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les nuits & les jours à compter, calculer, fupputer, il ajoûte:

Un gros finge plus fage à mon fens que fon mattre, Jettoit quelque doublon toujours par la fenêtre.

Il fait fentir en plufieurs endroits que la chaîne du mariage lui paroiffoit incommode; & dans une Fable qui n'a aucun rapport au mariage, il me dit la même chofe par un feul Vers:

Toi donc, qui que tu fois, ô pere de famille, (Et je ne t'ai jamais envié cet honneur)

Je reconnois cet homme indolent que ne tourmentoit aucune paffion, & qui ne pouvoit comprendre qu'une paffion eût un violent empire fur nous, dans cette réflexion:

Et voyez ce que peut l'exceffive amitié :
Ce mouvement auffi va jufqu'à la folie.

Son goût pour la pareffe,lorfqu'il dit en finiffant. fes Fables:

Bornons ici notre carriere;

Les longs ouvrages me font peur.

ou quand il s'écrie:

Je le verrai ce pays où l'on dort.

On y fait plus, on y fait nulle chose:
C'est un emploi que je recherche encor.

On voit combien il étoit éloigné de l'efprit d'intérêt par l'étonnement qu'il témoigne de ce que ceux qui rendent aux hommes les fervices les plus Importans fe font payer. Puif

Fuifqu'on plaide, & qu'on meurt, & qu'on devient malade,

Il faut des Médecins, il faut des Avocats. Ces fecours, grace à Dieu, ne nous manqueront pas:

Les honneurs & le gain, tout me le perfuade.

Et à la fin d'une autre Fable:

Il en coute à qui vous reclâme,
Médecins du corps & de l'âme.
O tems, ô mœurs! j'ai beau crier,-
Tout le monde fe fait payer.

Dans fes Ecrits licentieux on n'apperçoit point" cet efprit libertin & ce cœur corrompu, que tant d'Ecrits du même genre font remarquer dans leurs Auteurs. On voit un homme qui fe laiffe entraîner par un malheureux talent dont il ne prévoit pas les fuites funeftes, & nous dit fort fincérement:

Je ne veux être cause

D'aucun abus que plutôt mes Ecrits
Manquent de fel, & ne foient d'aucun prix.

Ce qu'il difoit alors, il le penfoit (1), Il pouffa

fon

(1) Il étoit bien éloigné de l'efprit d'impiété ; mais quoique dans la jeuneffe il eût été quelque tems de l'Oratoire, il étoit tombé pour la Religion dans la me indolence que pour tout le refte. Il eut long-tems avant fa mort une grande maladie, pendant laquelle Boileau & mon pere allerent pour le voir. La femme qui le gardoit leur dit de ne point entrer, parce que fon malade dormoit. Nous venions, lui répondirent-ils,. pour l'exhorter à songer à sa confcience: il a de grandes fautes à je reprocher. La garde qui ne connoiffoit ai seux à qui elle parloit, ni fon malade, répondit: Lui,

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fon étonnante fimplicité jufqu'à croire que de pareils Ecrits n'avoient rien de dangereux. Il reconnut dans la fuite fon erreur & il eût bien voulu les pouvoir effacer par les larmes finceres qu'il répandit,

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Il paroft plus difficile de connoître le caractere des Poëtes qui n'ont jamais parlé d'eux-mêmes: je crois cependant qu'on peut connoître aisément celui d'Homere & celui de Virgile.

J'ignore ce qu'Homere penfoit des Dieux de Ton tems; mais je ne puis douter, en lifant fes Ouvrages, qu'il ne fût plein de refpect pour l Divinité. Je vois qu'il avoit une âme noble, & pleine de fentimens de vertu. Il donne des vi. ces à fes héros ; mais par la peinture qu'il fait de ces vices, & des malheurs qu'ils caufent, il apprend aux hommes à s'en corriger. Son Achille eft un modéle de fincérité. Il vante fa valeur: les Dieux la lui ont donné: il laiffe l'éloquence

aux autres.

Les Dieux m'ont accordé la valeur en partage. Il n'eft point de guerrier qui puiffe m'égaler : Je laiffe, à qui la veut, la gloire de parler.

