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Dans ton cœur tu difois: A Dieu même pareil
J'établirai mon trône au-dessus du foleil,
Et près de l'Aquilon fur la montagne fainte,
J'irai m'affeoir fans crainte:

A mes pieds trembleront les humains éperdus,
Tule difois, & tu n'es plus.

*

Les paffans qui verront ton cadavre paroître Diront, en fe baiffant pour le mieux reconnoître: Et-ce là ce mortel, l'effroi de l'Univers,

Par qui tant de captifs foupiroient dans les fers;
Ce mortel dont le bras détruifit tant de villes,
Sous qui les champs les plus fertiles
Devenoient d'arides deferts?

*

Tous les Rois de la Terre ont de la sépulture
Obtenu le dernier honneur:

Toi feul privé de ce bonheur

En tous lieux rejetté, l'horreur de la nature,
Homicide d'un peuple à tes foins confié,
De ce peuple aujourd'hui tu te vois oublié.

Qu'on prépare à la mort fes enfans miférables: La race des méchans ne fubfiftera pas; Courez à tous fes fils annoncer le trépas: Qu'ils périffent: l'auteur de leurs jours déplorables Les a remplis de fon iniquité.

Frappez, faites fortir de leurs veines coupables Tout le malheureux fang dont ils ont hérité.

Que d'images, que de figures le Prophéte raf femble! on entend parler tour à tour les cédres du Liban, les ombres des morts, les Juifs, le Roi de Babylone, & les paffans qui trouvent fon corps. Ces figures font fi hardies, que l'Orateur le plus

animé n'oferoit les mettre en ufage: la Poësie seule peut les employer.

Les exemples de cet enthousiasme, que je regarde comme l'effence de la Poëfie, font fréquens dans l'Ecriture fainte (1). Quel homme doué d'un bon goût, quand même il ne feroit pas plein de refpect pour elle, & qu'il liroit les Cantiques de Moïfe avec les mêmes yeux dont il lit les Odes de Pindare, ne fera pas contraint d'avouer que ce Moïfe, que nous connoiffons comme le premier Hiftorien & le premier Légiflateur du Monde, eft en même tems le premier & le plus fublime des Poëtes? Dans fes Ecrits la Poëfie naiffante paroit tout d'un coup parfaite, parce que Dieu même la lui infpire, & que la néceffité d'arriver à la perfection par degrés, n'eft une condition attachée qu'aux arts inventés par les homCette Poëfie fi grande & fi magnifique regne encore dans les Prophétes & dans les Pfean mes. Là brille dans fon éclat majeftueux cette véritable Poëfie qui n'excite que d'heureuses paffions; qui touche nos cœurs fans les féduire; qui nous plaît fans profiter de nos foibleffes; qui nous attache fans nous amufer par des contes frivoles & ridicules; qui nous inftruit fans nous rebuter; qui nous fait connoître Dieu fans nous le représenter fous des images indignes de la Divinité; qui nous furprend toujours fans nous promener parmi des merveilles chimériques. Agréable & utile; noble par fes expreffions; hardie dans fes figures; admirable par les vérités qu'elle annonce,el le feule mérite le nom de langage divin

mes.

Tout

(1) M. Rollin, Hift. Anc. c. 1. fur les Poëtes, m'a fait l'honneur d'y inférer cet endroit, qu'il avoit tiré de ma Differtation imprimée dans le 6. volume des Memoires de l'Académie; mais comme il a oublié de me citer,je fuis oblide faire cette note, dans la crainte que quelqu'un no me foupçonne de copier ici M. Rollin.

Tout ce que je viens de dire fur la Poëfie en général, ne peut être mieux confirmé que par ces paroles de M. Boffuet dans fes Réflexions fur l'Hiftoire Univerfelle. Son ftile bardi, extraordinaire, naturel toutefois en ce qu'il eft propre à représenter la nature dans fes tranfports, qui marche par cette raifon par de vives & impétueufes faillies, affran chi des liaisons ordinaires que recherche le difcours uni, renfermé d'ailleurs dans des cadences nombreu Jes, qui en augmentent la force, furprend l'oreille, Jaifit l'imagination, émeut le cœur, & s'imprime plus aifément dans la mémoire.

