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qu'un. Dans ces trois mots dont la prononciation eft fi rude à caufe des deux a, λaav άvá á Desne, qui ne fent la peine de Sifyphe portant un rocher au haut d'une montagne? & qui ne voit retomber rapidement ce rocher, dans ce Vers fi rapide par les dactyles Αὖθις έπειτα πεδονδε κυλινδέτο λαας avaids? Ariftote, dans fa Poëtique c. 23. fait remarquer le tort qu'on feroit à Homere fi l'on changeoit un de fes mots, & fi au lieu de dire comme lui Hiονες βοόωσιν on lifoit Hιονες χράζεσιν. En effet l'harmonie imitative de ce mot dans le quel ces trois lettres oo imitent le mugiffement des flots, eft fi admirable, qu'on prétend que ce feul Vers fit perdre à Platon l'envie d'être Poëte.

Cette beauté d'imitation qui confifte dans l'arrangement des mots, eft auffi remarquée dans la Poëfie de l'Ecriture Sainte, comme, par exemple, dans le verfet 3. du ch. 24. d'Ifaïe: il eft ainfi traduit dans notre Vulgate: Diffipatione diffipabitur terra, & direptione prædabitur. Mais le fon des mots dans l'Hébreu exprime le bouleversement général (1), le tremblement de la terre, & le bruit du tonnerre. Hibbok, thibbok, baaretz, vebibbos, thibbos.

Pour prouver l'effet de la jufteffe des rapports entre les fons & les penfées, prenons un exemple de la Mufique, & fuppofons que des Bergers, pour s'animer à chanter, donnent à ces paroles,

Chantons, chantons, ne nous laffons jamais,
Qu'à nos chanfons l'Echo réponde,

les

(1) Un de mes amis, très-fçavant dans l'Hébreu, m'a -fourni cette Remarque. Je ne prétens pas me parer de ce qui ne m'appartient pas, je ne fais point l'Hébreu.

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les mêmes tons que le Muficien a donnés à ces paroles du Prologue de l'Europe Galante.

Frappons, frappons, ne nous laffons jamais,
Qu'à nos travaux l'Echo réponde.

La premiere harmonie nous paroîtra auffi bi. zarre, que la feconde nous paroît naturelle, parce que ces tons joints aux paroles frappons, qui s'adreffent aux Cyclopes, imitent les fons d'un marteau tombant fur une enclume.

Dans ce fameux monologue de Roland, qui commence par ces paroles, Ab! j'attendrai longtems, on ne peut affez admirer l'art avec lequel Lully a fçu imiter tous les mouvemens d'une âme agitée tour à tour de fentimens oppofés La fu reur de Roland eft amenée par degrés par le Muficien comme par le Poëte. Les premiers chants expriment la confiance & la tendreffe; ils font lents lorfque Roland répéte avec réflexion les mots qu'il trouvé écrits fur les arbres; ils font emportés, lorsqu'il s'écrie, Elle m'auroit flatté d'une vaine efpérance, & redeviennent gais lorsque Roland, pour diffiper fon inquiétude, va fe prêter à la fête champêtre qui arrive. Quand il eft con vaincu, par la vue du bracelet, de la trahison d'Angélique, il lui échappe quelques fons tendres, mais d'une tendreffe qu'infpirent les reproches & les remords: Je l'aimois d'une amour fi tendre, fi fidelle, &c. & enfin il fe livre à cette ter rible fureur que calmera Logifthille, dont l'harmonie eft d'autant plus admirable qu'elle eft douce fans être volupteufe, ce qu'on remarque en la comparant à l'harmonie par laquelle Armide enchante Renaud: l'une femble faite pour calmer les fens, & entretenir l'âme dans une douce tranquillité; l'autre femble faite pour inspirer la molleffe, & plonger l'âme dans la volupté.

Je

Je n'ai aucune fcience dans la Mufique; mais puifque l'harmonie poëtique m'a conduit à en parler, je dirai les impreffions que font fur moi quelques morceaux de Lully. Dans ce même air de Logifthille, & dans le fommeil de Renaud, il femble que l'objet du Muficien ait dû être le même: il s'agit dans l'un de répandre le calme dans les fens d'un homme violeminent agité; il s'agit dans l'autre d'endormir un homme, c'est à-dire, de répandre en lui le calme du fommeil. L'une & l'autre Mufique eft en effet douce, lente, & d'un mouvement égal; mais dans celle de Logifthille, qui doit remettre dans un cours tranquille des efprits en défordre, les fons fe fuccédent les uns aux autres avec autant de variété que de douceur; au-lieu que dans celle de Renaud, où la même variété feroit contraire au fujet, parce que l'uniformité des fons nous endort, Lully toujours difciple de la Nature, la fuit jufqu'à faire chanter fur les mêmes notes plufieurs mots, comme ceux-ci, un fon barmonieux, & ces mots répétés, Tout invite au repos.

