Page images
PDF
EPUB

ter le prix de la courfe, & entrer en lice. Quelque majestueufes que foient ces comparaifons, elles le font moins pour nous que pour les Hébreux, parce qu'elles n'ont plus rien de conforme à nos coutumes.

Les Poëtes tirent ordinairement leurs images des objets qui leur font les plus familiers. C'est par cette raison que dans la Poëfie des Hébreux, les montagnes, les cédres, les taureaux, les tentes, & tous les objets de la campagne, fournissent fi fouvent des images. La Poëfie d'Homere est admirable par le nombre & la variété des comparaifons: il femble qu'Homere mette à contribution toute la Nature, pour qu'elle lui fournisse à tout moment de nouveaux objets. Ceux qui lui reprochent de trop étendre les comparaifons, & de les charger de détails inutiles, ne font pas attention que dans les récits que fait le Poëte, il peut s'arrêter à ces détails. Une comparaison eft un tableau qu'il préfente, & pourvu que les prin cipales figures du tableau ayent avec l'objet un jufte rapport, le rapport exact des autres parties du tableau n'eft pas néceffaire. Le Peintre ajoûte des objets qui ne fervent que d'ornemens.

C'est avec la même injuftice qu'on reproche à Virgile la baffeffe de quelques-unes de fes comparaifons i les choifit à deffein pour délaffer le Lecteur par la variété des objets. Quand il parle de grandes chofes, il tire fes comparaifons de chofes très-fimples qu'il ennoblit par l'expreffion; il compare les travaux immenfes d'un peuple qui bâtit une ville, aux travaux des abeilles. Mais quand il parle de petites chofes, il tire fes comparaifons des plus grands objets, & il compare les abeilles aux Cyclopes.

Les comparaifons étant employées pour répan. dre plus de lumiere, elles font trés-condamnables quand elles font obfcures, & ce défaut eft com

mun

mun à celles de Milton, qui d'ailleurs défigne fouvent les chofes par des périphrafes que les Sçavans feuls peuvent entendre. Lorsqu'il compare la matiere du Soleil à l'or potable; en comparant enfemble deux objets inconnus, il appelle l'or potable, cette compofition que les Philofophes cbercbent vainement, quoiqu'ils ayent pouffé le grand art jufqu'à fixer le mercure volatile, & qu'ils faljent fortir de l'Océan, fous des formes différentes, le vieux Protée defféc bé.

Non-feulement les objets comparés doivent être connus, mais leurs rapports doivent l'être auffi; & quels rapports peut-on trouver dans cet. te comparaison que va chercher le Taffe Chant XVII? De même, dit-il, qu'un Muficien, avant le concert, prélude à baffe voix pour difpofer les oreil les de l'auditeur à l'harmonie; de même Armide a vant que de parler à Renaud, prélude par des fou pirs, pour le difpofer à entendre fes reproches. Tout eft faux dans cette comparaifon.

La jufteffe des rapports, toujours nécessaire, n'empêche pas que deux objets d'une nature toute différente ne puiffent être comparés ensemble, lorfque l'habileté du Poëte y fait trouver un rapport de fiction: ces comparaifons allégoriques font même plus agréables que les autres, parce qu'elles font moins attendues. On voit avec plaifir dans la Henriade la vertu toujours pure d'un hom me qui vit à la Cour, comparée à cette fameufe fontaine qui coule dans la mer, au rapport des Poëtes, fans y perdre la douceur de fes eaux.

Jamais l'air de la Cour, & fon foufle infecté,
N'altéra de fon cœur l'auftere pureté.
Belle Arethufe, ainfi ton onde fortunée
Roule au fein furieux d'Amphytrite étonnée,
Un cryftal toujours pur, & des flots toujours clairs,
Que jamais ne corrompt l'amertume des mers.

D 3

L'im

L'immobilité d'un homme, qui, quoiqu'agité intérieurement à la vue d'un grand danger, pa rolt tranquille, parce qu'il fonge au parti qu'il doit prendre, eft ingénieufement comparée par Homere, à ce calme qui regne fur la mer, mal. gré la noirceur qui fe répand fur fa furface, un mo ment avant l'orage. Iliade 14.

Neftor, que tant de maux frappent d'étonnement,
Immobile & muët, les contemple un moment.
Ainfi lorfque les vents méditant le ravage,
Pour forcer leur prifon réüniffent leur rage,
Et font prêts à s'ouvrir un chemin dans les airs;
Quoique dans cet instant qui menacé les mers,
Une épaiffe noirceur couvre l'onde immobile,
Son empire jamais ne parût plus tranquile.
Les vents partent, la mer fe fouléve en fureur:
Son empire eft celui du trouble & de l'horreur.

