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enfans dans leurs Tragédies, mais toujours en peu de mots, & pour exprimer leur crainte ou jeur douleur, fentimens conformes à cet âge. Quand Médée court après fes enfans pour les -tuer, on les entend qui s'écrient, Nous fommes perdus. Les enfans d'Alcefte mourante l'environnent, & dans le moment qu'elle rend le dernier foupir, l'un d'eux s'abandonne aux pleurs, en montrant à fon pere ce vifage dont la mort s'eft emparé. Joas, dans Athalie, dit des chofes plus relevées; mais l'Hiftoire fainte, dont il eft rempli, lui fournit fes réponses.

(a) L'âge qui fuit l'enfance eft trop imprudent pour fournir de nobles imitations. On aime cependant à voir dans Virgile, Afcagne à la chaffe devan çant tout le monde.

Gaudet equo, jamque hos curfu jam præterit illos. Il eft dans cet âge dont Horace a dit:

Gaudet equis, canibufque, & aprici gramine campi.

L'imprudence & la vivacité de cet âge eft bien dépeinte dans Britannicus. Ce jeune Prince eft bien moins occupé de fes malheurs paffés, & de ceux qu'il doit craindre pour l'avenir, que de fon amour. Il ne fe méfie de perfonne, ni d'Agrip. pine, ni même de Narciffe, dont il fait fon confident. Junie, quoique dans le même âge, eft d'un caractére très oppofé: elle l'aime auffi; mais elle n'eft occupée de fon amour qu'en tremblant; elle fe méfie de tout le monde; & quand elle peut parler à Britannicus, c'eft pour lui dire:

Ces murs mêine, Seigneur, peuvent avoir des

yeux.

(a) Maurs de la Feunelle.

Le

Le Poëte a connu la différence qu'il devoit mettre entre les mœurs d'une jeune fille, & celles d'un jeune homme: ce que je remarquerai encore en parlant des mœurs des femmes.

(a) Les Poëtes comiques peignent la vieilleffe avec les défauts: les autres Poëtes doivent la peindre en beau. Homere femble avoir voulu imiter la coutume qu'ont les vieillards de dire des proverbes, quand il fait dire à Ulyffe caché fous la figure d'un vieillard, Odyfee 14.

Malgré tous mes malheurs, & malgré ma vieillefle, Vous connoîtrez encor quelle étoit ma jeuneffe: Le chaume vous fera juger de la moiffon.

Ulyffe compte fes malheurs avec fes années, parce que, comme Homere l'a dit autre part, les chagrins font encor plus vieillir que les ans. Si l'on excepte cet endroit, Homere peint toujours la vieilleffe du beau côté, qui eft celui de la prudence & de la fageffe. Les difcours de fon Neftor font quelquefois longs, mais toujours fi fages, qu'Agamemnon voudroit avoir plufieurs homines comme lui. Les vieillards qu'Homere raffemble fur la tour des portes de Scée, admirent la beauté d'Heléne; mais ils voudroient, malgré cette beauté, qu'elle retournât promptement dans la Gréce: chacun de ces vieillards peut dire ce que disoit Horace, integer laudo.

Un vieillard amoureux eft auffi ridicule dans l'imitation que dans la vérité. Lorfque le grand Vifir dans Bajazet, parle d'époufer Attalide, il écarte de lui le foupçon de l'amour.

Voudrois-tu qu'à mon âge

Je fiffe de l'amour le vil apprentilage?"

(a) Maurs de la Vieilleffe.

Qu'un

Ga

Qu'un cœur qu'ont endurci la fatigue & les ans,
Suivit d'un vain plaifir les confeils imprudens ?

Mithridate traîne après - lui une paffion dont il rougit: il avoue qu'au lieu de s'armer contre les poifons, il eût dû bien plutôt

Ne point laiffer remplir d'ardeurs empoisonnées Un cœur déjà glacé par le froid des années. Il s'accufe le premier, & fe condamne.

Ce cœur nourri de fang, & de guerre affamé, Malgré le faix des ans, & du fort qui l'opprime, Traine par-tout l'amour qui l'attache à Monime.

