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qui me toucha vivement on vint me faire la proposition, pour moi et les autres officiers d'état-major qui se trouvaient encore là, de rester à Marseille, et, dans la supposition où nous serions privés des ressources provenant de nos familles, ou de toute autre part, de vouloir bien accepter, à titre de prèt, telle somme que je désignerais. Après avoir reçu cette offre comme je le devais, et témoigné l'intention de nous mettre en route aussitôt que nous aurions trouvé un moyen de transport, un des négociants qui composaient la députation me parla d'un vetturino, honnête homme et très-royaliste, qui était sur le point de partir pour Paris et qui serait sûrement fort content d'avoir des voyageurs tels que nous. Ce moyen, très-lent, ne répondait pas à notre impatience; mais, dans les circonstances où nous nous trouvions, il avait l'avantage de nous faire voyager sans attirer l'attention.

Nous traitâmes donc avec le vetturino, et nous nous mîmes en route, deux jours après, dans une excellente berline attelée de deux forts chevaux, ayant nos malles sur l'impériale et, dans un magasin derrière, quatre longs barils d'huile d'Aix dont notre conducteur faisait le commerce, ce qui, avec ses voyageurs, lui procurait un joli bénéfice. Cette voiture contenait six places et nous y étions quatre : Deshorties, mon frère et moi, plus un enfant de quatorze ans que le général de Bruslart avait, sur les supplications de ses parents, emmené en Corse pour le former au métier de secrétaire. A Aix, nous prîmes une dame d'une soixantaine d'années, fort aimable Nous fûmes rejoints par une voiture contenant six femmes venant de l'île d'Elbe, et appartenant à des officiers, ou gens de la maison de l'Empereur. Nous devinmes pour elles des objets de suspicion, et entre autres tours qu'elles cherchèrent à nous jouer, nous manquàmes, sur leur dénonciation, d'être arrêtés à Lyon.

Au moment de notre entrée en ville, leur voiture nous avait dépassés, et en arrivant nous fûmes entourés par la gendarmerie. Le maréchal-des-logis qui la commandait ayant débuté par prendre un ton inconvenant, je me fâchai, ce qui, en général, réussit mal, mais ce qui, par exception, réussit ce jour-là, au grand ébahissement de Deshorties et de mon frère qui en rirent après, mais que ma colère avait d'abord fort inquiétés. Une des femmes de l'île d'Elbe vint, à l'une de nos couchées, nous supplier, les larmes aux yeux, de la prendre dans notre voiture, attendu que ses compagnes, sous prétexte que son mari était dans une position inférieure, l'accablaient d'humiliations. Nous eûmes pitié de cette femme très-jolie, qui avait vingt ans à peine, et nous lui accordâmes de très-bonne grâce ce qu'elle demandait.

Cette manière de voyager à petites journées, sauf l'impatience que parfois elle cause, n'est pas sans agrément. Les chevaux vont au pas quand le chemin n'est pas parfaitement droit; on marche à pied tant qu'on veut, avec un abri tout prêt s'il vient de la pluie, et on a la faculté de bien voir le pays. Deshorties connaissait les noms de presque tous les propriétaires des habitations importantes que nous apercevions de la route, et il nous faisait l'historique de leur famille. Notre conducteur avait ses auberges attitrées où il était attendu à heure fixe. Nous trouvions nos repas et nos chambres préparés, et comme, depuis plus de vingt ans, il faisait le trajet, il importait que ses voyageurs fussent contents, et nous n'eûmes aucun sujet de plainte de ce côté pendant les quinze jours que dura notre voyage de Marseille à Paris.

CHAPITRE XI

Etat de la Normandie pendant les Cent jours. Seconde Restauration

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Le colonel de Baillancourt.

- Les cuirassiers de Condé. néral de Fleury. Un duel. campagne d'Espagne de 1823. Alcala. Le colonel Patarin. Roussel d'Hurbal. Une émeute.

Le général Black.

Aranjuez.

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Entrée à Madrid.
- Un conseil de guerre.

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· Léganès.
- Le général

Carabanchel. ·

-

Le champ de bataille d'Acaña. La Manche. Le colonel Amor. La Guadiana. Retour en

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France. Joigny. La Garde royale. Le colonel de l'Épinay.

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- M. de Villequier. Le marquis de Raigecourt.

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Le Roi et le Le 12o de chasseurs. - Verdun. — Le comte de Maillé. Le lieutenant-colonel de Nettancourt et son proVoyage de Charles X en Lorraine et

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Bienveillance tardive de Mme la Dauphine. de remonte de Saint-Maixent.-Le colonel Blin.

