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Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

nemens.

La douleur, difent-ils, ne cherche pas les or. Ce n'est pas non plus un ornement que cherche Téramène, il parle le langage de la douleur, qui lui fait croire que toute la nature a horreur comme lui de ce monftre.

Par ce ftile qui perfonifie tout, les chofes les plus communes deviennent nobles dans la bouche des Poëtes. Que de Poëfie Rouffeau employe pour faire entendre qu'on ne doit pas compter fur un de ces beaux jours qui femblent annoncer la fin de l'hyver! il s'adreffe à un arbriffeau.

Jeune & tendre arbriffeau, l'espoir de ce verger,
Fertile nourriffon de Vertumne & de Flore,
Des fureurs de l'hiver redoutez le danger,
Et retenez vos fleurs qui s'empreffent d'éclore,
Séduites par l'éclat d'un beau jour paffager.

Aux confeils il ajoute les exemples:

Imitez la fage Anémone;
Craignez Borée & fes retours;
Attendez que Flore & Pomone
Vous puiffent prêter leur fecours.
Philoméle eft encor muëtte;
Progné craint de nouveaux friffons,
Et la timide Violette

Se cache encor fous les gazons.

Le même Poëte nous préfente fouvent des métaphores qui nous furprennent par leur agréable nouveauté, comme quand il fait dire à un Rimeur qui fe vante de ne rien devoir aux Anciens:

Mon Apollon ne régle point fa note
Sur le clavier d'Horace & d'Ariftote.

Et

Et quand il lui dit:

Trouveras-tu, raisonnons de fang froid,
Dans les tiroirs de ton génie étroit
Ces grands pinceaux ? &c.

Tant d'autres exemples qu'on peut tirer de fes Ouvrages, prouvent que notre langue n'eft pas fi timide qu'on le croit, & que fa hardieffe dépend de l'habileté de ceux qui s'en fervent, comme je le ferai voir dans la fuite.

Il eft vrai que certaines images peuvent être agréables dans une langue, & defgréables dans une autre; nous n'oferions pas donner des pieds au tonnerre, & dire à Dieu, comme Pindare:

Puiflant Maître des Cieux, dont les mains redouta. bles

Font rouler le tonnerre aux pieds infatigables.

Nous ne dirons point avec l'Auteur du Pfeaume 4. Mes larmes font mon pain: & ce Vers d'0. vide qui rend la même métaphore, cura, dolor que animi, lacrimæque alimenta fuere, ne plairoit' pas en notre langue: mes chagrins & mes pleurs furent mes alimens.

Nous faifons courir la flamme de l'amour dans les veines:

Je fens de veine en veine une fubtile fiamme, &c. Boileau.

mais nous ne pouvons la faire couler jufques dans la moëlle des os, comme a fait Virgile, eft flam ma medullas; & ces expreffions d'une de nos Hymnes, totis amor æftuans medullis, ne peuvent être rendues littéralement en notre langue.

Telle image déplaît à un peuple, & plaît à un autre,

autre, fans qu'on puiffe en donner d'autre raifon, que le caprice des langues. Quelquefois auffi des opinions particulieres à un peuple en font la caufe. L'Auteur du Pf. 17. peint la colere de Dieu, en difant: La fumée monte à fes narines, ce que Buchanan a traduit:

Fumeus afflatu de naribus æftus anbelo
Undabat.

Cette image ne choquoit ni les Hébreux ni les Grecs, qui regardoient le nez comme le fiége de la colere; mais comme nous n'avons pas la même opinion, & que d'ailleurs le nez, par une de ces bizarreries de langue dont j'ai parlé, & dont on ne peut rendre raison, ne peut être nommé dans le ftyle noble, comme le front, les yeux, &c. cette image ne peut plaire dans nos Vers, & nous ne pouvons goûter aujourd'hui la maniere dont Marot a rendu cet endroit du Pfeaume:

En fes nazeaux lui monta la fumée;
Feu apre iffoit de fa bouche allumée,
Si enflambé en fon courage étoit

Qu'ardens charbons de toutes parts jettoit.

