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ment négligé par le colonel de Maillé, dont la conduite peu régulière et une malheureuse passion pour la musique avaient totalement distrait l'esprit de ses devoirs militaires. Quant au lieutenant-colonel de Nettancourt, absorbé par un immense procès qu'il soutenait contre la maison de Rohan, il ne s'occupait pas d'autre chose. Dans l'appartement où il me reçut, les meubles étaient chargés de dossiers, et il me fut impossible de l'amener sur un autre terrain que celui de ce procès dont il me raconta toutes les phases, et dont l'origine datait du règne de Louis XIV.

Je me mis promptement à l'œuvre pour que le régiment parût sans trop de désavantage au camp de Lunéville où trois autres régiments de cavalerie légère étaient déjà réunis. Dans la visite que me fit le corps d'officiers à mon arrivée, je lui avais tenu le langage que je croyais le plus propre à stimuler le zèle de chacun; mais j'étais prévenu que l'habitude était prise, par les capitaines particulièrement, de tenir peu compte des ordres qu'ils recevaient. Je ne tardai pas à en avoir la preuve par moi-même dans une question de tenue; je mis les six capitaines commandants aux arrêts, et je n'eus plus l'occasion, sauf une seule fois, d'employer des moyens de rigueur.

Quand le moment en fut venu, les quatre escadrons désignés pour le camp se mirent en marche, et j'eus la satisfaction d'apprendre que, à leur arrivée, ils avaient été trouvés bien. Je restai à Verdun avec les deux derniers escadrons et, vers le mois d'octobre, ceux qui étaient à Lunéville rentrèrent avec le colonel. L'hiver se passa dans les occupations ordinaires de garnison; vers le mois de juin suivant, les quatre escadrons retournèrent avec le colonel au camp de Lunéville et, comme l'année précédente, je restai à Verdun.

Le célèbre voyage de Charles X en Lorraine et en

Alsace eut lieu peu de jours après; ce voyage, marqué à chaque étape par l'enthousiasme frénétique des populations, donnait des espérances de stabilité qui devaient être bientôt cruellement déçues. Le Roi, accompagné de Monseigneur le Dauphin, entendit la messe à Verdun, y dina et y coucha. J'avais été au-devant de lui avec tout ce que j'avais de cavalerie, à deux kilomètres, ainsi que le prescrivent les ordonnances, et je l'escortai à son départ jusqu'à la même distance. Le Roi et le Dauphin me traitèrent fort bien et comme une ancienne connaissance.

Madame la Dauphine arriva aussi à Verdun la semaine suivante. Elle venait de Metz, et avait demandé qu'on ne lui fît aucune réception; mais le sous-préfet, par un excès de zèle qui ne partait pas du cœur, plaça la garde. nationale sur les glacis, et en fit entourer la calèche découverte dans laquelle la princesse faisait son entrée; les tambours marchaient en tête. Or, cette garde nationale portait le même uniforme que celle qui, en 1791, avait escorté Louis XVI, Marie-Antoinette, et les enfants de France dans le trajet de Versailles à Paris, et il était impossible que la malheureuse pensée du sous-préfet ne lui rappelât pas cette époque désastreuse; aussi elle était furieuse et le laissait trop voir? Quel fut donc mon étonnement, et je puis dire mon attendrissement, lorsque, à la visite que nous lui fimes, elle me combla de marques de bienveillance, et ne parla guère qu'à moi.

Mêmes faveurs se renouvelèrent pendant le déjeuner. Le général Vathier, commandant le département de la Meuse et résidant à Verdun, s'étant rendu à Bar pour y attendre le retour du Roi, madame la Dauphine me fit placer près d'elle à table; mais ce qui marqua le plus, ce fut l'honneur qu'elle me fit, à la face de tous, au moment où les troupes de la garnison défilèrent devant elle, honneur dont je conserve un religieux et reconnaissant sou

venir ces troupes se composaient du 50° régiment d'infanterie et des deux escadrons dont j'avais laissé le commandement au chef d'escadron de Schauenbourg; pour le défilé, toutes les autorités s'étaient rangées en arrière à quinze pas de madame la Dauphine, et au moment où les troupes allaient se mettre en mouvement, elle se retourna, me chercha des yeux dans le groupe, et m'appela par mon nom. Je courus, croyant qu'elle avait quelques ordres à donner, et lorsque je m'approchai, elle me dit, avec une expression de bonté et presque d'affection que je n'oublierai de ma vie : « — Monsieur de Gonneville, restez près de moi. »

