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On doit obéir aux régles; mais cette obéïffance n'eft point un esclavage pour ceux qui cherchent à plaire dans une langue vivante, parce que tant qu'elle eft foumife à l'ufage, elle peut recevoir des exceptions à fes régles, & qu'elle les reçoit fur tout des Auteurs, qui l'ayant étudiée avec foin, fe font acquis fur elle une espéce d'autorité dont ils n'ufent qu'à fon avantage; & quand nous jugeons ces Auteurs fur la feule rigueur des régles, il nous arrive fouvent de condamner ce qui n'eft pas condamnable.

Je ne puis, à cette occafion, me difpenfer de parler de deux Ouvrages connus; le rapport qu'ils ont à cette matiere m'y oblige.

S. Obfervations fur le Livre intitulé, Notes Grammaticales fur les Tragédies de R. & fur la Ré ponfe à ce Livre, intitulée, R. vengé.

LORSQUE le premier Ouvrage parut, quelques Lecteurs furent étonnés qu'un Poëte, dont ils avoient entendu vanter la pureté de ftile, eût ce pendant donné lieu à tant de Notes critiques. Les uns me dirent qu'il étoit de mon devoir de pren. dre fa défenfe; les autres, au contraire, foutin rent que je ne pouvois me charger de cette cause, parce qu'il s'agiffoit, difoient-ils, d'un Auteur qu'il ne m'étoit permis ni de louer, ni de reprendre.

Ce dernier fentiment feroit vrai, fi fes Tragé dies n'étoient exposées au jugement du Public que depuis quelques années: comme le fuccès en fe roit encore incertain, ce feroit à moi à l'attendre en filence; mais aujourd'hui le jugement eft prononcé, & lorfque des Ouvrages d'efprit vivent avec gloire depuis quatre-vingts ans, * on ne doit

* Andromaque fut jouée en 1668.

plus

plus douter qu'ils ne foient du petit nombre de ceux que le tems a marqué du fceau de fon ap probation. Il ne s'agit donc plus d'examiner fi ces Tragédies font dignes d'eftime ou non: le tems, ce fouverain juge, a fait cet examen; ainfi je puis, comme un autre, remarquer les beautés qui ont rendu leur fuccès constant; & je puis auffi remarquer, à ce que je crois, puifqu'aucune production de l'efprit humain n'eft parfaite, ces fautes legeres,

Quas aut incuria fudit,

Aut bumana parum cavit natura. Hor.

Ces fautes ne font point de tort à la réputation de l'Auteur; & loin que l'intention de M. l'Abbé d'Olivet ait été de la diminuer, l'exactitude avec laquelle il fuit cet Auteur pas à pas, prouve l'eftime qu'il en fait.

Le fils de Ciceron, qui n'eft connu que par la violence qu'il exerça contre un homme qui parloit mal de fon pere, fut d'autant plus condamnable en cette occafion, qu'on ne doit jamais s'offenfer des difcours d'un ennemi méprifable. Les jugemens dictés par la jaloufie, ou par l'ignorance, ne peuvent nuire aux bons Ouvrages, qui reçoivent au contraire un nouveau luftre des cri tiques les plus féveres, quand elles font éclairées.

Si nos célébres Auteurs revenoient parmi nous, charmés de voir toujours leurs Ecrits entre nos mains, quel plaifir auroient-ils de fe voir cités encore au tribunal de la Critique? Ils fe fou. mettroient fans peine à des cenfures où l'envie n'a plus de part, comme à la naiffance de ces Ouvra. ges; & ils avoueroient des négligences que peut-être ils n'ofoient avouer pendant leur vie, quoiqu'en fecret ils s'en fiffent des reproches. E

Tom. V.

