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de ces deux Vrais; que le Vrai idéal eft néceffaire dans les fujets les plus fimples, & que le Vrai fimple eft néceffaire dans les fujets les plus grands.

ARTICLE I.

·De la néceffité du Vrai idéal dans les fujets les plus fimples.

'Imitation nous fait fonger à deux choses, à qu'un objet imité par la Peinture n'a rien qui foit capable de plaîre, nous admirons toujours l'art de l'Imitateur, quand par la jufteffe de fon deffein, & la vérité de fon coloris, il s'eft rendu admirable. Ainfi des tableaux qui ne repré fentent que des arbres, des bâtimens, des animaux, ou des fruits, font eftimés quand l'imita. tion eft vraie, parce que le Peintre peut se borner à plaire aux yeux. Il n'en eft pas de même du Poëte: il doit parler à l'âme, & l'enlever. Si l'objet qu'il imite n'a rien de grand ni en foimême, ni dans la maniere dont il est imité, loin d'admirer l'Imitateur, nous le condamnons d'avoir employé le langage de la Poëfie pour ne dire que des chofes communes.

Des Idylles dans le goût de la quatrième de Théocrite, trouveroient peu de Lecteurs. Qu'un ! Berger fe plaigne qu'une grande épine lui eft entrée dans le pied, & que fon camarade, en la lui ôtant, lui recommande de ne pas aller nuds pieds dans les montagnes; un pareil fujet, quoique traité auffi parfaitement que Théocrite l'a traité, n'offre à l'âme rien qui l'attache: mais ce même fujet peut fournir à un Peintre un tableau charmant.

La

La Peinture nous fait regarder avec plaifir les habitans de la campagne quoique couverts de haillons, au lieu que la Poëfie ne doit point les préfenter dans leur rufticité & leur mifere: elle doit leur chercher des ornemens, non dans le luxe des villes, mais parmi les fleurs de la campagne qu'ils habitent ; & c'eft dans le choix de ces fleurs que confifte le Vrai idéal. Si des Eglogues préfentent des Bergers trop groffiers, elles déplaisent faute du Vrai idéal: fi elles les préfentent trop fpirituels, elles déplaifent faute du Vrai fimple.

Secura

Le Baffan a peint en quatre tableaux les tra vaux qui occupent les habitans de la campagne dans les quatre faifons de l'année; & comme il s'eft contenté du Vrai fimple, il n'a parlé qu'aux yeux; au lieu qu'Horace & Virgile, qui à ces mêmes objets ajoutent le Vrai idéal, parlent à l'âme, & en nous rendant aimables les occupations champêtres, nous font envier le bonheur d'un féjour où regne la paix & l'innocence. quies & nefcia fallere vita. Ces mêmes objets n'attirent point notre attention quand ils font peints, par le Marini. Là, dit-il, on a pour palais fa cabane, Jon baton pour fceptre, un ruilleau pour nettar, fes valets pour mattres, fes chiens pour amis, fes agneaux pour courtisans. Point de fang dans ce féjour, il n'y coule que du lait: point de mains ava res qui dépouillent le pauvre, on n'y tond que les brebis; & le feul éguillon qu'on y connoiffe, eft celui qui perce le flanc des bœufs. Le plus aride defert eft moins ennuyeux, que la plus belle campagne peinte avec de pareilles couleurs.

Si la Fontaine fe fût borné à ce Vrai simple, quoique charmant, qui regne dans fa premiere Fable, & dans quelques autres, il n'eût point laiffé un nom qu'ont rendu fameux tant de gra

ces

ces, par lefquelles il s'eft formé un Vrai dont le choix n'appartient qu'à lui feul.

La Comédie elle-même ne peut fe contenter du Vrai fimple, quoiqu'elle imite les actions les plus fimples des hommes, & qu'elle adinette jusqu'aux perfonnages les plus vils. Les valets & les payfans peuvent paroître fur la Scéne comique, & y parler un langage conforme à leur état; mais ils ne doivent pas y paroître souvent, ni y refter long-tems: on fçait avec quel ménagement Moliere les introduit: je parle de fes belles Comédies, & non des farces qu'il faifoit par complaifance, voulant accorder du bas comique au bas peuple. Dans ces Piéces même, il eft un peintre fidéle de la nature, qu'il ne perd jamais de vue: bien différent de ces Auteurs qui croient annoblir le comique, quand ils s'évaporent dans une abftraite Métaphyfique, & qu'ils nous offrent des portraits que nous ne pouvons reconnoître, parce que les originaux ne font nulle part.

