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badinage. Que le P. Rapin, en chantant les Jardins, explique par de gracieuses Fictions, quelle eft la caufe de la pâleur de la violette, & de la rougeur de l'hyacinthe; ou que M. Huet, par des Fables ingénieufes, explique quelques merveilles de la Nature, les Divinités que leur Mufe introduit dans de pareils fujets, ne me paroiffent deshonorer ni les caracteres des Auteurs, ni leurs ouvrages.

CONCLUSION.

Tout ce que je viens de dire pour la défense de la Poëfie, rend encore plus condamnables les -Poëtes qui ont avili leurs talens, & fur-tout les Poëtes Chrétiens, qui n'ont fongé à plaire que par des peintures dangereufes, ou par des fables frivoles. Mais le crime des Poëtes n'eft pas celui de la Poëfie. J'ai fait voir que dans fon origine elle avoit été uniquement attachée à la Religion, que l'inftruction des Hommes avoit été fon grand objet, & par l'exemple de quelques Poëtes fameux qui ont dignement rempli leur miniftere, j'ai montré que la Poëfie pouvoit plaire fans corrompre les cœurs, & fans le fecours du menfonge.

C'est donc injuftement que Platon s'eft déclaré contre elle, & fa févérité eft d'autant plus éton. nante, que lui-même eft appellé l'Homere des Philofophes, à caufe de la Poëfie répandue dans fon ftyle. Il avoit dans fa jeuneffe compofé un grand nombre de Vers, quelques Tragédies, & même il avoit tenté le Poëme Epique; mais il facrifia, dit on, tous ces Ouvrages à la Philofophie. Quel. ques Anciens cependant ne donnent pas un fi beau motif à ce facrifice: ils racontent que Platon for. cé de reconnoître combien Homere lui étoit fųpérieur, fut découragé, & que parodiant ce Vers

d'Ho

.

d'Homere, Iliade 18. quand Thétis demande des armes à Vulcain pour Achille: Vulcain, fers promp. tement Thétis dans fon befoin; il dit en jettant tous fes Vers dans le feu, Vulcain, fers promptement Platon dans fon befoin; & qu'enfuite choififlant un genre dans lequel il pût exceller, il s'attacha à la Philofophie. Peut-être conferva-t-il quelque chagrin contre la Poëfie qui ne lui avoit pas été favorable, & chercha-t-il à la rabaiffer par un refte de mauvaise humeur, dont les grands Hommes ne font pas exempts.

On ne peut attribuer la févérité de M. Boffuet qu'à fes grands fentimens de Religion. Ne pouffet-il pas cependant la févérité trop loin quand il dit que Boileau, dans fa Satire fur l'Homme, attaque en forme la Raifon fans fonger qu'il dégrade image de Dieu? Le Poëte fait bien connoître dans cette Satire qu'il ne parle pas férieufe

ment.

En même tems que je crois qu'on peut perdre d'agréables momens dans la lecture des Poëfies innocentes, je ne 'puis qu'admirer celui qui ne voulant s'occuper que de faintes vérités, néglige tout ouvrage qui n'a pas la Religion pour objet; & j'avoue qu'à fes yeux le Livre d'Homere, quoi. que le plus précieux Ouvrage de l'efprit humain, comme l'a-dit Pline, pretiofiffimum bumani ingenii opus, n'eft cependant qu'un Livre, fuivant les termes de faint Auguftin, agréablement frivole, dulciffimè vanus. Mais comme ces perfonnes fi parfaites & fi heureufes ne doivent pas condamner celles qui fe délaffent en lifant des Poëfies fages, elles ne doivent pas méprifer la Poëfie en général.

Horace dit qu'un Poëte doit être le premier précepteur d'un enfant; c'eft à lui à former cette langue novice; à infpirer à cette tendre oreille de l'averfion pour les difcours deshonnêtes, &

à écarter les paffions dangereufes de ce jeune

cœur.

