Page images
PDF
EPUB

commencement d'un Vers le dernier mot du précédent.

Dieu gard ma maîtreffe & régente,
Gente de corps & de façon.

Son cœur, &c.

tantôt finir fes Vers par des fyllabes répétées.

Ma blanche Colombelle belle,
Souvent je vais priant, criant;
Mais deffus la cordelle d'elle, &c.

Nos bouts rimés depuis leur défaite chantée par Sarrazin, n'ont plus amufé que des efprits trèsoififs. Nos Lays, Virelays, Ballades & Rondeaux, n'ont eu qu'une mode paffagere. Les Danfes, qui donnerent peut-être la naiffance à ces petites Piéces, furent auffi la caufe de leurs refreins, qui n'ont par eux-mêmes aucune grace; & fi quelques anciens Rondeaux fe font fauvés du naufrage, fi Rouffeau en a fait quelques-uns qui nous plaifent, ils doivent leur bonheur à un mérite véritable, plutôt qu'à la froide répétition d'un mot, qui ne pouvoit faire plaifir qu'au tems de Benferade. A la tête des Comédies de Plaute, on en trouve les argumens en acroftiches, qui font très-anciens, & peut-être de Plaute même. Un miférable Faifeur de Vers Latins, qui s'appelloit Petrus Porcius, fit une Piéce de deux cens Vers, dont tous les mots commençoient par la lettre P, & un Religieux en dédia une à Charles le Chauve, dont chaque mot commençoit par la lettre C. Les Poëtes Perfans, au rapport de Chardin, cher. chent une beauté toute oppofée à celle-ci. Ils compofent des Piéces dans lesquelles l'entrée eft interdite à une lettre de l'alphabet. Un de ces

Poë

Poëtes lifoit au Roi un Poëme dans lequel la lettre A ne fe trouvoit jamais. Le Roi, que la Piéce ennuyoit, dit au Poëte qu'il eût mieux fait de retrancher encore les autres lettres.

Nos Poëtes fameux n'ont point perdu leur tems dans des travaux puériles: il paroît même qu'ils ont fort négligé le Sonnet, autrefois fi cftimé. S'it a mérité de l'être, ce n'eft point

Parce qu'en deux quatrains de mesure pareille La rime avec deux fons frappe huit fois l'oreille,

& que fes Vers font partagés en deux tercets ; mais. parce que ce petit Poëme fut confacré particuliérement à la nobleffe des penfées, & au choix des mots, jufques-là que le retour du même mot y fut défendu; & quelque éloge que Boileau faffe d'un Sonnet, il donne l'épitéthe de bizarre au Dieu qui en inventa les loix.

On dit à ce propos qu'un jour ce Dieu bizarre Voulant pouffer à bout tous les Rimeurs François, Inventa du Sonnet les rigoureufes loix.

Un Rimeur, qui ne trouvoit point ces loix affez rigoureuses, adreffa à Louis XIV. un Sonnet en acroftiches & en échos. C'est acheter bien chérement le mépris.

Turpe eft difficiles babere nugas,
Et ftultus labor eft ineptiarum.

Tout ce qui fent l'artifice ne peut plaire, parce que rien n'eft beau que ce qui imite la Nature, dans le fein de laquelle nos plaifirs prennent leur fource. Les loix de la Verfification en font forties, & c'eft dans cette fource que je vais chercher la caufe du plaifir qu'elle nous procure.

E 6

No

Notre âme & notre corps font fi étroitement unis ensemble, que leurs plaifirs & leurs peines font prefque toujours inféparables. Les paroles frappent d'abord nos oreilles, qui font chargées de les recevoir, & de les faire arriver à l'âme: il faut donc que pour y arriver heureufement, & en être bien reçues, elles foient agréables à celles qui font chargées du foin de les introduire. Si elles déplaifent dans le veftibule, dit Quintilien, elle ne feront pas introduites. Nibil intrare poteft in affectum, quod in aure velut quodam veftibulo ftatim offendit. La néceffité de plaire aux oreilles eft donc indifpenfable; mais comme elles font diffi ciles, dédaigneufes, & même inconftantes, que les mots qui leur ont plû pendant un tems, quelquefois dans un autre tems peuvent les choquer, ce font ces caprices différens qu'étudient ceux qui veulent nous plaire, & l'étude qu'ils en ont faite, a donné lieu aux régles de la Verfifi. cation, qui ne tend qu'à la perfection de l'har monie.

