bien;

Et combien nous avons de choses à nous dire !

Pour donner plus d'effet à ces caractères,

peut-être faudrait-il placer à côté l'un de l'autre deux personnages dominés par la même passion; mais alors il faut que l'un des deux porte plus loin que l'autre le vice ou, le travers qui leur est commun. Là, se trouve le mérite de la difficulté vaincue.

C'est ce que j'ai essayé de faire dans la peinture de l'avare.

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