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lable; mais il ne s'exposait pas à ce chagrin, et j'étais littéralement obligé, avant de paraître à une revue, de subir son inspection. Il avait l'habitude d'écrire chaque jour tout ce qu'il faisait et tout ce qui le frappait; il écrivait cela sur des cahiers volants qu'il plaçait dans le pli de son bonnet de police, et sur des registres qu'il enfermait dans son porte-manteau et qu'il confiait, quand on était en campagne, à quelque ami du dépôt.

Il nous arriva de France des chevaux et des recrues; je fus constamment employé à leur instruction, ce qui compléta la mienne. Au bout de quelques mois, nous reçûmes l'ordre d'aller tenir garnison à Plaisance où on continua à s'occuper activement de l'instruction. La guerre avec la Prusse devenait imminente ct ne tarda pas à éclater.

Marche sur la Prusse.

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CHAPITRE II

- Berlin..

Passage de la Vistule. Les châte- Vingt-cinq Français contre cent cinquante PrusLe comte de Moltke.

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siens. Les dragons de Haors. Blessés et prisonniers. — Détails sur la captivité et le trajet de Culmsée à Pillau. Une dame polonaise. — Le baron de Werther. Les Hussards de la Le fils du carrossier de Louis XVI.. La fille du meunier. La bataille d'Eylau. — Koënigsberg et les Russes.

Mort.

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Au mois de novembre 1806, les quatre régiments de cuirassiers, formant notre division, reçurent l'ordre de se mettre en marche sans délai pour se rendre à Berlin. La bataille d'Iéna et plusieurs combats avaient naturellement précédé l'occupation de cette capitale par nos troupes. Nous devions marcher rapidement, et pour une aussi grande distance il ne nous était accordé que trois séjours. Nous passâmes par le Tyrol: c'était la troisième fois que je traversais les Alpes dans le cours de la même année, et chaque fois j'avais suivi une route différente. Je vis Trente, Botzen, et Inspruck dont l'aspect me frappa particulièrement; cette ville est dominée de trèsprès, du côté de l'Italie, par des montagnes fort élevées, au sommet desquelles nous avions marché toute la matinée au milieu d'un brouillard épais qui n'était autre chose que des nuages. En quittant ces hautes régions nous sortîmes tout à coup de cette vapeur compacte, et nous aperçûmes Inspruck à nos pieds, mais à une pro

fondeur incalculable, et la plaine était éclairée par un soleil radieux dont quelques minutes avant nous n'apercevions même pas la plus faible lueur; au nord-est, nous pouvions suivre le cours de l'Inn qui serpente à travers les montagnes, car, de tous côtés, Inspruck est dominé par les Alpes. Nous avions quitté le même jour les sources de l'Eisach, affluent de l'Adige, pour retrouver l'Inn affluent du Danube, et ceci est peut-être une puérilité, mais je n'ai jamais franchi sans une certaine émotion ces grandes lignes de démarcation tracées par la nature.

D'Inspruck, nous nous dirigeâmes sur Augsbourg et Nuremberg, après avoir passé le Danube à Donawert; puis sur Bayreuth, Gera, Leipsig, Wittemberg, Potsdam, et enfin nous arrivâmes à Berlin. Il n'y avait à Berlin que des dépôts et quelques bataillons. Le général Clarck gouvernait la ville et tout y était fort tranquille. Notre division occupa les casernes de la garde et des gardes du corps, et nous passâmes là huit jours à nous refaire un peu, ce dont nous avions besoin après avoir marché aussi longtemps sans nous arrêter, d'autant plus que, depuis Inspruck, nous avions eu continuellement de la pluie, des routes horriblement défoncées, et des plaines inondées à traverser; il y en avait entre autres, près d'Augsbourg, qui étaient larges de plus d'une lieue et que nous passâmes pendant la nuit; je n'ai jamais compris comment nous n'y sommes pas restés tous.

