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Expédition et combat.

CHAPITRE VIII

Le général Harispe.

Lâche cruauté du

général Boussard. — Mort d'un lieutenant-colonel espagnol et du commandant Bordenave. Reconnaissances. Deux solliciteuses. Infamie du général Boussard. Marque de confiance du maréchal

Suchet.

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Combat devant Torrente.

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Déjeuner du colonel Lamotte

Encore des femmes.

Entrée

Guéry. Les femmes espagnoles au bivouac français. - Bombardement et capitulation de Valence. triomphale dans Valence. Le colonel Estève. Le général d'Armagnac. Le chanoine Muños et ses nièces. Marche sur Alzira. Pasqual Mora. Départ pour la France. Le général Mont

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marie. Nouvelle preuve de confiance du maréchal Suchet. · Dé

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Le Corse Pompei et son sac d'argent. · Les

Pyrénées. Changement de corps. recrues et deux Belges.

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Départ pour Metz.
Voyage de Metz à Hambourg.

Les

Lorsque le fort fut en notre pouvoir, l'armée se porta en avant et prit position sur le Guadalaviar, la gauche appuyée à la mer, et la droite s'arrêtant au village de Bettera, que mon régiment occupa avec deux régiments d'infanterie, dont un polonais. Nos avant-postes étaient sur le bord du fleuve qui, en réalité, n'est qu'un ruisseau guéable partout; ceux des Espagnols se trouvaient en face de nous, et nous nous laissions réciproquement fort tranquilles, ce qui arrive toujours quand les postes ennemis sont très-rapprochés. La nuit, cependant, les Espagnols faisaient quelquefois passer un détachement au-dessus de Bettera et simulaient une attaque sur notre

flanc droit; mais cela se bornait toujours à quelques coups de feu échangés sans résultat. Nous prîmes pourtant un jeune officier, qui n'eut pas l'air trop fâché d'être tombé entre nos mains; nous le traitâmes bien; il était distingué, qualité assez rare dans l'armée espagnole, dont le corps d'officiers se recrutait, dans ces temps désastreux, comme il pouvait.

Notre inaction dura un mois; nous reçûmes ensuite l'ordre de faire de temps à autre des excursions sur la rive droite, ce qui donna lieu à plusieurs combats, dont l'un eut une certaine importance et fut marqué par un événement très-dramatique. Le général Boussard était avec nous à Bettera, et le général Robert, qui commandait la brigade d'infanterie, se trouvait sous ses ordres. Une reconnaissance, composée de cinquante cuirassiers et de quelques voltigeurs, partit donc et passa le Guadalaviar. Je n'étais pas commandé pour cette expédition; mais, voulant en voir le début, je montai à cheval avec le capitaine d'artillerie Hurlaux, qui commandait la batterie que nous avions à Bettera, et, tous les deux, en amateurs, nous suivîmes le mouvement de la reconnaissance, avec l'intention de n'aller que jusqu'à la rivière; le passage n'en ayant pas été sérieusement disputé, la curiosité nous entraîna, quoique nous eussions toujours l'intention de ne pas aller trop loin. En cela, nous avions compté sans les motifs d'intérêt qui se succédèrent, et sans le sentiment du danger que nous aurions couru en retournant seuls sur nos après être arrivés à une certaine distance du gué où nous avions traversé le Guadalaviar. Force nous fut donc de rester liés à la destinée du détachement, qui, après avoir passé le gué, avait tourné à gauche, se dirigeant sur Valence, dont nous étions à quatre lieues, et devant rejoindre, à moitié de cette distance, une autre reconnaissance, sous les ordres du général Harispe,

pas,

depuis maréchal de France. Lorsque nous arrivâmes près du point où devait se faire la jonction des deux reconnaissances, nous eûmes à franchir une côte dont la direction était perpendiculaire au cours du Guadalaviar qu'elle joignait, se prolongeant indéfiniment vers notre droite. Des vedettes espagnoles étaient placées sur la cime. On divisa les cuirassiers en deux pelotons, dont l'un, sous les ordres du capitaine qui commandait le tout, eut pour mission de longer la côte pendant une heure, et de venir ensuite rejoindre la reconnaissance. Avec les vingt-cinq cuirassiers qui nous restaient on chassa les vedettes de l'ennemi, et nous devînmes maîtres de la hauteur.