Le bruit d'une eau qui tombe d'un rocher, fait un certain plaifir à notre oreille, par la me fure qu'elle obferve dans fa chute; mais l'uniformité de cette même mefure nous endort fi nous l'écou tons long-tems. L'harmonie des fons confifte dans le rapport qu'ils ont entre eux: fi ce rapport étoit uniforme il feroit ennuyeux: leur variété en rend le plaifir plus durable. Quand les fons expriment des penfées, ils doivent non feulement avoir entr'eux ce rapport jufte & varié qui contente l'oreille: pour contenter encore notre âme, ils doivent avoir un rapport avec les penfées qu'ils expriment. Voilà le fondement de tout ce que je dirai fur la Verfification.

L'harmonie du difcours confifte donc en deux chofes: dans l'arrangement des mots, ce que j'appellerai l'Harmonie mechanique; & dans le rapport

de

de cet arrangement avec les penfées, ce que j'appellerai l'Harmonie imitative.

L'unique but des régles de la Verfification dans toutes les langues a été la réunion de ces deux harmonies, pour contenter à la fois l'oreille & l'âme. C'eft ce que je vais tâcher d'éclaircir.

ARTICLE I.

De l'Harmonie Mécanique.

Les loix de tous les Arts, qui ont pour objet

l'imitation, furent le fruit de nos obfervations fur la Nature, notatio naturæ peperit artem, dit Ciceron. Les premiers Poëtes chantoient leurs Vers, & les mêmes obfervations qui firent régler la mefures des airs, firent auffi régler la mesure des paroles qui accompagnoient ces airs. Les régles de la Poëfie & de la Mufique fortant de la même fource, eurent la même fin; mais celles de la Poëfie ne furent pas les mêmes, à caufe de la différence des langues.

On remarqua d'abord que pour rendre le dif cours harmonieux, il falloit lui donner une mefure, & rendre cette mesure fenfible à l'oreille. Le moyen de la rendre fenfible étoit d'établir des repos dans la prononciation; ce qui fit établir la céfure, qui eft commune à toutes les langues. Il ne fut pas fi aifé de fixer la mefure: il falloit la régler ou fur le nombre, ou fur la valeur des fyllabes. Les peuples qui purent la régler fur la valeur des fyllabes, furent les peuples particuliérement favorisés des Mufes. Les autres qui, dans leur prononciation, ne faifoient pas fentir fi diftinctement la valeur de toutes leurs fyllabes, furent

E 7

obli

obligés de les compter. On fixa le nombre qu'on en donneroit à chaque qualité de Vers, & on releva la fimplicité de cette méchanique par l'ornement de la rime. Il eft remarquable que les Chinois, quoique leur langue, par la mefure des fyllabes & les diverfes inflexions des tons, foit la plus muficale & la plus harmonieufe de toutes (1), ont cependant réglé leur Poëfie par le nombre des fyllables & par la rime.

Si dans notre Poësie Françoise nous avons fuivi les mêmes loix, ce n'eft qu'après avoir tenté les premieres. Quelques Poëtes, dans le feizié. me fiécle, aveuglés par une fauffe érudition, en. treprirent de donner à notre Poësie une mesure pareille à celle des Grecs & des Latins. Il firent voir en François des Vers hexamétres, pentamé. tres & faphiques; mais leur travail ne servit qu'à faire connoître que l'Art travaille envain, quand il s'écarte de la Nature. On ne peut contraindre une langue à recevoir une harmonie qui ne lui convient pas.

Cette obligation à régler nos Vers par le nom. bre des fyllabes, nous força à n'avoir, pour ainfi dire, que deux fortes de Vers, le grand Vers, dont la céfure partage l'Hémiftiche, & le petit Vers, qui femble deftiné à la Poëfie Lyrique, dont la vivacité demande les Vers plus courts. Les Grecs & les Romains plus riches que nous, outre l'hexamétre majestueux, confacré au Poëme Epique, le pentamétre destiné à la Plainte, & l'iambe au Poëme Dramatique, avoient encore différens Vers pour la Poëfie Lyrique: l'alcaïque plein de force, le faphique plein de douceur, & le phaleuque fait pour le badinage. Je n'en dirai

pas

(1) C'eft ce que M. Freret affure dans fa Differtation imprimée dans les Memoires de l'Académie des BellesLettres, Tome 3.

« PreviousContinue »