Nous quittâmes Berlin, vers le milieu de janvier 1807, pour rejoindre l'armée qui, déjà, avait passé la Vistule; nous passâmes l'Oder à Custrin, et nous marchâmes sur Posen et Thorn. Il y a souvent dans la vie militaire de singuliers contrastes depuis notre départ de Berlin, j'avais toujours été fort misérablement logé, la plupart du temps chez des Juifs ou chez des paysans, ce qui s'explique très-bien puisque je n'étais que sous-lieutenant et que les quatre régiments de notre division voya

geaient ensemble; la veille de notre arrivée à Thorn, je fus appelé par une affaire de service à l'état-major de notre régiment, et je trouvai le colonel d'Avenay installé dans un beau château habité par sept à huit femme presque toutes jeunes et dont deux étaient remarquablement jolies; elles étaient élégantes et parlaient français comme nous; elles nous firent un charmant accueil. Il n'y avait dans ce château, au milieu de toutes ces femmes, qu'un vieillard de soixante et quelques années, car tous les hommes valides s'occupaient à lever des soldats et à les dresser pour venir ensuite se joindre à nous. On m'engagea à rester, ce que j'acceptai avec empressement; on nous offrit un très-bon dîner servi à la française; le soir on fit de la musique et on passa si agréablement le temps que nous n'allâmes nous coucher qu'à minuit, malgré la fatigue d'une longue journée de marche. Nous eùmes pour nous reposer une épaisse couche de paille très-fraîche étendue dans une galerie attenant au salon; dans les châteaux les mieux tenus de la Pologne, il en est toujours ainsi; on n'a de lit que quand on apporte le sien avec soi.

Nous partîmes avant le réveil de nos belles hôtesses et nous arrivâmes à Thorn à la nuit qui commence, dans cette saison, et sous cette latitude, à trois heures et demie; nous passâmes la Vistule sur un pont construit à la hâte; les pieds des chevalets étaient des sapins entiers et le pont était par conséquent très-élevé au-dessus du niveau du fleuve qui chariait d'énormes glaçons, lesquels, en frappant contre les chevalets, imprimaient au pont un mouvement d'oscillation qui n'était pas rassurant, mouvement encore augmenté par l'irrégularité des pas des chevaux dont il était couvert d'un bord à l'autre ; de plus ce pont, large de douze pieds seulement, n'avait pas de parapet; il fut néanmoins traversé sans accident par les quatre régiments qui, en arrivant à Thorn, allè

rent se cantonner aux environs dans des directions différentes, et nous eûmes encore trois lieues à faire pour arriver à notre gîte, village dénué de tout; nous étions là deux escadrons sous les ordres du commandant Chalus, assez pauvre officier et très-prétentieux.

Le lendemain, 3 février, je fus commandé pour aller chercher de l'avoine dans cinq villages qu'on me désigna dans l'ordre où je devais m'y rendre; j'avais pour instruction d'expédier, de chaque village sur celui que nous occupions, les voitures que je pourrais parvenir à faire charger en les faisant escorter de deux ou trois hommes. Il résultait de ceci que je n'avais aucune précaution militaire à prendre, et que nous étions en parfaite sécurité puisque, au dernier village que je devais explorer, il ne me serait plus resté que trois ou quatre hommes, les autres devant me quitter au fur et à mesure que j'aurais trouvé de l'avoine. On nous avait dit, d'ailleurs, à notre passage à Thorn, que la ligne de nos avant-postes se trouvait à onze lieues en avant, et aucune mesure de sûreté n'avait été prise, la veille, à notre arrivée dans notre cantonnement. Mon détachement se composait de vingt-trois hommes, y compris deux maréchaux des logis et deux brigadiers; devant rentrer le soir, je ne pris pas ma cuirasse, et nous nous mîmes en route par un froid de dix-huit à vingt degrés, mais avec un temps superbe, tandis que depuis notre départ de Berlin la neige n'avait pas cessé de tomber. On me donna un guide et nous traçâmes notre chemin à travers une vaste plaine couverte d'une neige épaisse d'un pied et qui n'avait pas encore été foulée.

En sortant de notre village, j'aperçus à deux lieues environ, à droite de la direction que nous prenions, une petite ville que mon guide me dit être Culmsée, ce qui impliquait le voisinage du lac de ce nom. Je pensai que cette ville était occupée par nous; j'en étais séparé par

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