Dans ce même monologue, plus j'obferve ces lieux, Renaud après ces paroles va toujours en abaiffant fon chant, parce que le fommeil s'empare de lui par degré. Lorfqu'Armide vient pour tuer Renaud endormi, la vivacité avec laquelle elle a chanté, je vais percer fon invincible cœur, s'éteint à ces mots, qu'est-ce qu'en fa faveur la pitié me veut dire? Quelle vérité dans les tons que Lully donne à ces paroles, Achevons, je frémis; vengeons-nous, je foupire; & à ces dernieres qu'Armide prononce foiblement, que s'il se peut, je le baille!

Ce n'eft pas feulement dans ces endroits paffionnés que Lully eft étonnant. Son attention à imiter fe remarque par- tout, & dans les plus petites chofes, comme dans Homere. Lorfqu'Hydraot

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draot exhorte Armide à choisir un époux, il chante d'abord lentement; mais quand il trouve en elle de la réfiftance, il reprend vivement, par vous quand il vous plait, &c. Quand il voit qu'Armide réfifte encore, il chante avec feu, Bornez. vous vos defirs, &c. Voilà l'image d'une converfation qui s'échauffe; & dans la réponse d'Armide, le vainqueur de Renaud, fi quelqu'un le peut être) on admire l'art du Muficien qui fçait auffi renfermer ces derniers mots, comme dans une parenthéfe. Lorfqu'au commencement du cinquié me Acte Renaud chante, Armide, vous m'allez quitter, on entend un homme amolli par la volup té: il reléve fa voix à ces mots, Que j'étois infen. fé de croire qu'un vain laurier, &c. & retombe dans les tons de tendreffe, en difant, Vaut-il un regard de vos yeux?

Les ennemis de Lully l'accufoient de devoir le fuccès de fa Mufique aux Vers de Quinaut. Ce reproche lui fut fait un jour par fes amis même, qui lui dirent en plaifantant, qu'il n'avoit pas de de peine à mettre en chant des Vers foibles, mais qu'il trouveroit un autre travail, fi on lui donnoit des Vers pleins d'énergie. Lully, animé par cette plaifanterie, & comme faifi de l'enthoufiafme, court à un clavecin; & après avoir un moment cherché fes accords, chante ces quatre Vers d'Iphigénie, dont les deux derniers ont une rudeffe imitative, & qui tous quatre font des ima. ges, ce qui les rend plus difficiles pour la Mufique, que des Vers de fentimens.

Un Prêtre environné d'une foule cruelle
Portera fur ma fille une main criminelle,
Déchirera fon fein, & d'un œil curieux
Dans fon cœur palpitant confultera les Dieux.

Un des Auditeurs m'a raconté qu'ils fe crurent

tous

tous préfens à cet affreux fpectacle, & que les tons que Lully ajoutoit aux paroles, leur faifoient dreffer les cheveux à la tête. Ce que certains hommes font ainfi fur le champ, lorfque leur imagination eft vivement échauffée, eft quelquefois préférable à tout ce qu'ils font dans leur cabinet avec étude. On rapporte que Mr. Le Brun voyant paffer une criminelle qu'on conduifoit à la Gréve pour y être brulée, crayonna fes traits fur un papier, & ce crayon fut regardé comme fon chef-d'œuvre. Cet objet d'horreur étoit, comme le chant de Lully, dont je viens de parler, admirable par l'imitation.

Quelques perfonnes fçavantes en Mufique trouvent celle de Lully trop fimple: pour moi je fuis charmé de n'avoir pas des oreilles fi fçavantes, & je regarde Lully dans la Mufique, comme Ho mere dans la Poëfie, & Raphaël dans la Peinture.

Une Mufique, quoique parfaite par les accords, fi elle n'imite point, ne plaira jamais; parce qu'en Mufique, comme dans les Vers, la vérité de l'imitation doit fe trouver dans l'harmonie. A ceux qui ne fentent point cette beauté, j'adreffe ces paroles de Ciceron, quas aures babeant, aut quid in bis bominis fimile fit, nefcio.

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S. I. Si notre Langue a une véritable
Harmonie.

POUVONS-NOUS nous vanter, difent quelques "perfonnes, d'avoir une véritable harmonie, ,, nous qui ne parlons qu'un jargon formé de la " corruption de la Langue Latine dans les fiécles ,, de la barbarie? Il étoit permis aux Grecs & ,, aux Romains de vanter leur Poëfie. Celle même des Orientaux eft préférable à la nôtre. » Chardin affure que celle des Perfans eft fi har

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» mo.

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