On fent affez que les comparaifons étendues ne peuvent trouver place dans la Tragédie, quoiqu'on en trouve dans les Tragédies Anglofes & Italiennes. Elles ne conviennent pas entre des perfonnes qui s'entretiennent: c'eft au Poëte à les faire, quand il parle lui-même, & quand il eft dans l'enthoufiafme. Quoiqu'Home re en foit fi prodigue, fa fageffe eft remarquable; il n'en met aucune dans le premier Livre de l'Iliade; il n'eft pas encore affez animé: mais dans la fuite, & fur-tout lorfqu'il décrit les combats, il les entaffe les unes fur les autres. Dans l'Odylfée, où il raconte tranquillement, on ne trouve prefque point de comparaifons, excepté dans le Livre 22. parce qu'il eft plein de combats. La comparaison qui orne infiniment la Poëfie Epique, convient auffi à l'enthousiasme de la Poëfie Lyrique: une Ode peut commencer heureuse. ment par une double comparaison, comme celle

d'Ho

d'Horace L. 4. Qualem miniftrum fulminis alitem, &c. Boileau commence un Chant de l'Art Poëtique par une comparaifon. Telle qu'une bergere aux plus beaux jours de fête, &c. & j'ai vu plufieurs perfonnes ne pas defapprouver ce début d'un Chant d'un autre Poëme.

Tel que brille l'éclair qui touche au même inftant
Des portes de l'Aurore aux bornes du Couchant;
Tel
que le trait fend l'air fans y marquer fa trace,
Tel & plus prompt encor part le coup de la Grace.

Je n'ai rapporté cet exemple, que parce que je n'en connois point d'autre, d'un Chant didactique, commençant par une double comparaison.

§. IV. Le ftile figuré eft nécessaire à
toute Poëfie.

Tous les Poëtes doivent pratiquer le confeil que leur donne Boileau.

De figures fans nombre égayez vos ouvrages,
Que tout y faffe aux yeux de riantes images.

Ce ftile de fiction qui doit regner dans les Poëmes de tout genre releve la féchereffe de la Poëfie didactique, comme je le ferai voir lorfque je parlerai des Poëmes de ce genre. C'est par ce ftile plein d'images, qui fe trouve rarement dans Lucréce, & toujours dans Virgile, que tout paroît vivant dans les Géorgiques, de même que dans les Epitres d'Horace, où fans l'harmonie d'une verfification nombreuse nous trouvons une agréable Poëfie. Les comparaifons étendues ne conviennent point à la Tragédie; mais les comparaifons abrégées, c'eft-à dire, les métaphores, y font néceffaires, & elle fait ufage de toutes les

D 4

figu

figures les plus vives que la paffion puiffe infpi rer, comme la Profopopée, l'Apoftrophe, &c. Cornelie, dans la douleur, s'adreffe à l'urne de Pompée. Phédre croit que les voutes de fon pa. lais vont prendre la parole pour l'accufer: elle s'ima gine auffi descendre aux Enfers pour y être jugée, & elle croit que Minos, effrayé de la voir, laiffe tomber de fes mains l'urne terrible. Clytemnef. tre, lorsqu'on lui enleve fa fille, apostrophe la mer, le foleil, & croit entendre la foudre. Ces grandes figures ne doivent être placées que dans les peintures des grandes paffions; mais les autres doivent regner dans toute la Tragédie, qui fanguit, quelqu'intéreffant que foit le fujet, fi le Poëte ne réveille point par un ftile rempli d'i

mages.

C'est aux défauts du ftile qu'on doit, à mon avis, attribuer la difgrace étonnante de tant de Tragédies, qui, quoique bien conduites, n'ont pas eu un fuccès durable. Leur naiffance fut heu.

reufe; la nouveauté y fit courir; le sujet intéreffa; la représentation les foutint quelque tems, & elles tomberent enfuite dans l'oubli, parce qu'ap paremment l'expreffion ne les grava point dans notre memoire.

Il me fuffit pour le prouver de tirer un moment de fes ténébres l'Iphigénie de Le Clerc, & de comparer un endroit de cette Piéce avec un endroit de l'autre Iphigénie, où la même chofe foit exprimée.

L'Agamemnon de Le Clerc décrit ainfi le calme qui arrêta l'armée en Aulide:

Les Grecs, prêts à partir, bruloient d'impatience D'aller faire fur Troie éclater leur vengeance, Lorsqu'un calme foudain répandu fur les eaux, Près ce trifte rivage arrêta nos vaiffeaux.

L'au

« PreviousContinue »