Cette princesse à laquelle, depuis mon enfance, mon cœur avait rendu, peut-être plus qu'aucun autre, le culte que l'univers entier devait à ses malheurs et à son royal caractère, cette princesse se souvenait de moi, et m'appelait près d'elle dans une circonstance où pareille distinction n'avait peut-être jamais été accordée! J'en fus profondément heureux! Pendant le défilé, elle m'adressa plusieurs fois la parole, me demandant mon opinion sur le 50° régiment, qu'elle ne trouvait pas bien; je lui répondais qu'elle devait avoir de l'indulgence pour des gens trop occupés d'elle, pour penser à conserver l'alignement et la distance. Mais quelques femmes d'officiers. s'étant, pour la mieux voir, précipitées dans la colonne à côté de leurs maris, et marchant au pas comme eux : «< Ah! vous conviendrez, me dit-elle, que ceci est un peu trop fort! »

Après la revue, madame la Dauphine monta en voiture et m'adressa en partant un signe qui me parut d'autant plus gracieux qu'elle ne m'avait pas habitué à des faveurs pendant mon séjour dans la garde. Quelle fut la cause de ce revirement? C'est ce que je ne saurai jamais. Depuis je ne l'ai pas revue! Sa mort me causa une peine profonde; j'avais conservé un vague espoir

que le temps des épreuves finirait pour elle, et que la justice divine lui réservait une couronne en ce monde, en attendant celle qui lui était assurée dans le ciel.

Au mois d'août 1829, je reçus l'ordre d'aller prendre le commandement du dépôt de remonte de Saint-Maixent. Le colonel Blin, chef des bureaux de cavalerie, m'avait conseillé d'accepter cette mission qui, m'écrivait-il, devait, au bout de deux ans au plus, me faire obtenir le grade de colonel. Je partis donc pour Saint-Maixent et je vis, en passant à Paris, le comte de Caux, alors ministre de la guerre; je reçus de lui les meilleures paroles et des renseignements pour la réorganisation et les opérations futures du dépôt qui, me dit-il, allait de mal en pis.

Peu de jours après, le major Méan de Saint-Prix m'en remettait le commandement. Je passai près d'une année à parcourir le pays dans l'étendue de la circonscription qui était donnée au dépôt et je pus faire d'assez bons achats; enfin je me donnai toute la peine possible pour me conformer aux instructions que j'avais reçues.

CHAPITRE XII

Tours. - Poitiers. - M. de Beaumont, préfet
Le général de Mar-

La Révolution de 1830.
des Deux-Sèvres. Émeutes à Saint-Maixent.

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changy. Le gouvernement de juillet proclamé. Départ pour Alençon. Nomination au grade de colonel. - Le 4e de Hussards. - Encombrement des Ministères. Le 13e de Chasseurs. - M. de Brack. - Le général Sémelé. - Le général Morand. Madame Morand. La remonte de Haguenau. Les marchands de chevaux. - Aaron. Le maréchal Soult. Alençon. Le préfet et le procureur du Roi. Casimir Périer, le Quotidienne. Demande de retraite.

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député des Deux-Sèvres et la - Fin.

Au mois de mai 1830, j'obtins un congé pour aller chercher à Paris ma femme et ma fille1. A cette époque, un orage politique grondait sourdement; l'expédition d'Alger qui se préparait pouvait faire diversion à la mise en œuvre des projets révolutionnaires; mais les fautes du gouvernement, à la tête duquel le Roi avait eu le tort immense d'appeler le duc de Polignac, l'absence de toute précaution contre le danger, l'éloignement de plusieurs régiments de la garde, et la méfiance non méritée envers ceux de la ligne, tout cela amena la révo

1. En 1825, M. de Gonneville avait épousé, en secondes noces, mademoiselle de Bacourt, sœur de M. de Bacourt, ambassadeur sous le règne du roi Louis-Philippe, et légataire des mémoires du prince de Talleyrand.

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