Les

La

Les grands hommes font ceux qui apperçoivent le mieux leurs fautes, & qui fe les pardonnent le moins. Les critiques que je crains le plus, font celles que je me fais à moi même, difoit Boileau. Ce lui qui approche le plus près de la perfection, voit mieux que les autres ce qui lui manque pour y atteindre; & comme il travaille toujours pour y arriver, il est toujours mécontent de lui-même. Virgile, en mourant, condamna au feu un Ouvrage admirable à nos yeux, & imparfait aux fiens. Ovide fe plaint de ce qu'on lui a enlevé fes Métamorphofes fans lui laiffer le tems d'y mettre la derniere main. Le Taffe corrigeoit fans ceffe fa Jérufalem; & emporté même par un excès de févérité, il défigura fon Poëme, en voulant y apporter une trop grande réforme. mort empêcha l'Ariofte d'exécuter le deffein qu'il avoit de corriger fon Roland. Sannazar, qui étoit, fuivant l'Auteur de fa vie, Lucubrationum fuarum triftis ac morofus cenfor, laiffa vingt ans fous la lime fon Poëme de partu Virginis. Dans les examens que Corneille a fait de fes Tragé dies, on voit par les endroits qu'il s'attache à juftifier, qu'il eft comme ces peres qui parlent avec avantage de ceux de leurs enfans, dont ils font quelquefois le moins contens, & qui par une tendreffe naturelle cherchent à en cacher les défauts. Les Notes, Grammaticales de M. l'Abbé d'Olivet auroient été moins nombreuses, fi nous n'avions pas perdu un exemplaire des Tragédies qu'il a critiquées : cet exemplaire, que l'Auteur avoit rempli de corrections, fut brulé par fon ordre quelque tems avant fa mort: il crut devoir faire alors à la Religion le facrifice d'un travail qui n'avoit pour objet qu'une gloire frivole. Il ne fut jamais du nombre de ceux que l'amour propre aveugle fur leurs productions, puifque dans fa jeuneffe il facrifia à une fage réflexion de Boi.. leau

lead une Scéne entiere de Britannicus, quoique cette Scéne, qui n'a jamais été imprimée, & que je rapporterai dans une autre occafion, répondit par les fentimens & par la verfification au refte de la Tragédie.

Soyons donc perfuadés que rien n'eft parfait, & que l'attention continuelle que les Ecrivains, jaloux de leur réputation, donnent aux différentes parties de leurs Ouvrages, eft caufe qu'occupés uniquement des chofes importantes, ils laiffent quelquefois échapper des fautes de ftile. Dans le même Ouvrage où Boileau recommande un fi, grand refpect pour la langue, en déclarant que la pompe d'un Vers n'excufe pas un follécifme, il en laiffa lui-même fubfifter un, dont pendant trenté ans, nifes amis, ni fes ennemis ne s'apperçurent. Au-lieu de dire que vos mœurs peintes dans vos Ouvrages, il avoit laiffé fubfifter dans toutes les éditions, que votre âme & vos mœurs peints dans tous vos Ouvrages.

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Convaincu de ces négligences qui échappent aux Ecrivains les plus attentifs, lorfque M. l'Abbé Desfontaines oppofa à M. l'Abbé d'Olivet fa Réponse intitulée R. vengé, malgré toute la re- " connoiffance que je lui devois, il me parut un défenfeur quelquefois trop zélé, & je trouvai que ces deux adverfaires alloient trop loin, qué l'un critiquoit avec trop de févérité, & que l'autre juftifioit avec trop d'indulgence. Heureux fans doute les Ecrits qui, fi long tems après leur nailfance, méritent un pareil critique, & un pareil vengeur. Je crois auffi que, fans faire aucun tort à ces mêmes Ecrits, on y peut reconnoître quelques petites fautes, comme dans ces Vers.

Ne vous informez pas ce que je deviendrai.:
E 2

Mais

Mais comme vous fçavez, malgré ma diligence, Un long chemin fépare & le camp & Bylance. Bajazet.

Mais je ne reprendrois pas ce Vers de Bérénice, Et que m'importe, hélas! de ces vains ornemens.

à la place duquel il étoit fi aifé de mettre celui-ci: Que m'importent, bélas! tous ces vains ornemens! ni ce Vers d'Andromaque,

Sans efpoir de pardon m'avez-vous condamnée ?

qu'il étoit fi aifé de rendre plus correct, en difant, Me vois-je condamnée ? parce que ceux de l'Auteur me paroiffent beaucoup plus vifs, & que vouloir gêner ainfi nos Ecrivains, c'eft moins leur faire tort qu'à la langue même, qui deviendroit trop timide, fi on la refferroit toujours dans de telles entraves. On doit lui laiffer une fage liberté. Nos grands Poëtes n'en abufent pas: & lorfque nous voyons que ni la contrainte de la mesure, ni celle de la rime, n'a exigé d'eux un tour qui ne paroît pas exact, nous devons croire qu'ils l'ont employé moins pour fe donner des libertés, que pour en donner à la langue, qui leur a obligation de ces fautes apparentes que relève un Grammairien qui n'eft que Grammairien.

Lorfqu'on reprend ce Vers dans Mithridate, Et des indignes fils qui n'ofent le venger, j'avoue la faute, & je crois que l'Auteur, par l'indifférence qu'il a toujours eue pour les éditions de fes Oeuvres, y a laiffé fubfifter la faute d'impreffion de la premiere, dans laquelle on avoit dû mettre, & deux indignes fils; mais quand des Puriftes cri tiquent ces Vers,

Je

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