En s'accufant lui-même, il mérite qu'on le plaigne, & qu'on l'excufe. Corneille fait faire à fon vieux Syphax cette réflexion,

Que c'eft un imbécille & fevere esclavage
Que celui d'un époux fur le panchant de l'âge,
Quand fur un front ridé qu'on a droit de haïr,
II croit fe faire aimer à force d'obéïr:

(a) Les Poëtes, dans la peinture des mœurs de la vieilleffe, font reconnoître la foibleffe de l'â ge, & celle du fexe dans la peinture des mœurs des femmes: elles font moins propres que les hom mes, foit à caufe de la délicateffe des fibres, foit à caufe de la frivole éducation qu'on leur donne, à foutenir des inclinations fortes & égales. C'eft apparemment ce qu'a entendu Ariftote, quand il a dit dans fa Poëtique, que les femmes font com munément plutôt mauvaises que bonnes. Il n'y a pas d'apparence qu'un auffi grand Philofophe ait voula

(a) Mœurs des Femmes.

voulu dire qu'elles font communément plus vicieufes que vertueuses.

On a remarqué qu'Euripide en avoit introduit fur le théatre plus de criminelles que d'eftimables; & comme il rempliffoit fes Tragédies d'invectives contre elles, il fut appellé l'ennemi des femmes, titre qui ne prouveroit pas fa haine contre elles; puifqu'au rapport d'Athénée il n'étoit leur ennemi que fur le théatre. Sophocle les a plus épargnées; mais elles n'en feroient pas plus contentes, s'il étoit vrai qu'il eût fait cette réponse qu'on lui attribue je les repréfente telles qu'elles doivent tre; Euripide les repréfente telles qu'elles font. Elles feront encore moins contentes d'Ariftophane, qui dans la Comédie même, où il leur livre Euripide pour être jugé par elles, les noircit par les accufations les plus atroces: elles ne fe loueront pas non plus de l'Ariofte, qui les attaque fouvent, & même dans le moment où il paroît vouloir prendre leur défenfe. Rodomont dans un mouve. ment de colere, les accufe d'être toutes perfides. Il avoit tort: répond gravement l'Ariofte, en interrompant fa narration par cette réflexion, lạ colere l'emportoit. It eft vrai que je n'en ai jamais vu une fidelle; mais c'est un effet de mon malbeur. Je chercherai tant que je ne défefpere pas d'en trou. ver une; & je m'engage à la célébrer bautement, de vive voix, & par écrit, en Profe & en Vers. La Fontaine, dont la Mufe étoit fi douce, les a bien peu ménagées: il faut avouer que les Poëtes de tous les tems, & de toutes les nations, femblent s'être réunis contre elles: il faut avouër auffi qu'elles donnent elles-mêmes la vogue aux Vers & aux Romans qui leur font le moins favorables, & qui feroient moins nombreux fi elles ne les lifoient pas avec tant d'ardeur. La Fontaine étonné de leur indulgence, & de l'honneur qu'elles lui faifoient de lire tous fes Ecrits, a cru devoir

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les en remercier par des Vers qui font affer

connus.

Si notre théatre ne leur eft pas plus favorable que celui de la Gréce; fi avec les Phédres, les Médées, & les Clytemnestres, on y trouve en core les Cléopatres, les Agrippines, les Emilies, les Roxanes, les Hermiones, les Athalies; & fi Pauline même, une des plus vertueufes, a fait dire à un grand Prince, que peu de maris vou. droient l'avoir pour femme, elles peuvent répondre qu'Euripide, leur cruel ennemi, doit une de fes belles Piéces à Alcefte, la gloire de leur fexe; que fi l'on veut examiner à la rigueur les hommes qui paroiffent fur le théatre, le nombre des vicieux l'emportera fur le nombre des vertueux, & que les Burrhus font plus rares que les Andromaques & les Pénélopes ; qu'enfin quelqu'injurieux que foient les portraits que les hommes ont fait d'elles, elles font le plus grand ornement de leurs Ouvrages.

Il femble en effet qu'on ne puiffe s'en paffer; & je ne connois point de Tragédie intéreffante fans perfonnages de femmes, que le Philoctéte de Sophocle. Les Poëtes Epiques, qui n'ont pas en cela fuivi l'exemple d'Homere, ont été jufqu'à les faire paroître dans les armées & dans les combats. La Camille de l'Enéïde fait voir cependant que la guerre n'eft pas leur métier. De belles armes, dont elle a un defir puérile, lui infpirent une témérité qui caufe fa mort, fœmineo, præda armorumque, ardebat amore. C'eft ainfi que Virgile, en lui confervant l'efprit de femme au milieu de fa valeur, fe rapproche de la nature; mais le Taffe s'en éloigne, lorfque pour rendre fa Clorinde admirable il dit qu'elle paffa fa jeuneffe dans les forêts, où elle paroiffoit un homme aux bêtes, & une bête aux hommes, fera à gl' buomini parve, buomo à le belve. Il

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