Si dans la Comédie même le Vrai fimple ne peut plaire long-tems, il eft difficile qu'il foit heureusement placé dans les Poëmes Epiques & Tragiques. On a reproché à Homere les perfonnages de Therfite & d'Irus, & l'on peut reprocher à Euripide les réflexions de fa Médée fur le malheur des femmes: elles font dans le Vrai fim. ple. Il eft affez ordinaire d'entendre dire aux femmes, qu'elles font plus malheureufes que les hom mes; que fi les hommes font exposés aux dangers de la guerre, elles font exposées à ceux de l'accouchement: mais ces réflexions conviennent-elles dans la Tragédie, & doit-on entendre dire à une Médée ?

Pour moi j'aimerois mieux cent fois courir aux armes,

Et

Et cent fois des combats affronter les allarmes,
Que d'un enfantement, toujours fi dangereux,
Eprouver une fois le moment douloureux.

Lorfque le Vrai fimple eft annobli par les circonftances, il devient alors un Vrai compofé; & la fimplicité des paroles d'un enfant convient à la Tragédie, lorfque cet enfant, comme le petit Joas, parle à une Reine cruelle, qui médite fa perte.

Qu'un mendiant accablé d'années, s'appuyant fur un bâton, & entrant dans une ferme, foit affailli par des chiens de garde, accoutumés à s'irriter contre des hommes mal vêtus; que pour calmer leur fureur, cet homme par prudence, jette d'abord fon bâton, & fe couche à terre; qu'au bruit des chiens, le fermier accoure, les écarte à coup de pierre, & fauve ce malheureux, cette peinture fi fimple ne paroît pas convenir à la noble Poëfie: mais que ce tableau eft intéreffant, quand ce vieillard mendiant est le fameux Ulyffe, qui caché fous cette figure par Minerve, entre après vingt ans d'abfence chez Eumée (*), s'y voit reçu, quoique vieux & couvert de haillons, avec tant de charité, eft témoin de la compaffion avec laquelle fon ancien ferviteur reçoit les pauvres, de la fincérité avec laquelle il regrette fon maître, & de fon attachement pour Pénélope & Télémaque, dont il lui entend faire les éloges!

L'effroi que caufe à un enfant la vue d'un cafque eft dans le Vrai fimple; mais Homere en a rendu la peinture digne du Poëme Epique, par la circonftance. Hector prêt à partir pour le combat, fe fépare d'Andromaque, qui lui préfente fon fils Aftyanax. Le pere veut le prendre pour

(*) Odyssée 141

l'em

l'embraffer: l'enfant effrayé par l'aigrette du caf que de fon pere, fe rejette en criant dans le fein de fa nourrice: cette frayeur qui prouve la foibleffe de fon âge, redouble la tendreffe des adieux entre le pere & la mere, & excite en nous pour l'enfant ce fouris mêlé de larmes qu'Homere dépeint fi bien dans Andromaque.

Si l'on dit qu'un homme, en accordant à quel. qu'un fa demande, a baiffé la tête & les fourcils, & que fes cheveux ont fuivi le même mouvement, on présente une image vraie mais peu noble en elle-même. Homere dépeint ainfi Jupiter accordant à Thétis fa demande :

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Le Souverain des Cieux favorable à Thétis,
Fit un figne de tête, & baiffa les fourcils:
Sur fon front immortel fes cheveux s'agiterent,
Et du palais des Dieux les voutes s'ébranlerent.

Cette defcription d'un chose fort fimple, fuivie du tremblement des Cieux, a toujours paru admirable, excepté à Scaliger, qui ne pouvoit comprendre que ces Vers d'Homere euffent inspiré à Phidias la majefté qu'il avoit répandue fur une ftatue de Jupiter. Comme fi Phidias, dit Scaliger dans fa Poëtique, avoit eu befoin d'Homere pour apprendre que Jupiter avoit des cheveux & des four

cils.

Cette mavaife humeur, que Scaliger avoit fouvent contre Homere, lui faifoit trouver trop de fimplicité dans ces Vers que les Sirénes chantent à Ulyffe:

Ornement de la Gréce, invincible Héros,

Ulyffe, accordez-vous un moment de repos:
La beauté de ces bords vous invite à le prendre.
Sufpendez votre courfe, & daignez nous entendre.
Il n'eft point de mortel qu'en ces aimables lieux
N'ar

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