Os tenerum pueri balbumque Poëta figurat,
Torquet ab obfcanis jam nunc fermonibus aurem,
Mox etiam pectus præceptis format amicis,
Afperitatis & invidia corrector & ira, &c.

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Voilà ce que peu de Poëtes font capables de faire, & voilà cependant le principal objet de la Poëfie. Soit qu'elle donne des préceptes comme la Lyri. que & la Didactique, foit que comme l'Epique & la Dramatique, elle donne des exemples par l'imitation d'actions véritables ou feintes elle doit toujours avoir pour but de rendre les Hommes meilleurs, & ne doit jamais peindre nos paffions, que pour nous apprendre à modérer celles dont l'excès eft dangereux, ou à fuir celles qui font criminelles. C'eft de cette feule Poëfie que j'ai entrepris la défenfe.

CHA

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DE L'ESSENCE DE LA POESIE.

APRES avoir reconcilié, comme je l'efpere,

la Poëfie avec fes ennemis les plus redoutables, je vais m'occuper de fes différentes beautés, & en chercher la fource dans la nature.

Les peuples les plus barbares ont eu toujours une espéce de Poëfie & une espéce de Mufique; parce que la nature a donné à tous les hommes, & même aux animaux, des oreilles fenfibles à P'harmonie. C'est en chantant que les nourrices appaifent les cris de leurs nouriffons: c'eft en chantant que l'artifan s'anime dans fon travail. A ces oreilles fenfibles à l'harmonie, la nature a ajouté en nous, pour le bien de la fociété, un cœur fi fenfible aux paffions, que l'homine eft comme une Lyre dont chaque corde toujours tendue eft prête à répondre à la plus legere impref fion: nous avons en même tems un efprit toujours avide d'apprendre, & curieux de nouveautés.

Il n'eft donc pas étonnant qu'on ait rendu de tout tems de grands honneurs à la Poëfie. Quels hommes pourroient être infenfibles aux douceurs d'un langage qui sçait tout à la fois charmer nos oreilles, émouvoir nos cœurs, contenter notre efprit, & entretenir notre curiofité? C'eft parlà que les Poëtes ont trouvé le fecret infaillible de nous plaire. En même tems qu'ils flattentnos oreilles par la cadence harmonieufe des Vers

tantôt en nous communiquant les transports qui les animent, ils rempliffent nos cœurs de fentimens agréables; tantôt par une fidelle imitation fouvent plus agréable que la préfence des objets imités, ils contentent notre efprit qui fe plaît à juger de la vérité de l'imitation; & tantôt ils nourriffent notre curiofité par des Fictions amufantes:

La Verfification, l'Imitation, la Fiction, l'Entbou fiafme, font donc les principaux refforts qui rendent la Poëfie vivante; mais comme ils ne l'a. niment pas toujours tout ensemble, je vais cher, cher la caufe principale de fon empire fur nous, & tâcher de faire connoître quel eft ce caractere qui n'eft propre qu'à elle, & qui la diftingue ef fentiellement de la profe.

Quoique la Verfification foit toujours néceffaire, & que le peuple donne communément le nom de Poëte à tout homme qui fait des Vers, ce glo rieux titre ne s'acquiert pas fi aifément. La fcience de renfermer des mots dans une certaine me fure, n'a rien de grand ni d'admirable. Quel que étroite que foit la gêne de la verfification, elle ne procure aucune gloire à celui qui fçait uniquement s'y affervir: l'Ecrivain le plus médiocre s'y habitue fans peine : le Poëte le plus fublime s'y foumet aulli, parce qu'on eft toujours obligé d'obéir aux Loix de fon art. Mais ce n'eft pas à cette obéiflance qu'il doit fa grandeur.

Neque enim concludere verfum
Dixeris effe fatis.

- Je ne m'arrêterai pas à prouver que l'Imitation, quoiqu'elle foit un des grands charmes de la Poëfie, n'eft pas feule ce qui fait fon pouvoir: on n'en peut douter. Quoique la Comédie foit une imitation des actions & des paffions humaines,

plu

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