Son Ulyffe a l'éloquence en partage: il eft un héros dans la diffimulation, mais d'une diffimu

la

Meffieurs, il eft fimple comme un enfant. S'il a fait des fautes, c'est donc par bétife plutôt que par malice. Il fit en effet venir un Confeffeur, qui l'exhortant à des priéres & à des aumônes: Pour des aumônes, dit la Fontaine, je n'en puis faire, je n'ai rien; mais on fait une nouvelk édition de mes Contes, & le Libraire m'en doit donner sent exemplaires. Je vous les donne, vous les ferez vendre pour les pauvres. D. Jérôme, le célébre Prédicateur, qui m'a raconté ce fait, m'a affuré que le Confeffeur prefque auffi fimple que fon Pénitent, étoit venu le confulter , pour fçavoir s'il pouvoit recevoir cette au mỏng.

lation prudente, qui ne connoît ni la perfidie, ni la baffeffe du menfonge: toutes les âmes nobles détestent le menfonge, & je vois combien Homere le détestoit, quand je lis ces Vers:

Les portes de l'Enfer m'infpirent moins d'horreur, Qu'un mortel qui me parle en trahissant son cœur.

Homere a rempli fes Ouvrages de maximes & d'inftructions qui font eftimer l'Auteur; mais la lecture de l'Enéïde infpire plus que de l'eftime pour le Poëte. On va jufqu'à l'aimer, parce qu'on fe perfuade qu'il n'avoit que des qualités aimables, qu'il étoit plein de douceur & d'humanité. Son deffein, il eft vrai, a été de peindre un héros parfait; mais on ne peut foutenir toujours un fi beau caractere, fans en avoir un principe en foi-même. On juge de la bonté du cœur de Virgile par celui d'Enée, dont la piété ne confifte pas feulement à refpecter les Dieux, mais à remplir tous fes devoirs envers fon pere, fon fils, fa nourrice, fes compagnons, & envers tous les malheureux. Il eft humain & compatiffant. Quand il voit périr Priam, il fe rappelle fon pere Anchife. Subiit cari genitoris imago. Quand il voit périr le jeune Laufus, il fe rappelle fon fils Afcagne, & patria mentem fubiit pietatis imago. Si on lui demande la permiffion d'enterrer ceux qui ont été tués dans le combat. Me demander, ditil, la paix pour les morts, à moi qui voudrois pou→ voir la donner à tous les vivans!

Pacemne exanimis, & mortis forte peremptis
Oratis? equidem & vivis concedere vellem.

Virgile place dans fon Elifée ceux qui ont fait du bien aux autres. Quique fui memores alios fe cere merendo. Quand il parle de la guerre, on H6

νοίς

voit qu'il la détette, fævit amor ferri, & fcelera ta infania belli, &c. Il fait entendre qu'on ne la doit entreprendre que malgré foi. Teftaturque Deos fe invitum ad prælia cogi. Il eft perfuadé que les Dieux, & la tranquillité de la confcience, donnent la premiere récompenfe de la vertu.

Pulcherrima primum

Di, morefque dabunt veftri.

Et il regarde la gloire humaine comme frivo le, lorfqu'en parlant de celle de la nourrice d'Enée, qui donna fon nom à une partie du rivage de la mer, il ajoûte, Si qua eft ca gloria.

Le Poete dont il me refte à parler, femble comparable à Virgile par la douceur du caracte re, comme par la douceur de la verfification. C'est ce que je pourrai faire remarquer par plu fieurs endroits, fans parler de ces morceaux fi connus, comme le caractere de Phédre, qui eft une peinture fi vive des remords d'une âme qui abandonne la vertu, ou comme le caractere de Burrhus, qu'on ne peut avoir inventé fans une difpofition naturelle à peindre la probité.

Avec quel refpect & quelle tendreffe Iphigénie parle-t-elle de fon pere, Scéne 6. Acte 3. lor qu'elle veut calmer Achille furieux contre Aga memnon pour l'amour d'elle? Quel regret elle témoigne de la vivacité avec laquelle elle a parlé à Eriphile!

Moi-même, où m'emportoit une aveugle colere!
J'ai tantôt fans refpect affligé fa mifere:
Que ne puis-je auffi-bien par d'utiles fecours
Réparer promtement mes injuftes difcours!

En demandant fa liberté à Achille, elle veut avoir la fatisfaction de connoître qu'elle va épou fer un héros plein d'humanité, qui, non conten de la gloire des armes,

Laid

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