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SOUVENIRS MILITAIRES

DU

COLONEL DE GONNEVILLE

Entrée au service.

CHAPITRE PREMIER

Le 20 régiment de chasseurs. Marigny. Lodi. Le 6 régiment de cuirassiers. d'Avenay. — Le pont de Vérone et les voltigeurs. Caldiero et les archiducs.

Tagliamento.

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Le maréchal Masséna.

Le colonel de

Le colonel

La bataille de

Passage du

Retraite des Autrichiens. Le prince de Rohan.

Marche sur la Hongrie. - Traité de Presbourg.

L'aubergiste de Fontana Freda.

princesse de Bavière. - Un soldat.

Retour en Italie. Eugène de Beauharnais et la

Je vais rassembler dans leur ordre, autant que possible, les souvenirs d'une longue carrière militaire parcourue à une époque mémorable. Cette dernière condition peut seule donner de l'intérêt à ce qui va suivre, et si je me permets d'ajouter quelques mots sur mes impressions. personnelles, ils pourront être attribués, soit à la petite satisfaction qu'on éprouve assez généralement à parler de soi, soit au désir d'être utile à ceux qui, lorsque je ne serai plus, trouveront quelque enseignement dans ces souvenirs. J'ai soixante-dix ans, et il faut que je me rappelle des faits qui datent de l'époque où j'en avais vingt. La chose n'est pas très-facile, et il y aura sans aucun doute d'assez nombreuses omissions dans mes ré

cits; mais ce dont je suis sûr, c'est qu'ils seront vrais, et jamais exagérés dans leur vérité.

Mes inclinations militaires me vinrent, je crois, de la lecture de la Jérusalem délivrée, et remontent par conséquent à mon enfance; car ce livre que j'ai lu vingt fois, et que je relirai encore, était dans mes mains avant que j'eusse atteint ma douzième année. Il me fit une impression tellement profonde et tellement vive, qu'il m'enleva pour ainsi dire pendant un certain temps à la vie réelle.

Je m'identifiais avec les héros dont il raconte les prouesses, et mon enthousiasme se portait surtout sur Tancrède et sur le vieux Raymond, comte de Toulouse. En lisant le passage où il répond au défi d'Argant, alors que tous les chevaliers qui entourent Godefroy se taisent, l'émotion que j'éprouvai fut telle, que je fondis en larmes, et j'aurais donné ma vie avec joie pour me trouver aussi en présence d'Argant. D'après cela, il est naturel de penser que tout ce qui avait rapport à l'art de la guerre fût en faveur auprès de moi; mais j'ai longtemps gémi sur l'invention de la poudre, et regretté le bouclier et la lance.

Enfin, j'entrai au service au mois de septembre 1804; j'allais avoir vingt et un ans, et j'étais de la classe atteinte, cette même année, par la loi du recrutement. Je devançai l'appel, et m'engageai comme soldat dans le 20° régiment de chasseurs à cheval, où deux de mes amis, Vaumel de Livet et le Termelier, m'avaient précédé et étaient déjà maréchaux des logis. J'avais obtenu le consentement de mes parents, mais consentement tellement mêlé de témoignages de regrets et de crainte sur ce que j'allais devenir, que ma résolution, pour n'être pas ébranlée, eut besoin de s'appuyer sur tout ce qui pouvait raviver mes idées de gloire, et aussi sur le dégoût que m'inspirait la vie oisive et inutile que je menais avec la jeunesse de Caen, jeunesse assez brillante alors, mais

inquiète, querelleuse, et redoutée des familles à cinquante lieues à la ronde. Il y eut aussi un sentiment contre lequel il me fallut lutter. Mon père et tous mes oncles, tant paternels que maternels, avaient émigré et perdu à la Révolution une plus ou moins grande partie de leur fortune, et toutes les espérances qu'ils pouvaient avoir; or, la pensée de me voir servir la République, de me voir porter la cocarde tricolore, leur était pénible, surtout à mes oncles, chez lesquels les idées anciennes étaient bien plus enracinées que chez mon père qui leur était infiniment supérieur en tout, et qui, malgré son profond dévouement à la maison de Bourbon, ne pouvait à cette époque, aurore de l'Empire, voir, comme ses frères, dans les circonstances politiques les moins rassurantes, l'annonce d'une prochaine et infaillible Restauration.

Je partis donc de Caen à la fin de septembre 1804 pour rejoindre le 20 de chasseurs dont l'état-major était à Saint-Brieuc. J'étais muni d'une lettre de recommandation de notre préfet du Calvados, M. Caffarelli, pour son frère, évêque de Saint-Brieuc, et d'une autre lettre de M. de Montcanisy, ancien lieutenant-colonel des dragons de la Reine, pour un chef d'escadron du 20e chasseurs, nommé Rosières. Enfin, nos cousins Le Clerc d'Osmonville avaient écrit au colonel Coutard, qui commandait un régiment d'infanterie dont l'état-major était aussi à Saint-Brieuc, pour le prier de me recommander à son collègue, M. de Marigny, colonel du 20o chasseurs. Ce M. de Marigny, dauphinois, homme de trente et quelques années, fort bien de sa personne, n'ayant pas un sou de fortune, dépensait quarante mille. francs par an; aussi son pauvre régiment était pour lui une ferme qu'il pressurait de toutes les manières sans égards pour la légalité. Plus tard une enquête eut lieu: ordre fut donné de l'arrêter et de le juger, mais il prit

la fuite, et on n'entendit plus parler de lui jusqu'au jour de la bataille de léna où il rejoignit son régiment avec un ordre fort en règle d'en reprendre le commandement. Quelques minutes après, un boulet lui emporta la tête.

Lorsque j'arrivai à Saint-Brieuc, aucun de mes protecteurs en expectative ne s'y trouvait. Tout l'état-major du régiment était en députation à Paris pour le couronnement, et le régiment disséminé sur la côte, depuis Lannion jusqu'à Saint-Malo, était commandé par le major Castex qui se trouvait à Rennes, lieu du dépôt. La compagnie d'élite, seule, était à Saint-Brieuc, commandée par le capitaine Fleury; le lieutenant se nommait Capitan, et un des sous-lieutenants, Marigny, était frère du colonel. La première personne que je rencontrai fut le maréchal des logis chef, Guilmin; je lui remis ma feuille de route, et il me conduisit dans un café d'assez pauvre apparence où il me présenta au capitaine Fleury qui s'y trouvait avec d'autres officiers. Le capitaine, après m'avoir traité d'un air hautain et ironique, donna l'ordre de m'inscrire provisoirement sur le registre de la compagnie d'élite. Je fus conduit au quartier, qui était un ancien couvent de capucins, et on me remit entre les mains du brigadier Henneson, espèce d'hercule, ayant près de six pieds, et dont je devais être le camarade de lit.

J'eus la bonne fortune de rencontrer le jour même Galbois, aide de camp du général de Vaufreland, qui, après avoir commandé le département du Calvados, commandait celui des Côtes-du-Nord. Je connaissais le général et j'avais été lié avec Galbois. Tous deux me firent un très-bon accueil, ce qui me donna un peu de considération aux yeux de mes chefs. Je me souviens aussi avec reconnaissance que, quand j'étais de service, comme planton, chez le général, madame de Veland m'envoyait un fauteuil et des livres.

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