Ces fix lignes de M. Boffuet contiennent le ger me de tout ce que je dirai fur la Poëfie. Qui a fçu en dire tant de chofes en fi peu de mots, la devoit connoître. Il femble cependant qu'il ait eu toujours quelque mauvaise humeur contre elle: je n'en foupçonnerai pas une raifon pareille à celle que la mauvaise humeur de Platon m'a fait foupçonner.

Il ne fuffit pas que le ftile hardi de la Poëfie marche par des faillies impétueufes, ce n'eft en core que le langage de la nature: il faut qu'il obferve dans fa marche la mefure & les cadences qui conviennent à chaque nation, c'eft le langage de l'art celui-là feul eft Poëte qui fçait réünir ces deux langages.

Je vais examiner féparément l'un & l'autre. J'examinerai d'abord ce qui diftingue le ftile de la Poëfie du ftile de la Profe, & ce qui fait que les Poëtes ont, pour ainsi dire, une langue particuliere. J'examinerai enfuite les loix de la Verfification

CHA

CHAPITRE III.

DU STILE POETIQUE.

L'EXPRESSION

'EXPRESSION eft l'âme de tous les ouvra ges qui font faits pour plaire à l'imagination. On n'exige de l'Hiftorien que la vérité des faits: on ne demande au Philofophe que la jufteffe des raifonnemens. Lorfqu'à ces qualités qui font indif penfables pour eux, ils ajoutent celles qui font l'agrément du ftile, on les lit avec plus de plaifir; mais de quelque façon qu'ils ayent écrit, l'utilité Equ'on retire de leurs Ouvrages, oblige à les lire. Il n'en eft pas de même de l'Orateur & du Poëte. L'un veut nous émouvoir pour nous perfuader; l'autre veut nous amufer agréablement: il faut que l'un & l'autre nous réveillent continuellement Spar des impreffions qui nous rendent attentifs à ce qu'ils nous difent: nous ne les écoutons qu'autant qu'ils plaifent à nos oreilles par les charmes de l'expreffion.

Le fuccès de leurs Ouvrages dépend plus fou vent de l'expreffion que de la régularité du def fein, & de la jufteffe des pensées; & l'expreffion eft bien plus difficile à trouver pour eux que le refte. Un homme d'efprit peut trouver par la réflexion, l'exacte ordonnance d'un fujet, & les pensées convenables à ce fujet; mais la réflexion n'apprend point à les bien exprimer, c'eft le don du génie. L'expreffion diftingue le grand génie

de l'homme ordinaire, le véritable Orateur du difcoureur commun, & le Poëte que la nature à formé, de celui qui ne l'eft que par art.

Quoique M. Huet qui avoit une tendreffe toute particuliere pour Chapelain, ait foutenu que la Pucelle étoit un Poëme admirable pour l'ordonnance, & où toutes les régles de l'Epopée étoient exactement obfervées; quoiqu'il ait témoigné du regret de ce qu'on ne donnoit pas au public la feconde partie de ce Poëme, que Chapelain a ache. vée, & qu'on conferve manufcrite; le public, loin de la demander, a ceffé de lire la premiere fans examiner fi l'ordonnance étoit réguliere ou non. M. Huet a plaidé feul la caufe d'un Poëte abandonné; & tout Poëte le fera toujours, quel que fujet qu'il traite, lorfqu'il ne fçaura pas s'at tacher des Lecteurs par les graces de l'expreffion.

Le ftile poëtique dont je vais parler eft différent du ftile ordinaire par deux caractéres principaux.

1. Par un ufage plus fréquent, & plus hardi des figures.

2. Par un arrangement de mots, qui n'étant point toujours affujetti aux liaifons ordinaires de la Profe, forme une langue particuliere aux Poë tes. Je parlerai d'abord des figures, & je parlerai enfuite de la langue poëtique.

ARTICLE I.

Du Langage figuré.

Quintilien prétendoit qu'il étoit impoffible de

terminer la difpute qui regnoit de fon tems entre les

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