On dominait de là une petite plaine entourée de trois côtés par un bois d'oliviers et de caroubiers; le chemin qui y conduisait, et que nous avions suivi depuis le passage de la rivière, descendait en pente rapide et pierreuse. En face de nous était un escadron de hussards espagnols ayant une ligne de tirailleurs. Au moment où nous nous montrâmes, le général Harispe débouchait sur notre gauche, précédé par un détachement de hussards du 4o régiment qui engagea de suite avec l'ennemi un feu de tirailleurs. Notre infanterie, n'ayant pas marché aussi vite que nous, n'était pas encore sur le terrain. Les vingt-cinq cuirassiers que nous avions conservés étaient commandés par un lieutenant, venu depuis peu de temps des grenadiers de la garde impériale, et qui n'avait pas débuté d'une manière brillante au régiment, s'étant grisé le jour de la bataille de Sagonte de façon à se tenir à peine à cheval et à ne pas savoir ce qu'il faisait. Il reçut l'ordre de mettre son détachement sur un seul rang et de se porter à quelques centaines de pas du point où le chemin qui se prolongeait vers Valence entrait dans le bois, devant ainsi en garder le débouché dans la plaine.

Les généraux, avec leurs états-majors, s'étaient postés à peu près au tiers de la descente, du côté par lequel était arrivé le général Harispe. Le général Robert s'y trouvait aussi. Hurlaux et moi nous nous étions arrêtés sur la cime, d'où nous pouvions suivre, sans en rien perdre, toutes les péripéties de l'aventure à laquelle nous nous étions associés. On tirailla longtemps, et les Espagnols avaient souvent, dans ce genre de combat, un avantage qu'ils conservèrent ce jour-là. L'officier qui commandait les tirailleurs du 4° hussards fut tué. L'infanterie n'arrivait pas par suite de je ne sais plus quel incident. Bientôt un épais nuage de poussière, qui s'élevait dans le bois, attira l'attention de Hurlaux et la mienne. Cette poussière était causée par une colonne de cavalerie qui s'avançait rapidement au secours de celle qui était engagée avec nos hussards.

Pour donner à ce qui va suivre l'intérêt qui doit s'y rattacher, je dois faire ici une digression. Quand nous avions occupé la petite ville d'Uldecona au nord du royaume de Valence, et avant qu'il fût question de le conquérir, plusieurs officiers de mon régiment, dans les fréquentes excursions que nous faisions à Benicarlos, avaient eu l'occasion d'y connaître une famille française émigrée, et fixée là. Cette famille se composait d'une veuve, de ses deux filles et d'un fils lieutenant-colonel au service d'Espagne; il était dans un régiment de dragons faisant partie de l'armée de Valence. Or, ces trois femmes, fort bien sous tous les rapports, et dont le nom était d'Outremont ou d'Apremont, avaient demandé aux officiers dont je viens de parler de protéger leur fils et frère, si les hasards de la guerre le faisaient tomber entre nos mains comme prisonnier. Inutile de dire que cette demande fut accueillie avec empressement, et qu'on leur promit de la façon la plus formelle que, le cas échéant, il serait traité comme un frère.

Le nuage de poussière dont j'ai parlé et les clairières du bois que nous dominions, finirent par nous laisser voir très-distinctement qu'une force assez considérable de cavalerie allait bientôt nous tomber sur les bras. Le terrain qui nous séparait des généraux ne me permettait pas d'aller les avertir; il fallait courir au plus pressé je descendis au galop vers nos cuirassiers qui, comme je l'ai dit, étaient placés en face du débouché. J'étais sans cuirasse et en selle anglaise. A peine étais-je arrivé là, qu'un détachement d'infanterie espagnole sortit du bois, auquel il s'adossa, et nous fit, à deux cents pas, un feu qui n'atteignit personne. En même temps les dragons espagnols débouchèrent en colonne par quatre; mais au moment où ils voulurent former leur premier escadron, mouvement qu'ils exécutèrent avec assez de désordre, nous les chargeâmes si vivement qu'ils se culbutèrent les uns sur les autres et que leur défense fut nulle. Nous entrâmes dans le bois pêle-mêle avec eux, et le reste de la colonne, effrayé par la déroute de la tête, prit aussi la fuite. Après les avoir poursuivis quelque temps, nous revînmes tranquillement d'où nous étions partis en ramassant des prisonniers..

Nous fumes alors témoins d'une scène horrible qui m'impressionne encore aussi violemment et aussi douloureusement que si elle s'était passée hier. Bordenave, chef d'escadron, premier aide de camp du général Boussard, venait d'être blessé mortellement, et gisait là sur un terrain qui n'avait point été exposé au feu. Ne pouvant concevoir comment ce malheur était arrivé, j'en demandai la cause; voici ce qui s'était passé. Le lieutenant-colonel des dragons espagnols, atteint d'un coup de sabre à la tête, était tombé de cheval; quand il eut repris connaissance, on l'amena devant le général Boussard; on avait oublié de lui ôter son sabre qui, atta

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