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II. Saisir et conserver nettement l'unité de son sujet. III. Discerner par l'analyse de la matière toutes les idées accessoires du sujet.

IV. Disposer les idées en gradation croissante, rapportant tous les éléments de la composition à trois parties: une introduction, un développement, une conclusion.

V. Unir les avantages de l'improvisation à ceux de la réflexion par un travail méthodique; rédaction très-rapide; après un intervalle de repos, révision très-attentive.

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1. DES MATIÈRES DE COMPOSITION.-2. DE LA DESCRIPTION.-3. DU TABLEAU.-4. MODÈLES DE DESCRIPTIONS ET DE TABLEAUX. — -5. DU PORTRAIT. 6. RÈGLES.

1. Des matières de composition.-Les sujets les plus simples qui peuvent servir d'exercices élémentaires pour le goût et l'intelligence des jeunes gens sont : la description, le portrait, la narration, la lettre, la fable, l'analyse critique et le développement moral.

Cet ordre répond à la difficulté croissante de ces différentes compositions dont il est utile de fixer les caractères et les règles propres.

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2. De la description. La description est la peinture d'un objet. C'est le détail intéressant de tous les traits qui peuvent représenter cet objet. Ainsi, par l'exactitude et le choix des détails, elle fait connaître un lieu, un accident; elle cherche à rivaliser avec l'œuvre du dessinateur ou du peintre.

Le but de la description est de produire sur l'imagina

tion du lecteur ou de l'auditeur une impression analogue à celle de la réalité ; la description 'doit être si vive et si vraie qu'on n'entende plus, qu'on ne lise plus, mais qu'on voie.

Cependant, comme dans la nature l'œil perçoit tous les objets mais n'en discerne et n'en connaît bien réellement qu'une très-petite partie, la qualité la plus importante dans une description est le choix des détails auxquels il convient de s'attacher. La première règle de la description est donc moins de multiplier les traits qui embarrasseraient l'esprit, que de choisir les points qui sont d'une valeur réelle pour la connaissance de l'objet.

Boileau a raillé avec goût l'auteur d'une description prolixe :
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face,
Il me promène aussi de terrasse en terrasse.
Ici s'offre un perron, là règne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.
Il compte du plafond les ronds et les ovales,
Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales.
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile

Et ne vous chargez point d'un détail inutile.

Et ailleurs avec non moins de sel et de bon sens :
N'imitez pas ce fou qui, décrivant les mers,

Et peignant, au milieu de leurs flots entr'ouverts,
L'Hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
Met pour le voir passer les poissons aux fenêtres ;
Peint le petit enfant qui va, saute, revient,

Et joyeux, à sa mère, offre un caillou qu'il tient :
Sur de trop vains objets c'est arrêter la vue.

Il convient de disposer les détails dans un ordre de gradation ascendante qui rende la peinture de plus en plus intéressante.

3. Du tableau. La description devient un tableau, quand les détails en sont ordonnés en vue d'un effet unique et lorsque, de plus, l'homme vient se mêler au spectacle des choses qui en reçoivent un intérêt tout nouveau. Delille a dit avec raison et avec goût :

Souvent dans vos tableaux placez des spectateurs,
Sur la scène des champs amenez des acteurs :

Cet art de l'intérêt est la source féconde,

Oui, l'homme aux yeux de l'homme est l'ornement du monde;
Les lieux les plus riants sans lui nous touchent peu,
C'est un temple désert qui demande son Dieu.
Avec lui mouvement, plaisir, gaité, culture;
Tout renaît, tout revit; ainsi qu'à la nature

La présence de l'homme est nécessaire aux arts:
C'est lui, dans vos tableaux, que cherchent nos regards.

Ces observations délicates qui marquent la différence entre la description et le tableau ont été commentées et justifiées par Marmontel dans une excellente étude qui contient l'exemple avec le précepte :

Vous avez à peindre un vaisseau battu par la tempête et sur le point de faire naufrage. D'abord ce tableau ne se présente à votre pensée que dans un lointain qui l'efface; mais voulez-vous qu'il vous soit plus présent, parcourez des yeux de l'esprit les parties qui le composent : dans l'air, dans les eaux, dans le vaisseau même, voyez ce qui doit se passer.

Dans l'air, des vents qui se combattent, des nuages qui éclipsent le jour, qui se heurtent, et de leurs flancs sillonnés d'éclairs vomissent la foudre avec un bruit horrible; dans les eaux, des vagues écumantes qui s'élèvent jusques aux nues, des montagnes d'eau suspendues sur les abîmes où le vaisseau paraft s'engloutir et d'où il s'élance sur la cime des flots; vers la terre, des rochers aigus où la mer va se briser en mugissant; dans le vaisseau, les antennes qui fléchissent sous l'effort des voiles, les mâts qui crient et se rompent; les flancs mêmes du vaisseau qui gémissent et menacent de s'entr'ouvrir.... Voulez-vous rendre ce tableau plus touchant et plus terrible encore, ajoutez un pilote éperdu dont l'art épuisé succombe et fait place au désespoir; des matelots accablés d'un travail inutile et qui, suspendus aux cordages, demandent au ciel avec des cris lamentables de seconder leurs derniers efforts; un héros qui les encourage et qui tâche de leur inspirer la confiance qu'il n'a plus.

4. Modèles de descriptions et de tableaux. -Cha- · teaubriand nous a laissé un modèle ravissant de description dans le petit morceau suivant :

LE NID DE BOUVREUIL.

