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Sarrazin,

Mon voifin, &c.

ou dans ceux-ci faits contre la Rime même.

Cher Hilas,

Je fuis las
De l'efcrime
De la Rime.
Tous les traits,
Sans attraits,
M'évertuent
Et me tuent:
Ses appas
Sont-ils pas

Une amorce,

Dont l'écorce

Te féduit

Jour & nuit, &c.

Une longue Piéce en Vers pareils feroit trèsfatiguante, parce que les Vers étant trop courts pour être cadencés, la rime ne fert qu'à les faire fautiller; & c'eft alors qu'elle n'eft qu'un tinte ment ennuyeux & puérile, quelque riche qu'elle foit.

Nous méprifons auffi avec raifon le retour af fecté des mêmes Rimes. L'affectation & la beau té ne s'accordent pas. Ce badinage fans agrément, fi recherché par Chapelle & l'Abbé de Chaulieu, ne l'a été ni par La Fontaine, ni par Rouffeau. Le retour précipité des mêmes fons fatigue; & pour l'éviter dans la Poëfie Lyrique, dont les Vers plus courts que les autres, ramènent plus ai fément la Rime, on entrelaffe la Rime mafculine & la féminine. Reconnoiffons donc que la loi qui rend la Rime néceffaire à notre Poësie eft,

com:

POESIE. comme toutes les autres loix de la Verfification, prife dans le fein de la Nature.

Soyons fidelles obfervateurs de cette loi. On n'eft pas obligé de rimer; mais quand on fait des Vers, il faut qu'ils foient bien rimés. Dans les longs ouvrages, il n'eft pas toujours néceffaire que la Rime foit riche; mais il est toujours néceffaire qu'elle foit exacte. Pécher en Vers François contre la Rime, c'eft pécher en Vers Latins contre la quantité: le crime eft égal: mal rimer, c'eft mal faire des Vers.

On peut cependant rimer très-richement, & n'être pas Poëte. La pratique des régles ne fuffit pas; & comme dit fort bien un Poëte fameux par la richeffe des Rimes, en comparant l'Art des Vers au Jeu des Echecs:

Sçavoir la marche, eft chose très-unie;
Sçavoir le jeu, c'eft le fruit du génie.

La science de ce jeu oblige de joindre à l'harmonie méchanique, l'harmonie imitative, dont je vais parler.

ARTICLE II.

De l'Harmonie Imitative.

UN feul demi-Vers de Virgile fera compren

dre la différence que je mets entre l'harmonie méchanique & l'imitative. Si au-lieu de lire navem in confpectu nullam, nous lifons nullam in conSpectu navem, notre oreille fera egalement fatis. faite, par un arrangement de mots conforme aux loix de la Verfification: mais Virgile nous procu

re

re une autre fatisfaction; & lorfqu'après ce mot confpectu notre prononciation s'arrête fur celui-ci nullam, nous croyons être à la place d'un hom me qui jette au loin fes regards, & ne découvre rien. Voilà l'effet de l'harmonie imitative, lors qu'au rapport mefuré que les mots ont entre eux, fe trouve joint le rapport que ces mots ont avec les idées qu'ils préfentent.

C'eft cette fcience fi difficile de réunir les plai firs de l'oreille & ceux de l'âme, qui a rendu dans toutes les nations les grands Poëtes très - rares. Homere & Virgile feront toujours à leur tête, parce que dans les plus petites chofes l'harmonie de leurs Vers imite toujours ce que difent leurs Vers. Lucain & Claudien font harmonieux, fi l'on veut entendre feulement par harmonie un arrangement mefuré de mots fonores; mais leur harmonie nous fatigue, parce qu'elle n'imite point, & que ce n'eft pas contenter notre âme, en Poëfie comme en Mufique, que de remplir feulement notre oreille d'un fon bruyant, qui n'imite rien. Le premier Vers de Lucain, Bella per Ematbios pluf. quàm civilia campos, & ces premiers Vers de Clau dien fur l'enlèvement de Proferpine,

Inferni raptoris equos, afflataque curfu
Sidera Tenareo, caligantefque profunde, &c.

déplaifent par leur pompe; & l'arma virumque ca no de Virgile nous plaît par l'imitation dans l'har monie de la fimplicité que doit avoir un exorde.

- Pour mieux faire connoître encore la différen ce de l'harmonie de Virgile & de celle de Claudien, je vais comparer un morceau de l'un & de l'autre fur le même fujet. Voici les Vers pom. peux par lefquels Claudien décrit le fupplice d'Encélade accablé du Mont Etna.

...

(1) In medio fcopulis fe porrigit Etna peruftis,
Etna giganteos nunquam tacitura triumphos.
Enceladi buftum, qui faucia terga revinitus
Spirat inexhauftum flagranti pectore fulphur :
Et quoties detrectat onus cervice rebelli,
In dextrum lævumque latus, tunc infula fundo
Vertitur, & dubia nutant cum manibus urbes.

Nous trouvons dans ces Vers beaucoup d'emphafe, & dans ceux de Virgile beaucoup d'imitation. Sitôt qu'il commence à parler du Mont Etna, il imite le tonnerre,

Horrificis juxta tonat Etna ruinis.

Quand il vient au fupplice d'Encélade.

Fama eft Enceladi femiuftum fulmine corpus
Urgeri mole bác.

L'élifion de ce monofyllabe placé à la céfure, exprime la pefanteur du fardeau qui accable le géant.

Et felfum quoties mutat latus, intremere omnem
Murmure Trinacriam.

La prononciation arrêtée à latus, & précipitée par les dactiles fuivans, nous rend l'objet préfent. Quand on a commencé à fentir & à goûter ces beautés de Virgile, on devient très-indifférent à l'harmonie de Claudien & de Lucain.

On croit voir une perfonne mourante fe foule

ver

(1) Dans ces deux premiers Vers Claudien n'a point évité la Rime: ce que je remarque pour confirmer ce que j'ai dit dans le précédent Article, pour répondre à ceux qui croient que la rime à la céfure choquoit les oreilles des Latins,

ver avec peine fur fon lit, & retomber avec promptitude en lifant dans Virgile

Ter fefe attollens, cubitoque innixa levavit
Ter revoluta toro eft.

Il fçait peindre la frayeur d'une homme qui fe ré veille, par cette cadence coupée.

Olli fomnum ingens rupit pavor.

Une voix qui fe perd dans l'éloignement.

Vox quoque per lucos vulgo exaudita filentes
Ingens.

La grandeur d'un géant étendu par terre.
Facuitqué per antrum

Immenfus.

Notre langue ne peut imiter une pareille harmo nie, mais elle a d'autres beautés, comme je le

dirai bientôt.

Un choc de fyllabes rudes, & la répétition de la confonne R, nous fait plaifir dans ces Vers Tum ferri rigor, &c. Ergo agre raftris terram rimantur, parce que l'harmonie confiftant dans la jutteffe des rapports, les fons, quoique rudes à notre oreille, nous plaifent quand nous connoif. fons la caufe de leur rudeffe.

Virgile, fi habile imitateur, avoit puifé fa scien ce dans Homere, plus parfait imitateur encore. Homere fait entendre par fon harmonie le bruit des flots, le choc des vents, le cri des voiles dé chirées, & peint tous les objets dont il parle. Ces exemples ne font inconnus qu'à ceux qui ne connoiffent pas la belle Poëfie: je n'en citerai

qu'un.

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