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Ainsi que nous nous y attendions, nous trouvâmes Paris dans un état de trouble et d'anxiété, suite inévitable d'une révolution comme celle qui, en quelques jours, venait de s'opérer. Le congrès réuni à Vienne avait parlé la guerre allait commencer et l'armée française était loin d'être réorganisée. L'ancienne garde impériale, que la Restauration avait eu le tort de mécontenter, rappelée à Paris, avait une attitude sombre et résignée telle que peut être l'attitude de soldats éprouvés courant au danger sans aucune chance de succès. Ils savaient que leur faible nombre allait de nouveau avoir à lutter contre toutes les forces de l'Europe! On les voyait, rassemblés par groupes, s'entretenant avec une

animation dont l'empreinte triste me frappa et me toucha. Je ne pouvais souhaiter le triomphe de la cause qu'ils allaient soutenir, et cependant, ayant pendant dix ans couru les mêmes chances qu'eux, je gémissais d'avance sur la défaite infaillible qui allait nécessairement ramener en France les armées étrangères. Le combat de ces deux sentiments contraires me déchira l'âme pendant trois mois.

Après avoir passé quelques jours à Paris à observer et à recueillir des nouvelles, nous nous rendîmes, mon frère et moi, en Normandie. J'y fus tout de suite l'objet d'une espèce de persécution qu'on ne poussa pas à l'extrême à cause de l'incertitude des nouvelles autorités sur l'issue des événements qui se préparaient. Cependant une nuit, pendant laquelle j'étais absent, l'habitation de mon père, à Maizet, près de Caen, fut entourée par une force armée assez considérable, accompagnée de gendarmes. A la pointe du jour on en força l'entrée et on demanda où j'étais. Sur la réponse que je n'étais pas présent, on fit ouvrir tous les appartements, on fouilla les armoires et jusqu'aux secrétaires dont on examina les papiers. N'ayant rien trouvé de suspect, on s'en alla, et le commissaire civil, qui avait accompagné l'expédition, dit en partant qu'on savait que j'étais à Condé-sur-Noireau pour y lever des plans et préparer une insurrection à la tête de laquelle M. de Bruslart viendrait se mettre. On me faisait plus d'honneur que je n'en méritais.

Quelques jours plus tard, un gendarme m'apporta une lettre du préfet qui me priait fort poliment de passer à la préfecture la première fois que je viendrais à Caen. Ce pouvait être un piége, mais en n'y allant pas, j'aurais eu l'air de craindre, et j'y allai. Le préfet me reçut avec une politesse cérémonieuse, et me dit, avec un certain embarras, qu'il me conseillait, dans mon intérêt et celui de ma famille, de ne faire aucune démarche qui pût être de

nature à exciter la susceptibilité du gouvernement; qu'il avait reçu à ce sujet des instructions très-sévères, et qu'il avait un sincère désir de n'être pas forcé de les mettre à exécution. Je le remerciai et me plaignis vivement de la brutalité avec laquelle s'étaient comportés les agents qui avaient dirigé la visite domiciliaire faite quelques jours avant chez mon père. Il m'en fit des excuses en me disant qu'il avait eu vent de la manière dont les choses s'étaient passées, et qu'il n'avait pas attendu ma plainte pour en témoigner son mécontentement.

Autant que je m'en souviens, ce préfet se nommait Ramel et était frère du général de ce nom qui, quelques semaines plus tard, fut lâchement massacré dans son lit, à Toulouse, ou à Montauban. La réaction, après la seconde Restauration, ne fut pas exempte de taches de ce genre. Le maréchal Brune périt de cette manière à Avignon, et d'autres encore qui, sous le voile des opinions politiques, tombèrent victimes de haines et de vengeances particulières. Ce fut un grand malheur pour la cause royale, que ses ennemis rendirent responsable d'atrocités qui n'avaient pu être prévues ni empêchées.

Le temps apporta, ce à quoi on s'attendait, une déclaration de guerre de toutes les puissances étrangères, et leurs armées s'avancèrent vers nos frontières. Au moment où se livrait la bataille de Waterloo, le duc d'Aumont débarqua sur la côte de Normandie, près de Bayeux, avec quelques officiers qui avaient été à Gand rejoindre la famille royale, réfugiée là comme on le sait. Cette expédition du duc d'Aumont n'avait aucune base solide. N'ayant point été annoncée, elle ne trouva tout d'abord aucun soutien de la part de ceux dont elle pouvait avoir les sympathies.

Dès que nous fùmes informés de cela, mon frère et moi, ainsi que quelques-uns de nos parents, nous entraînames des paysans et nous nous rendimes à Livry, près de Vil

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