Nous nous rappelons d'avoir trouvé une fois un nid de bouvreuil dans un rosier; il ressemblait à une coque de nacre contenant quatre perles bleues; une rose pendait au-dessus tout humide. Le bouvreuil se tenait sur un arbuste voisin, comme une fleur de pourpre et d'azur. Ces objets étaient répétés dans l'eau d'un étang avec l'ombrage d'un PRINC. DE STYLE. 2° ANNÉE.

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noyer qui servait de fond à la scène et derrière lequel on voyait se lever l'aurore.

Soit, par exemple, le sujet très-simple du Lever du Soleil. Voici comment deux grands écrivains ont traité cette description.

LE LEVER DU SOLEIL.

Sujet. Vous décrirez l'apparition du soleil, l'effet produit sur toute la nature par le retour de la lumière, et l'impression qu'en ressent le spectateur.

Développement. On le voit s'annoncer de loin par les traits de feu qu'il lance au devant de lui. L'incendie augmente, l'orient paraît tout en flammes à leur éclat, on attend l'astre longtemps avant qu'il se montre; à chaque instant on croit le voir paraître on le voit enfin.

Un point brillant part comme un éclair, et remplit aussitôt tout l'espace; le voile des ténèbres s'efface et tombe; l'homme reconnaît son séjour et le trouve embelli. La verdure a pris, durant la nuit, une vigueur nouvelle; le jour naissant qui l'éclaire, les premiers rayons qui la dorent, la montrent couverte d'un brillant réseau de rosée, qui réfléchit à l'oeil les lumières et les couleurs. Les oiseaux en chœur se réunissent et saluent de concert le père de la vie : en ce moment pas un seul ne se tait. Leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée; il se sent de la langueur d'un paisible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu'à l'âme. Il y a là une demi-heure d'enchantement auquel nul homme ne résiste : un spectacle si grand, si beau, si délicieux n'en laisse aucun de sang-froid.

Me voici sur la hauteur culminante: la matinée est délicieuse, l'air est rempli du parfum des jeunes pommiers. Les prairies rapidement inclinées se déroulent là-bas avec mollesse; elles étendent dans le vallon leur tapis que blanchit encore la rosée glacée du matin. Les arbres qui bordent les rives de l'Indre dessinent sur les prés des méandres d'un vert éclatant que le soleil commencè à dorer au faîte. On vient d'ouvrir l'écluse de la rivière; un bruit de cascade qui me rappelle la continuelle harmonie des Alpes s'élève dans le silence. Mille Voix d'oiseaux s'éveillent à leur tour. Voici la cadence voluptueuse du rossignol; là, dans le buisson, le cri moqueur de la fauvette; là-haut, dans les airs, l'hymne de l'alouette ravie qui monte avec le soleil. L'astre magnifique boit les vapeurs de la vallée et plonge son rayon dans la rivière, dont il écarte le voile brumeux. Le voilà qui s'empare de moi, de ma tête humide, de mon papier; il me semble que j'écris sur une table de métal ardent. Tout s'embrase, tout chante; les coqs s'éveillent mutuellement et s'appellent d'une chaumière à l'autre; la cloche du village sonne l'Angélus; un paysan qui recèpe sa vigne au

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dessous de moi pose ses outils et fait le signe de la croix. A genoux, ami, où que tu sois, à genoux! prie pour ton frère qui prie pour toi. 5. Du portrait. La description peut s'appliquer aux personnes aussi bien qu'aux lieux, aux choses et aux circonstances; le portrait est la peinture animée des personnes mises en action.

Lors même que le portrait ne présente que les traits extérieurs du visage, il doit cependant éveiller l'idée des dispositions morales de la personne. Tel est ce portrait d'Alexandre tracé par Barthélemy. C'est le jeune Anacharsis qui parle :

Je vis alors cet Alexandre qui depuis a rempli la terre d'admiration et de deuil. Il avait' dix-huit ans et s'était déjà signalé dans plusieurs combats. A la bataille de Chéronée, il avait enfoncé et mis en fuite l'aile droite de l'armée ennemie. Cette victoire ajoutait un nouvel éclat aux charmes de sa figure. Il a les traits réguliers, le teint beau et vermeil, le nez aquilin, les yeux grands, pleins de feu, les cheveux blonds et bouclés, la tête haute, mais un peu penchée vers l'épaule gauche; la taille moyenne, fine et dégagée, le corps bien proportionné et fortifié par un exercice continuel. On dit qu'il est trèsléger à la course et très-recherché dans sa parure.

Quelle démonstration plus convaincante de l'admirable charité de Fénelon et de la toute-puissance de la douceur, que ces deux portraits de son jeune élève le duc de Bourgogne. Saint-Simon pouvait-il faire en des termes plus éloquents l'éloge de son immortel ami :

M. le duc de Bourgogne naquit terrible, et sa première jeunesse fit trembler. Dur et colère jusqu'aux derniers emportements et jusque contre les choses inanimées, impétueux avec fureur, incapable de souffrir la moindre résistance, même des heures et des éléments sans entrer dans des fougues à faire craindre que tout ne rompît dans son corps, opiniâtre à l'excès, passionné pour tous les plaisirs.... Souvent farouche, naturellement porté à la cruauté; barbare en raillerie, saisissant les ridicules avec une justesse qui assommait; de la hauteur des cieux, il ne regardait les hommes que comme des atomes avec qui il n'avait aucune ressemblance, quels qu'ils fussent; à peine MM. ses frères lui paraissaient-ils intermédiaires entre lui et le genre humain....

De cet abime sortit un prince affable, doux, humain, modéré, patient, modeste, et quelquefois au delà de ce que son état pouvait comporter: humble, austère pour soi. Tout appliqué à ses devoirs en les comprenant immenses, il ne pensa plus qu'à allier les devoirs de fils et de sujet avec ceux auxquels il se voyait destiné.

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