Quoique l'image fous laquelle le Prophéte reprétente Dieu faifant boire la coupe de fa colere aux pécheurs, foit heureufement rendue dans Athalie:

Ils boiront dans la coupe affreufe, inépuisable, Que tu préfenteras au jour de ta fureur

A toute la race coupable.

cette image eft cependant moins naturelle aujourd'hui que dans les tems reculés, parce qu'elle faiTim. V.

D

foit

foit alors allufion à ces Rois des feftins, qui forçoient les conviés à boire.

Comme la force des taureaux eft dans les cornes, ces expreffions cornua peccatorum, cornua jufti, font fréquentes dans les Pfeaumes. Le vin, dit auffi Horace, addit cornua pauperi. Cette métaphore qu'ont encore employé Pétrarque & le Tafse, nous eft interdite, & nous ne parlons pas même des cornes des fleuves, quoiqu'ils en ayent de poëtiques, que Malherbe a voulu leur conferver.

Qui n'a vu dans leurs combats

Le Pô mettre les cornes bas?

Indépendamment des opinions particulieres à certains peuples, il eft certain que notre imagination, moins vive que celle des Orientaux, rejette des images qui leur paroiffoient belles. Nous ne dirions pas, pour exprimer la famine, Dieu a brifé le baton du pain, métaphore qu'on trouve dans le Pf. 104. Et la maniere dont Job dépeint l'Eclipfe, quoiqu'elle repréfente la facilité avec laquelle Dieu fait les plus grandes chofes, ne plairoit pas dans notre langue.

Ce Dieu tient dans fa main l'aftre de la lumiere:
Il la ferme, & pour nous le foleil eft perdu.
Il la rouvre à nos yeux le foleil eft rendu. Job. 36.

La defcription d'un poiffon monftrueux que fait Job c. 41. ne peut jamais être agréable dans notre langue. Qui ofera ouvrir les portes de fa gueule? la terreur babite autour de fes dents. Ses écailles font comme des boucliers d'airain fondu. Lorfqu'il éternue, il jette des éclats de feu qui brillent comme la lumiere du matin: il vomit des lampes qui brillent comme des torches ardentes: fes narines jet

tent

tent une fumée pareille à celle de l'eau qui boût fur un brafier: fon baleine allume les charbons, & la famine marche devant lui. Cette description poëtique nous fait connoître jufqu'où les Orientaux pouffent l'Hyperbole & la Métaphore.

Chardin, qui dans fes Voyages foutient que la Poëfie eft le talent des Perfans, & la partie de la Litterature dans laquelle ils excellent, rapporte quelques endroits de Sadhy, leur fameux Poëte. On y trouve cette même hardieffe de Métaphore. Selon lui, Dieu met à l'un la couronne fur la tête, jette l'autre dans la boue; pare l'un d'un manteau de félicité, couvre l'autre d'un fac de malheur, du bout du doigt porte le foleil d'Orient en Occident, d'un fouffle fait voguer les grands navires, & de l'abime du néant fait revenir dans les plaines de l'être.

§. III. De la Comparaison.

NOTRE imagination, moins vive que celle des Orientaux, emploie cette figure avec plus de ménagement. Un amas de comparaifons entaffées les unes fur les autres nous fatigueroit. Rouffeau, dans fa belle Imitation du Cantique d'Ezéchias, ne rend pas non plus toutes celles de l'Original, dont quelques-unes ne feroient pas de notre goût. Nous ne dirions pas, ma vie eft roulée, comme la tente que roule un berger pour l'emporter. Le fil de mes jours eft coupé par le Seigneur, comme le fil de la toile eft coupé par le tifferand. Le même Poëte, dans fon Imitation du Pf. 18. n'a pu ren. dre dans toute leur étendue les deux comparaisons =qui peignent dans l'Original le lever & la marche du Soleil. Cet aftre paffe la nuit dans la tente que Dieu a dreffée pour lui à une extrémité du Ciel. Le matin il en fort, comme un époux brillant fort de fa couche; enfuite il part d'une extrémité du Ciel pour arriver à l'autre, comme une athléte qui vient dispu

D 2

ter

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